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A propos du débat Piketty-Besancenot

18/06/2015

A propos du débat Piketty-Besancenot

Ce lundi 15 juin, se déroulait un débat entre Olivier Besancenot, chef de file du NPA et Thomas Piketty, auteur du « Capital au XXI° siècle ». A première vue, les positions politiques des uns et des autres sont irréconciliables, Celles de « l’économiste », visent à la création d’un impôt mondial et ã une modification graduelle de la structure de la propriété privée, tandis que celles d’Olivier Besancenot, aspirent ã un renversement de la société et à l’expropriation des classes dominantes. Est-ce vraiment le cas ?

Un débat « pour discuter du capital, même si on sait ce qui nous sépare... »

A 18h, dans la salle du Centre International de culture populaire (CICP), une centaine de personnes étaient réunies afin d’assister au débat organisé par Pour l’émancipation, association animée par l’ancienne majorité du NPA. Des étudiants en économie ou en sciences sociales, des syndicalistes et des militants politiques du NPA et d’ATTAC, représentaient le gros de l’assemblée. A 18h10, Olivier Besancenot arrive. Il est en retard pour de bonnes raisons, une participation au rassemblement des postiers du 18ème – dont il fait partie - en grève et des usagers devant la mairie du 18ème.

L’objet de la rencontre-débat est clair. Ne venant pas des mêmes horizons, il s’agit pour Besancenot et Piketty de discuter de ce qui les rapproche relativement, la critique du capital et des inégalités, mais aussi de ce qui les sépare indéniablement, leur politique de transformation du système capitaliste.

Le capital un « amas de choses » ou « un rapport social de domination » ?

Besancenot débute le débat sans se faire d’illusion, ironisant « [Thomas Piketty] ne sortira pas d’ici marxiste, anticapitaliste et révolutionnaire. Enfin, on verra. » Il s’agit dans un premier temps, pour le chef de file du NPA, de revenir sur l’excellent travail de recherche de Thomas Piketty et de ses collaborateurs, insistant sur la nécessité d’un tel travail qui permet de quantifier et chiffrer les inégalités dans les principaux pays capitalistes avancés. Ce n’est pas qu’une « photo » mais une « base de données vivantes » de la dynamique historique du capitalisme.

Toujours selon Besancenot, cette dynamique est déterminée par le rapport antagonique entre capital et travail. Piketty aurait eu le mérite d’observer dans le « Capital au XXI° siècle », l’histoire de cet antagonisme, marquée par ses moments de convergence comme pendant les « trente glorieuses » et ses années avec un taux de croissance « exceptionnel » où l’on observe que partage entre capital et travail se fait au profit du travail lorsque que le taux de rendement du capital (r) est inférieur au taux de croissance de l’économie (g). L’histoire de la fin du 21ème siècle est aussi marquée par des moments de divergence et de crise, lorsque ce rapport s’inverse pendant l’époque néo libérale avec l’imposition de plans d’austérité par les classes dominantes.

Besancenot dit, pour conclure que, le capital, ce n’est pas seulement un « amas de choses » et de mesures économiques d’inégalités qu’il faut observer. C’est avant tout un « rapport social » de domination et d’exploitation d’une classe sur une autre.

L’augmentation des droits de vote dans l’entreprise. Le modèle Allemand, une solution ?

50%, 60%, 70% 80%, 100%, voici les pourcentages qui sont essaimés par Piketty dans le débat. Il s’agit pour Thomas Piketty de redéfinir le modèle de gouvernance dans l’entreprise ã travers une représentation et une participation beaucoup plus active dans les conseils d’administration pour les salariés, à l’exemple du modèle Allemand qui « se porte bien » et « exporte beaucoup de Volkswagen ».

Pour celui qui se revendique « chercheur en sciences sociales », il s’agirait d’une étape indispensable à la redéfinition des structures de la propriété privée. L’État aurait, lui aussi, ã jouer un grand rôle dans cette redéfinition, portant ainsi la revendication de la renationalisation par l’État des secteurs publics qui sont en cours de privatisation.

Piketty ne s’intéresse « pas seulement au grand soir, mais au jour d’après ». Mais il ne s’intéresse pas non plus ã ce qui a « permis » en partie au patronat allemand de devenir plus compétitif en face de ses rivaux impérialistes européens et notamment, les réformes « Hartz » du début des années 2000 et l’agenda 2010 qui ont détricoté une grande partie des acquis sociaux du mouvement ouvrier allemand, le droit du travail, le droit au chômage. . Pour cet homme qui s’intéresse aux inégalités sociales, il tout de même étonnant de le voir fermer les yeux sur l’accroissement rapide de ces mêmes inégalités en Allemagne ces dernières années. Non, l’Allemagne n’est définitivement pas un modèle pour notre classe.

Comment résoudre la question de la dette Grecque ?

Le débat s’est aussi focalisé sur un des sujets politiques du moment : résoudre le « problème » de la dette publique et en l’occurrence celui de la dette Grecque au cœur de la crise Européenne .

Pour « l’économiste » Piketty, il est clair que la question de la dette grecque est une « hypocrisie ». Cette dette n’est pas soutenable et nécessiterait un « excédent primaire de 4% pour les 20 ou 30 prochaines années ». Puis, il rajoute : « les pays qui l’exigent ne le se sont jamais appliqués ã eux-mêmes ». Les grandes puissances impérialistes se sont appliquées d’autres recettes qu’il faudrait combiner, en l’occurrence, l’inflation, la taxation des capitaux privés, et l’annulation de la dette.

là encore, il s’agit de réappliquer les vieilles recettes du passé, qui ont permis notamment aux capitalistes soit de faire payer la crise aux opprimés et aux exploités, soit de faire des arrangements entre pays impérialistes. Ces différentes solutions n’ont résolu, que partiellement, et pour un temps, les « problèmes » de la dette public, structurels au capitalisme, et en dernière instance sur le dos des travailleurs.

L’inflation voit augmenter les prix des moyens de consommation qui permettent aux travailleurs de produire et reproduire leur force de travail, tandis que les salaires n’augmentent pas. La taxation des capitaux privés touche indifféremment les capitaux des capitalistes et l’épargne des travailleurs, et plus particulièrement ces derniers qui ne disposent pas des moyens pour pratiquer l’évasion fiscale des capitalistes.

L’annulation négociée de la dette allemande en 1953 a été conclue avec les Etats-Unis pour s’assurer que l’économie de l’Allemagne occidentale soit relancée et constitue un élément stable et central dans le bloc atlantique, contre le bloc soviétique. Ainsi c’est bien la recette de la socialisation des pertes que Piketty nous recommande toujours dans le cadre des règles imposées par les classes dominantes.

Pour Besancenot, l’incapacité de Syriza ã appliquer son programme est éminemment politique et pas seulement économique. C’est la volonté de « la troïka » et « des gouvernements de voler et punir la Grèce ». C’est le reflet d’un « système en crise, travaillé par ses contradictions ». Le « problème est politique » et on ne peut se contenter de « mesures partielles », il faut une « confrontation radicale » et « l’annulation de la dette grec ». C’est, en effet, la seule solution pour les travailleurs grecs, qui doivent être appuyées par le mouvement ouvrier internationalement, notamment en France, pour exiger du gouvernement français l’annulation de la partie de la dette grecque détenue par la France .

Piketty sur les inégalités : résonance néoclassique et politique réformiste

Les inégalités ne sont pas seulement une question de mesure empirique. L’établissement d’une loi sur la répartition des inégalités en fonction de l’écart entre taux de rendement du capital et croissance, ne peut suffire ã déterminer ce qui fonde ces inégalités. C’est un rapport antagonique entre capitaliste et travailleurs et l’exploitation croissante des premiers sur les derniers qui en sont la base.

De la même façon, que les économistes néoclassiques consacrent la plupart de leur temps ã étudier la variation des prix plutôt que ce qui en constitue la base, Thomas Piketty s’attache ã étudier les variations de ces inégalités plutôt que leur fondement.

Faisons le parallèle suivant : sur le long terme, l’offre et la demande d’une marchandise s’annulent, du fait des lois du marché capitaliste. Comment les néoclassiques déterminent-t-ils les prix de la marchandise de par les fonctions qui déterminent les prix en fonction de l’offre et la demande ? A cela pas de réponse pour les néoclassiques. Concernant la variation des inégalités de Piketty, si le taux de rendement (r) est égal au taux de croissance (g), les inégalités restent constantes. Comment détermine-t-on alors le fondement de ces inégalités ? A cela aussi, Piketty ne donne aucune réponse.

Ces fonctions qui déterminent la variation des prix ou des inégalités, que nous ne mettons pas ã pied d’égalité l’un est utilisé par les économistes bourgeois, l’autre par les réformistes qui veulent une meilleure répartition de la valeur ajoutée, sont toutes basées sur une analyse empirique qui ne se saisit pas des rapports sociaux et politiques, ni même d’une analyse marxiste qui tendraient ã remettre en cause le système capitaliste basé sur l’exploitation.

Sans une approche théorique marxiste sur ce qui fonde le capitalisme, c’est-à-dire l’extraction de plus-value d’une classe sur une autre, il est évident que Piketty ne peut en conclure que des politiques réformistes qui naturalisent de fait les inégalités qu’il faudrait corriger par étape et par une autre redistribution des richesses.

Sans pour autant partager les analyses ou les objectifs de Piketty comme le dit Besancenot, les directions syndicales et pire encore notre parti reprennent, malheureusement, souvent à leur compte ces revendications pour une autre répartition des richesses. Mais, ces revendications ne peuvent pas être reprises par les anticapitalistes et les révolutionnaires.

Tandis qu’il n y a pas d’accord possible entre Piketty et Besancenot, ce dernier ayant bien répondu aux limites du travail de Piketty, il manque ã Besancenot de traduire jusqu’ au bout la critique théorique du réformisme en un programme et des mots d’ordre qui puisse dépasser le réformisme politique et ne pas s’y adapté comme cela arrive souvent, cela en prenant comme justification le niveau de conscience des masses (au niveau de la redistribution des richesses), alors qu’il faudrait développer dans la conscience des classes exploitées et opprimées un programme de transition qui lui permette, en partant de sa conscience actuelle et de ses besoins objectifs, de les mobiliser afin d’en finir avec la propriété privée et l’exploitation.

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