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A dix mois des journees de decembre 2001
par : Christian Castillo

14 Nov 2002 | Marxisme et impressionnisme, un premier bilan

Alors que l’intensité des journées du 19 et 20 décembre 2001 n’était pas encore descendue et que les caractérisations de ceux qui optaient pour la facilité et l’impressionnisme étaient à la mode, nous faisions remarquer qu’une combinaison de circonstances rendait difficile un dénouement rapide de la situation ouverte en Argentine [1]. Nous faisions alors remarquer que le plus probable était que les rythmes des événements soient davantage semblables ã ceux du processus espagnol de 1931-1939 qu’à ceux ayant caractérisé la Révolution russe avec un dénouement accéléré entre la révolution de février et la conquête du pouvoir en octobre 1917. Qualifiés alors « d’ouvriéristes » et de « dogmatiques »en raison de nos affirmations, nous donnions une importance toute particulière au fait qu’aux cours des Journées Révolutionnaires la classe ouvrière, et même sa fraction au chômage ne soit pas intervenue avec ses organisations en raison de l’action des dirigeants de ses syndicats et des mouvements de chômeurs [2].Cela représentait la différence par rapport aux Rosariazo, Cordobazo, et autre rébellion de la période allant de 1969 ã 1971 en Argentine.

Cela impliquait qu’à l’inverse des classes moyennes urbaines –notamment de la capitale- le prolétariat –qui avait le plus lutté contre le gouvernement de l’Alliance (Alianza) de De la Rúa- ne se sentit pas protagoniste des journées du décembre argentin. Cela donnait selon nous un avantage au pouvoir bourgeois alors fortement désarticulé. En ce sens, notamment alors que Duhalde au pouvoir arbitrait les dissensions inter bourgeoises entre « dollarisateurs » et « dévaluationnistes » en faveur de ces derniers, seule une action forte du prolétariat pouvait empêcher que la population laborieuse ne paie pas les coûts de la dévaluation. Cette analyse nous a permis d’éviter le simplisme et la superficialité des caractérisations ébauchées alors par des courants tels que le MST (Mouvement Socialiste des Travailleurs) ou le PO (Parti Ouvrier). Le premier, fidèle ã son habitude, a battu tous les records en parlant de « révolution des casseroles ». Le second n’a pas été en reste, en refusant de voir l’importance de l’absence de la classe ouvrière au sein de l’alliance progressive -mais insuffisante- entre « piquetes et casseroles » du début 2002. Pour notre part, nous signalions clairement le caractère clairement révolutionnaire de la nouvelle étape ouverte par les Journées de décembre. Cependant, nous préférions alors assumer la tâche « impopulaire » d’éviter le sens commun et d’en appeler au marxisme pour souligner qu’il manquait à l’alliance de classe nécessaire pour achever de faire tomber le régime dominant ce qui devrait être son axe articulateur, le prolétariat le plus concentré de l’industrie et des services. Tenter d’ébaucher la définition la plus juste n’a pas été un simple exercice intellectuel pour que le marxisme ne se réduise pas aux définitions vulgaires formulées par Petit (MST), Jorge Altamira(PO) ou Luis Zamora (Autodétermination et Liberté, AyL). Il s’agissait de constituer un instrument pour définir un cap stratégique pour la période ã venir, se tourner plus que jamais vers la classe ouvrière, et tout particulièrement vers ses secteurs d’avant-garde. En pensant ã un processus révolutionnaire avec de rythmes espagnols, nous pensions que la tâche révolutionnaire par excellence consistait en un travail patient, ardu et parfois presque invisible ; aider au développement d’une perspective marxiste révolutionnaire parmi une nouvelle génération de dirigeants ouvriers, comme celle qui se forge ã Cerámica Zanón, Textil Brukman, et d’autres usines occupées [3].

Dix mois après les Journées de décembre, les faits commencent ã nous donner raison. La « crise de direction »simultanée que vivent les classes dominantes nous laisse penser que les périodes ã venir continueront ã être convulsées, avec des conjonctures changeantes, et ne pouvant se clore rapidement que difficilement. Aujourd’hui, à l’inverse de la vision impressionniste des premiers mois pensant pouvoir répéter avec le gouvernement de Duhalde ce qui avait été fait avec ceux de De la Rúa et de Rodríguez Saá, certaines analyses superficielles tendent ã sous-estimer le potentiel révolutionnaire de la période que nous traversons.

Lorsque l’action des masses ne prime pas et certains aspects de la normalité bourgeoise semblent avoir été rétablis, les avocats du « réformisme sensé »reviennent à la charge –en prenant pour exemple la maturité politique de Lula allié de l’entrepreneur textile Alencar- et soutiennent que toute transformation révolutionnaire de la société est impossible. Ils ressemblent dans un certain sens aux défaitistes qui affirment que le Parti Justicialiste (péroniste) gagnera ã nouveau les élections, et que tout reviendra à la normale à l’image de la décennie passée. Ces positions sont aussi erronées que ceux qui surestimaient en janvier et en février la force des cacerolazos. Pour la bourgeoisie, le dépassement des contradictions structurelles qui ont éclaté en décembre ne sera pas chose facile, surtout si l’on pense à la crise capitaliste qui frappe aujourd’hui les Etats-Unis et que la politique de Bush elle-même contribue ã rendre la situation mondiale plus tendue. Il serait donc par conséquent criminel de confondre en Argentine le calme momentané au niveau des actions de masse avec la résolution des contradictions explosives qui caractérisent –et caractériseront au cours de la prochaine période- la lutte de classe en Argentine.

Même si le « cours catastrophique » de la crise économique n’a pas pu être mis ã profit par la classe ouvrière pour renverser le cours du rapport de force, la reconstruction d’un bloc bourgeois dominant ne sera pas une tâche aisée. La recolonisation qu’imposent les USA -et dans une moindre mesure l’Union Européenne- par le biais du FMI et de la Banque Mondiale en Amérique latine commence ã être remis en question par d’importants secteurs de masse de la région, au moment même où le gouvernement de Bush tente d’aller dans le sens d’un approfondissement du contrôle économique, politique et militaire de ce qu’il considère son « arrière-cour ». Ce n’est pas sans une défaite pour les masses que l’ALCA (ZLEA) et un nouveau tour de vis des politiques néo-libérales pourront s’appliquer dans les pays de la région. En Argentine particulièrement, la crise d’hégémonie bourgeoise ne trouvera pas rapidement de solution, avec un radicalisme (UCR) réduit ã sa plus petite expression historique et un péronisme profondément divisé, et cela en dépit des plus ou moins bons résultats qu’obtiendraient les candidats lors des prochaines élections présidentielles. Tant les avancées de l’avant-garde ouvrière et populaire sur la propriété capitaliste –en termes de conscience et d’organisation- comme la réponse répressive donnée par l’Etat et les bandes para-étatiques montrent que les temps qui se rapprochent ressemblent davantage aux années soixante-dix en Argentine qu’à ceux ayant caractérisé les années 1980 et 1990.

Nous ne prétendons pas tranquilliser les esprits en affirmant que la situation révolutionnaire ouverte par les Journées de décembre ne peut se clore dans l’immédiat. L’articulation entre différentes victoires et défaites partielles préparent le dénouement du drame historique, comme nous le rappelle l’histoire récente de la « répétition générale » révolutionnaire vécue en Argentine entre 1969 et 1976. C’est en ce sens que nous disons qu’en dépit de la faiblesse immédiate de la bourgeoisie pour défaire stratégiquement les travailleurs, il est impérieux de souligner que la « course de vitesse »entre les deux classes antagonistes fondamentales a commencé. La classe ouvrière pourra-t-elle profiter des fissures entre les classes dominantes pour se transformer en alternative de pouvoir ? La bourgeoisie pourra-t-elle à l’inverse traverser la tempête et rétablir un certain modèle d’accumulation capitaliste ? Entrons-nous dans une période de décadence nationale sans limite pour l’Argentine ? Toute notre volonté se dresse pour que prévale la première alternative. Pour cela, construire une direction révolutionnaire de la classe ouvrière capable de diriger l’alliance ouvrière et populaire afin d’établir le gouvernement des travailleurs, est pour l’heure notre tâche centrale.

Le nouveau modèle économique

La dévaluation réalisée par le gouvernement Duhalde a été payée par la population travailleuse. Le salaire a perdu une grande partie de son pouvoir d’achat. Mesuré en dollars, avec une dévaluation du péso de prés de 275%, la chute a été brutale. Alors que l’inflation a atteint 40% depuis le début de l’année [4], seule une petite fraction du salariat a connu une augmentation de salaire (...). Le chômage a progressé de manière galopante, en dépassant 23% de la population active, ã quoi il faut ajouter des taux similaires de sous-emploi et une augmentation brutale de la précarité du travail sous toutes ses formes. Pour les seuls mois de janvier ã juin, il y a eu 329.500licenciements. Pour les travailleurs et de larges secteurs des classes moyennes, ces dix derniers mois ont signifié une dégradation brutale des conditions de vie. Les trois centrales syndicales, par leur politique de trêve tacite signée avec le gouvernement de Duhalde ont ici une responsabilité directe. Le seul palliatif du gouvernement a été la mise en place du subside de 150 pesos (ou patacones ou lecops) du Plan jefes y jefas de hogar qui a pour but -rempli jusqu’à présent- de contenir l’éventualité de nouveaux saccages de supermarchés et miner la force des mouvements de chômeurs. Ce coup au porte-monnaie ouvrier, conquête stratégique accomplie par la bourgeoisie au cours de ces derniers mois, a été accompagné de la confiscation brutale de l’épargne de la classe moyenne. En contrepoint, on a assisté au sauvetage des banques et des entreprises endettées en dollars qui ont été les bénéficiaires directes de la pésification. Pour les entreprises exportatrices ou dont les revenus sont en dollars, l’opération fut juteuse. Cette situation montre bien que nous avions raison lorsque nous dénoncions le caractère anti-ouvrier des projets dévaluationnistes des intellectuels et bureaucrates syndicaux prétendument « contre le modèle dominant » comme Hugo Moyano, dont les revendications n’exprimaient pas les intérêts des travailleurs mais le point de vue d’un des secteurs du patronat divisé.

Ce que l’on a appelé le « groupe productif » a démontré que la principale production qui l’intéressait était le gigantesque sauvetage d’un large secteur de groupes économiques. Son principal porte-parole est Ignacio Mendiguren, placé à la tête du Ministère de la production au début du gouvernement duhaldiste. Rarement la chute de la production industrielle a été aussi abrupte que sous Mendiguren. A l’inverse, les quelques 120 entreprises et usines occupées et fonctionnant sous le contrôle des travailleurs montrent bien que ce sont les producteurs directs de la richesse sociale -et non la classe des propriétaires capitalistes qui ont mené le pays à la ruine- les plus ã même d’en finir avec la crise nationale.

Au cours des années 1990, l’Argentine a été le pays latino-américain, avec le Brésil et le Mexique, ã connaître la plus grande affluence de capital transnational. Le gros de ces investissements a été constitué par l’achat ã prix soldé des entreprises de service privatisées -garantissant un flux extraordinaire de bénéfices liés aux monopoles-, ainsi que par les affaires financières de divers types dans le cadre d’une économie fonctionnant avec un taux élevé d’endettement public et privé. Au cœur de ce processus, la composition de la classe dominante a été reconfigurée. Les « gagnants » de cette époque -entreprises privatisées, les banques ainsi qu’une poignée de groupes économiques « productifs »- ont constitué l’axe d’un bloc dominant sur lequel s’est appuyé le ménémisme au cours de ses dix années de gouvernement.

Au cours de cet « Age d’or », alors que de larges couches de la classe travailleuse tombaient dans le chômage et que se multipliait la précarisation de l’emploi accompagnée de la perte de conquêtes sociales historiques, de nombreux secteurs de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie se sont comportés comme des associés secondaires des groupes les plus concentrés. Au cours de ces premières années, ce groupe de pouvoir bourgeois n’a pas simplement été dominant mais en plus hégémonique, en engrangeant un énorme soutien au sein d’une partie des classes moyennes favorisées par la parité dollar/peso, ainsi que le consentement des secteurs les plus pauvres -qui perdaient moins avec la stabilité monétaire par rapport à la période de l’hyperinflation- et d’un secteur du salariat qui augmenta sa consommation.

Ce « modèle » fut tout d’abord frappé en 1995 par la crise mexicaine et en 1998 lorsque la région s’est retrouvée incluse dans la crise qui a parcouru le sud-est asiatique et la Russie ã partir de 1997. La dévaluation du réal brésilien en 1999 a été le coup de grâce qui laissa le pays à l’agonie pendant deux ans au cours desquels toutes les illusions de la bourgeoisie de soutenir la situation telle qu’elle avait prévalu au cours des dernières années ont été démenties. Pendant ce temps, les entreprises privatisées et les banques continuaient ã envoyer à l’étranger leurs extraordinaires profits. Nous pourrions alors dire qu’au cours d’une seconde période de la décennie passée, le bloc dominant commença ã perdre son hégémonie et des brèches s’ouvrirent, ce qui aboutit à la division ouverte ã travers les frictions entre « dollarisateurs » et « dévaluationnistes » (...) et lors de la scission classes moyennes dont l’épargne a été attaquée par le corralito.

Au final, les temps de la crise économique, de la crise politique et de la crise sociale ont convergé et l’irruption violente des masses du 19 et 20 décembre n’a pas simplement fait tomber De la Rúa, mais après le bref gouvernement de Rodríguez Saá, a porté au pouvoir le secteur bourgeois qui se faisait le héraut de la dévaluation, une politique qui recevait d’ailleurs un certain appui du FMI et des capitaux nord-américains qui ã moyen terme souhaitaient remplacer les capitaux européens au sein du marché des entreprises privatisées.

La dévaluation du peso réalisée par Duhalde a mis fin ã des frictions ayant éclaté deux ans auparavant au sein de la classe dominante ; ã savoir comment répondre à la crise du schéma de “convertibilité”. Le secteur des entreprises privatisées et des banques, qui était celui ã avoir engrangé le plus de bénéfices au cours de la décennie passée et qui soutenait la perspective d’une dollarisation, s’est vu gravement affecté par la nouvelle situation. A l’inverse, la dévaluation et la pésification ont largement favorisé les groupes connaissant un fort endettement en dollars et dont les bénéfices issus de l’exportation se font dans cette même devise (…). Le secteur agraire a également bénéficié de la situation puisqu’au milieu du naufrage économique –on s’attend ã une chute de 15% du PIB-, il a connu une année record de récolte et de bénéfices. Comme l’avait déjà fait Cavallo, le gouvernement de Duhalde a réalisé un énorme sauvetage des groupes économiques endettés en dollars et des banques qui auraient fait banqueroute sans son intervention. La brutale dévaluation des salaires que nous avons soulignée complète le cadre des “tâches” accomplies par l’administration justicialiste menée par Duhalde.

Nous sommes face ã un processus qui a altéré le schéma selon lequel a fonctionné l’accumulation capitaliste des années 1990 : le bouleversement des conditions ayant régi cette accumulation au cours de la décennie passée et qui ouvre dans l’immédiat la cadre d’une transition pour l’économie capitaliste dépendante argentine.
En plus de la débâcle généralisée –certains rapports évoquent la fermeture de 1200 entreprises au cours de ces derniers mois-, nous avons vu certains secteurs tenter de profiter des nouvelles conditions, notamment dans le secteur agraire et les groupes locaux les plus concentrés dont une bonne partie des coûts de production sont en pesos (commencer par la masse salariale) et touchent les bénéfices des exportations en dollars (…). Les exportations, qui ne dépassaient pas 8% du PIB au cours des années 1990, représentent aujourd’hui 25% de ce même PIB. Elles sont restées stables (-5% para rapport à l’année passée), mais au milieu d’une chute phénoménale des importations ainsi que de l’ensemble de l’économie.

On assiste également ã un processus réduit de substitution des importations dans certains secteurs ponctuels, dans la mesure où la production locale est beaucoup plus rentable face ã certaines importations. Ainsi, les entreprises de textile et de la chaussure ne sont pas tombées ã pic dans la crise mais ont connu un certain dynamisme. Cependant, la combinaison d’absence de crédit, la dépréciation salariale et la paupérisation généralisée de la population est un des obstacles principaux pour ce processus.

Ce précaire rétablissement de certains secteurs capitalistes est, en dernière instance, ce qui a permis la stabilité pendant quelques mois du cours du dollar et ce qui a tant soutenu Lavagna en tant que ministre de l’économie et Duhalde en tant que président, dont la seule vertu a été de remettre les problèmes ã plus tard. A l’heure actuelle, le problème le plus difficile ã résoudre dans l’immédiat n’est peut-être pas tant l’accord avec le FMI que l’augmentation des tarifs des services publics privatisés. Le gel de ces tarifs a été fondamental pour que l’inflation n’augmente pas davantage et afin d’éviter une détérioration plus importante du salaire. Cependant, même si le gouvernement parvenait ã un accord avec le FMI et que le dollar et l’inflation restaient contenus, la situation continuerait ã être extrêmement précaire.

Le caractère précaire de la situation économique se lit également dans l’absence de projet bourgeois stratégique, non pas pour le gouvernement “de transition” duhaldiste actuel mais pour celui qui aspire à lui succéder. (…) Il ne peut pas en être autrement. L’affrontement avec les masses et les frictions au sein même de la classe capitaliste ne sont pas résolues. Les récentes tentatives de l’Union Industrielle Argentine (UIA, une fraction du patronat) de recomposer le “groupe des 8”, dissous sous le gouvernement De la Rúa au cours de l’affrontement entre dévaluationnistes et dollarisateurs, n’a pour l’instant connu aucun succès. Bien qu’une nouvelle base pour l’unité bourgeoise peut partir de l’énorme bénéfice que signifie pour tous les secteurs de la classe dominante la baisse salariale via la dévaluation [5] , cette dernière s’est révélée insuffisante pour reforger un nouveau bloc de pouvoir bourgeois. D’un côté, les exportateurs –et notamment ceux du secteur agro-industriel- appelés ã se constituer en nouveau bloc de pouvoir, réclament un dollar encore plus fort. De l’autre, les secteurs privatisés, un des axes de l’ancien bloc dominant, harcèlent le gouvernement en réclamant une augmentation substantielle des tarifs des services publics. Ces deux revendications auraient des effets inflationnaires et déstabiliseraient davantage le gouvernement qui tente de se maintenir au centre, sans lancer de l’huile sur le feu de la colère ouvrière et populaire. En dernière instance, la possibilité économique de constituer un nouveau bloc dominant stable est inséparablement lié à la possibilité politique de changer le rapport de force plus général établi depuis décembre.

Sans résolution pour la bourgeoisie de sa crise d’hégémonie il n’y a aucune possibilité d’établir un nouveau patron d’accumulation, au delà des reprises partielles que peuvent démontrer les indicateurs économiques. Nous ne pouvons pas oublier que Menem a passé ses deux premières années de gouvernement dans un contexte hautement convulsé avant de défaire d’importantes grèves du secteur public résistant aux privatisations et résolvant les frictions inter-bourgeoises en constituant un nouveau bloc hégémonique, s’articulant autour des entreprises privatisées et des banques, et en profitant de la nouvelle vague de néolibéralisme surgi du triomphe étasunien dans le Golfe et l’établissement de gouvernements capitalistes restaurationnistes en Russie, en Europe de l’Est et en Chine [6].
(…)

La crise d’hégémonie bourgeoise.

Bien que le pire moment du naufrage économique semble être passé et que les actions des masses ont perdu le dynamisme des premiers mois de l’année, la crise de domination bourgeoise reste extrêmement aiguë.

Au cours de ces derniers mois, le gouvernement a mis de côté toute tentative de réforme. Loin du “Qué se vayan todos/Qu’ils s’en aillent tous”, ils ont “tous” conspiré pour rester. “L’ancien régime [7]] ” du Pacto de Olivos, blessé ã mort par l’action des masses des 19 et 20 décembre, montre qu’il entend résister jusqu’à la fin. Même les mesures envisagées en début d’année pour “changer quelque chose pour que rien ne change fondamentalement n’ont pas été menées ã bien. Rien ne s’est concrétisé. Ni la forme abâtardi du “ Qué se vayan todos” qui était la caducité des mandats –sans même parler d’Assemblée Constituante-, mais même l’ensemble des membres pourris et corrompus de la Cour Suprême conservent leurs postes. Certains politiciens patronaux les plus impopulaires comme Menem se sont même donné le luxe de se présenter publiquement. L’ancien président est passé de la prison et de l’immobilité de faire un pas dans la rue, ã réaliser des meetings de campagne de quelques milliers de personnes entendant être le candidat officiel du PJ, même si cela accentue la fragmentation du péronisme.

Actuellement, le sauvetage des anciens politiciens du Pacto de Olivos reste le principal succès du faible gouvernement de Duhalde qui a vu tous ces projets échouer. Ainsi il n’a même pas pu obtenir la reconnaissance comme candidat du péronisme Carlos Reutemann, le plus ã même d’unir le plus de fractions et le candidat préféré par l’establishment. De plus, le calendrier électoral a été modifié plusieurs fois et il est peu aisé de dire aujourd’hui quand et sous quelle forme se réaliseront les prochaines élections.

Malgré tout, l’intensité des actions de masse a diminué considérablement et le gouvernement reste en place. La promesse du « gouvernement de transition » -tel que s’est lui-même présenté l’exécutif duhaldiste- consistant ã « éviter l’anarchie » -nom que donne la bourgeoisie au spectre de la révolution- semble avoir été respectée, du moins momentanément. Il est indéniable que cela représente un changement par rapport aux mois ayant suivi les journées de décembre.

Ce serait en revanche une erreur de considérer de manière unilatérale cette survie des acteurs du vieux régime et la précaire stabilité actuelle. La conquête que représente pour le gouvernement Duhalde le fait de s’être maintenu au pouvoir en évitant de nouveaux événements révolutionnaires, la préservation des institutions et des personnages haïs par la population sont des facteurs qui préparent de futures actions révolutionnaires : plus les vieilles figures du régime restent en place et plus augmente le divorce entre le régime et les masses, comme le montre le peu de soutien dont jouissent les candidats dans les sondages et la tendance croissante à l’abstention ou au vote nul [8]. Moins l‘on montre de volonté pour changer quelque chose « par en haut » et plus les masses vont chercher de chemins pour imposer des transformations « par en bas ». Dans un certain sens, le manque de réforme alimente la persistance du caractère révolutionnaire de l’étape actuelle. Ainsi, au delà d’avoir gagné ã court terme en évitant une nouvelle action de masse qui aurait parachevé ce qui avait été commencé en décembre, la crise d’hégémonie de la bourgeoisie se poursuit et toute erreur de calcul dans le rapport de force pour le gouvernement et la classe dominante peut générer de nouveaux soulèvements et actions de masse, comme cela est arrivé en juin à la suite du massacre d’Avellaneda [9] .

La crise d’hégémonie, bien qu’elle concerne l’ensemble des classes subalternes, ne s’est pas développée de la même manière parmi les classes moyennes et la classe ouvrière. Au sein des premières, il s’est produit une rupture avec leur direction historique, ce qui a condamné le radicalisme (UCR) ã être un peu plus qu’une ombre. Au cours des deux années de gouvernement De la Rúa, le radicalisme a pris une série de mesures anti-populaires qui l’a conduit à la rupture avec sa propre base sociale qui avait appuyé l’Alliance et qui a fini son expérience avec ce parti centenaire après sa relégitimation grâce au centre-gauche frépasiste (Frepaso).

Depuis la débâcle de l’UCR et du Frepaso, ce sont les classes moyennes qui sont apparues le plus sans aucune représentation politique au sein du vieux système politique des partis. (…) Le haut niveau d’abstention que prévoient les sondages électoraux parmi les secteurs de la classe moyenne démontrent bien qu’elle n’a pas trouvé de représentation politique adéquate. (…) Les démocrates réformateurs d’Elisa Carrió (ARI, Association pour une République des Egaux) n’ont pas non plus pu répondre aux revendications populaires. Son pari consistant ã canaliser le « Qué se vayan todos » entendue sous la forme mesquine de « renouvellement de tous les mandats » a échoué.

Dans le cas de la classe ouvrière, fondamentalement les secteurs regroupés dans les grands syndicats de l’industrie et des services, elle semble se retrouver derrière un des projets du péronisme, même si sa « fidélité »au justicialisme décroît de manière continue. Les intentions de vote prolétaire se trouvent divisés entre le soutien ã Rodríguez Saá, Menem, ou le rejet de l’ensemble des candidats. Tout cela a son explication dans le manque de protagonisme des secteurs syndicalisés de la classe ouvrière au cours des derniers mois. A son absence d’intervention directe –c’est-à-dire avec ses méthodes et ses organisations- pendant les Journées révolutionnaires, on doit ajouter la trêve sociale entre les directions syndicales et Duhalde et la peur de la perte de l’emploi alors que le taux de chômage atteint des niveaux historiques. Ce manque de réponse n’a pas simplement ã voir avec l’actuelle inaction des directions syndicales. Elle est également liée aux projets dévaluationnistes développés auparavant par la CGT et des secteurs de la CTA. La seule exception ã ce calme ouvrier tout relatif a été le mouvement des usines occupées, avec Zanón et Brukman pour emblème, et s’étendant ã plus de 100 entreprises des secteurs économiques les plus divers et regroupant, selon les estimations, plus de 10.000 travailleurs.

Comment se complétera l’expérience de la classe ouvrière ou de secteurs significatifs avec le péronisme ? Nous ne pouvons pas savoir aujourd’hui si dans les prochains mois les travailleurs mèneront l’affrontement plus ou moins direct avec le gouvernement duhaldiste lui permettant d’avancer dans la conquête de l’indépendance de classe ou si ces affrontements auront lieu sous le prochain gouvernement, comme cela est le plus probable. Quoi qu’il en soit, bien que le péronisme ait été dans la crise actuelle la dernière soupape de sécurité du régime en tant que « parti de la contention » tel que nous l’avions appelé, il est peu probable que le péronisme se recompose ã partir du spectre de sa fragmentation actuelle, un spectre allant du populisme à la Rodríguez Saá à la continuité néo-libérale de Menem. (…)

Pour leur part, les classes moyennes urbaines, protagonistes actifs des journées de décembre et des manifestations lors des premiers mois de gouvernement de Duhalde, ont dans un certain sens connu un recul au cours des derniers mois. Mais les candidats péronistes trouvent très peu de consensus auprès de ces secteurs –l’exception de Kirchner probablement- et les divers projets non péronistes dans la course ne génèrent pas non plus beaucoup d’enthousiasme. La droite, qui a trouvé en López Murphy une nouvelle référence, est sur la défensive idéologique et attire une petite minorité de la classe moyenne élevée.

Le centre-gauche et une partie de l’extrême gauche qui aspirait ã bénéficier de l’effet Lula ne présente pas non plus un projet enthousiasmant [10]. Dans ce cadre, bien que les masses se trouvent actuellement dans une impasse relative au niveau de la mobilisation, les élections sont aujourd’hui pour la bourgeoisie plus une crise qu’une grande opportunité. Si le calendrier électoral se maintient en tant que tel, il est très probable que le prochain président ã surgir des urnes manque cruellement de légitimité dès le début de son mandat en raison des hauts niveaux d’abstention et de votes blancs ou nuls. En ce sens, les projets d’extension du mandat de Duhalde que soutiennent certains secteurs du gouvernement ont davantage ã voir avec ce manque d’issue et cette incertitude électorale qu’avec la légère embellie économique (veranito económico) comme voudraient le faire croire certains analystes.

Dans tous les cas, il est urgent de constituer, avec toutes les forces qui n’acceptent pas le piège électoral, un front (comando) national en faveur du boycott actif pour canaliser et organiser dans les rues le rejet que des millions d’Argentins expriment de façon passive pour l’heure.

Les avancées du mouvement des usines occupées.

Bien que les masses soient entrées dans une certaine impasse, ce qui a permis ã nouveau l’entrée en scène des politiciens de l’ancien régime, nous avons assisté au cours des derniers mois un processus de continuité et d’accumulation au sein de larges secteurs d’avant-garde.

En ce sens, le mouvement des usines occupées apparaît comme un nouveau phénomène, un phénomène dynamique et d’envergure nationale face à la relative stagnation du mouvement piquetero et la perte de vitesse des assemblées populaires, les deux autres grands mouvements que l’on a vu se développer au cours de cette dernière période [11]. Dans un récent article, Eduardo Lucita souligne que « le mouvement d’occupation d’usines et de gestion ouvrière a des points de contacts avec les autres mouvements. Il partage avec eux le caractère d’assemblée, prenant dans ses mains le débat sur qui décide et comment on décide ; avec le mouvement piquetero dont il partage le caractère autogestionnaire des initiatives entamées, c’est-à-dire décider de la résolution autonome des problèmes, aspect que les assemblées ont également commencé ã prendre ; dans leur ensemble, ces mouvements ont en commun leur caractère démocratique et la pluralité politique y prévaut, trait essentiel pour maintenir l’unité du mouvement.

Au-delà de la durée de ces formidables expériences et leur profondeur, elles montrent objectivement qu’il existe des détachements de travailleurs qui, impulsés par la crise, ont pris la parole, ont cessé d’être seulement des ouvriers, des employés, des techniciens, des intellectuels…pour avancer sur le chemin de la transformation en sujets collectifs, en sujets sociaux conscients [12] ».

Nous devrions même dire que le phénomène des usines occupées et produisant sous contrôle ouvrier est, parmi l’ensemble des mouvements originaux de lutte ayant surgi en Argentine, « le plus profond et radical… parce que les travailleurs remettent en question directement la propriété capitaliste, et montrent ce faisant un horizon pour l’ensemble des classes opprimées de la société [13] ». Tout en étant minoritaire, la signification qu’a le développement d’une nouvelle subjectivité ouvrière au sein d’un secteur d’avant-garde est énorme. Cela est tout particulièrement frappant ã travers les succès obtenus par l’aile de classe (clasista) de ce mouvement incarnée par les travailleurs et travailleuses de Zanón et Brukman.

L’émergence des usines occupées en tant qu’acteur d’envergure est en elle-même un démenti cinglant à la pseudo-théorie du « sujet piquetero » formulée par le PO. En Argentine, le terme de piquetero a été associé au cours des dernières années au mouvement chômeur qui a pris pour principale méthode de lutte les barrages routiers, les piquetes. Les piqueteros ont été sans aucun doute un acteur fondamental de la lutte de classe ces dernières années, et ã certains moments ont été l’avant-garde de la classe ouvrière. Cependant, c’est une erreur anti-marxiste grossière que de réduire l’ensemble de la classe ouvrière au dénominateur commun piquetero. Au cours de ces dernières années, la classe ouvrière a utilisé d’autres méthodes de lutte telle que la grève générale et a recours aujourd’hui aux occupations d’usines, et les secteurs populaires s’organisent eux ã travers les assemblées populaires. On ne peut pas réduire ces deux ensembles au terme piquetero. Si la classe ouvrière et l’ensemble du peuple réduisaient leurs multiples formes d’action au seul piquete, ils ne pourraient pas renverser la classe dominante et conquérir le pouvoir.

De plus, dans la conjoncture actuelle, le mouvement chômeur présente certaines zones d’ombre. (…) La pratique de la majorité de ses composantes est avant tout axée sur la revendication de plus de Plans « jefes y jefas » et d’aide alimentaire, au détriment d’une stratégie basée sur la revendication du « travail véritable » ce qui la conduirait ã multiplier les actions unitaires avec les usines occupées et les autres secteurs de la classe ouvrière « en activité », [l’image de ce qui est impulsé par les membres de la coordination régionale du MTD de Neuquén (N.D.T.)]. Au lieu d’aider ã une coordination honnête entre les différents secteurs en lutte, la formule du « sujet piquetero » employée par le PO mène ã une politique de méthodes bureaucratiques imposées aux autres mouvements de lutte, comme cela s‘est vu dans les assemblées populaires et comme en témoigne l’hostilité de ce courant à l’égard des travailleurs de Zanón et Brukman.

Au cours de la dernière période, l’importance du mouvement des usines occupées a grandi au niveau des secteurs populaires comme au niveau de la presse écrite bourgeoise ou de la télévision. Le quotidien Clarín lui a consacré plusieurs pages dans le supplément Zona de son édition dominicale. Clarín souligne l’existence de deux courants au sein de ce mouvement. L’un est coopérativiste et structuré autour du MNER (Mouvement National des Entreprises Récupérées) et l’autre impulse la nationalisation sous contrôle ouvrier des usines occupées, orienté par Zanón et Brukman. Le quotidien La Nación a publié des articles et des éditoriaux en appelant à la vigilance contre ces violations de la sacro-sainte propriété privée. Plus particulièrement, la presse a également souligné l’appui qu’ont reçu les ouvriers céramistes de Zanón de Hebe de Bonafini, la présidente de l’Association des Mères de la Place de Mai.

Dans l’usine, face ã plus de 200 ouvriers émus, Hebe a remis son foulard symbolique ã Raúl Godoy, dirigeant du SOECN (Syndicat des Ouvriers et des Employés Céramistes de Neuquén) ce qu’elle n’a fait qu’à deux reprises, en offrant son foulard ã Fidel Castro et au Sous-commandant Marcos. Cet événement a été une démonstration supplémentaire de la nouvelle subjectivité ouvrière qui se développe parmi les ouvriers de Neuquén. Cette nouvelle conscience concerne tant leur conscience politique de classe comme le fait de prendre en main les tâches d’achat de matériels nécessaires à la production et la vente de la production. Il s’agit bien d’un véritable exemple dont l’importance va bien au-delà des frontières de l’Argentine et qui nous rappelle inévitablement l’expérience du syndicalisme de classe cordouan du SITRAC-SITRAM (syndicat des travailleurs de l’automobile de Córdoba) des années 1970.

Comme le soulignent Emilio Albamonte et Manolo Romano dans l’article que nous avons précédemment cité, « cette nouvelle avant-garde ouvrière n’a pas même fait partie d’insurrections (c’est là la principale limite des journées de décembre) et n’a pas non plus de conscience politique de classe, ni même ‘socialiste’ comme dans les années 1970, et cela à la suite de deux décennies d’offensive néo-libérale, la perte de conquêtes et d’organisations, ce qui inclut bien entendu le processus de restauration capitaliste dans les Etats ouvriers bureaucratisés. En revanche, elle est le produit d’une crise capitaliste plus profonde que celle qui commença en 1968 alors que le plein emploi était garanti. Les occupations d’usines des années 1970 [en Argentine N.D.T.], sauf exceptions, ne relançaient pas la production, c’est-à-dire qu’elles n’étaient pas un double pouvoir sur le terrain de la production et ne se transformaient pas non plus, comme aujourd’hui, en petites écoles de planification.Ce nouveau phénomène de la subjectivité ouvrière est moins ‘classiste’ et socialiste du point de vue de la conscience politique et de l’idéologie. Elle est cependant plus ‘classiste’ dans la mesure où elle montre la capacité de la classe laborieuse ã organiser rationnellement la production, comme un signe avant-coureur d’un nouveau régime social sans exploiteurs, en tant que classe effectivement porteuse du socialisme. »

Le problème du pouvoir et la lutte pour la construction d’un Parti des Travailleurs Révolutionnaire.

La nouvelle avant-garde qui se forge ã travers l’étape révolutionnaire ouverte en décembre se retrouve face ã un défi multiple. Elle doit non seulement répondre de manière révolutionnaire au piège électoral, mais aussi mettre sur pied de nouveaux organismes de front unique pour la lutte basés sur la démocratie directe et avancer dans le sens de la construction d’un outil lui permettant d’arriver à la victoire, un grand Parti des Travailleurs Révolutionnaire.

Jusqu’à présent la capacité de l’avant-garde ã répondre de manière unitaire dans les rues et influencer les masses ne s’est montrée que de manière épisodique. Le dernier exemple paradigmatique a été la réponse rapide face à l’escalade répressive du gouvernement à la suite de l’assassinat de Maximiliano Kosteki et Darío Santillán le 26 juin 2002.

Le relatif succès du gouvernement Duhalde qui a réussi ã éviter de nouvelles actions de masse s’est vu renforcé par l’impuissance des secteurs les plus radicalisés ã se diriger aux masses qui sont, aujourd’hui, passive. Malheureusement, au cours des derniers mois, on n’est pas allé dans le sens d’un Congrès Unitaire, d’un centre coordinateur de toutes les expressions de lutte. Bien que de nombreux mouvements et tendances soutiennent dans les mots la nécessité d’une telle convocation, les usines occupées, les assemblées de quartiers, les mouvements piqueteros, les délégués ouvriers et étudiants combatifs n’ont pas d’expression politique ni d’organisation centralisées. L’Assemblée Nationale des Travailleurs, qui aurait pu être un pas en ce sens, s’est finalement réduite –ce qui incombe à la responsabilité de ses principaux organisateurs- ã des réunions de plusieurs tendances du mouvement chômeur.

Des organismes tels que la Coordinadora del Alto Valle, impulsée –et ce n’est pas un hasard- par les céramistes de Neuquén et le MTD (Mouvement des Travailleurs au Chômage ) local sont aujourd’hui encore des exceptions [14]] . Peu importe leur nom, la mise en place et la généralisation d’organismes de cette nature sont fondamentales pour que le classe ouvrière soit une véritable alternative de pouvoir et pour que ses secteurs les plus combatifs et conscients disputent aux directions bureaucratiques la direction des larges masses laborieuses.

Dans toute étape révolutionnaire, comme celle que nous traversons aujourd’hui, c’est la question du pouvoir qu’il s’agit de régler. C’est là qu’apparaît toute la nocivité des conceptions réformistes qui s’adaptent aux pièges et aux changements « démocratiques » de régime comme de ceux qui soutiennent qu’il est « possible de changer le monde sans prendre le pouvoir ». Nous avons ã affronter ces positions puisque se poser la question du pouvoir c’est se poser la question des voies de construction d’une direction révolutionnaire.

Dans l’étape qui s’est ouverte en Argentine, sa mise sur pied est une possibilité réelle. Pensons simplement que l’idée que les ouvriers occupent les usines et les fassent fonctionner ou que les membres des assemblées occupent des terrains ou des édifices pour que s’y déroulent leurs activités est désormais populaire en Argentine. Ce processus de délégitimation d’aspects fondamentaux sur lesquels se base le régime capitaliste, tel que le respect de la propriété privée et de l’Etat, ne fera pas marche arrière sans d’importantes défaites pour le mouvement ouvrier et populaire. Enfin, l’élément de direction consciente du processus, bien qu’il se soit quelque peu développé depuis décembre, se retrouve aujourd’hui en deçà de ce que réclament la maturation générale de l’avant-garde et la conscience de secteurs de masses.

C’est précisément pour aider ã développer ce facteur de direction politique que le PTS dirige son appel [15]] aux organisations, dirigeants et militants ouvriers, piqueteros, assembléistes et étudiants qui revendiquent la lutte pour la révolution ouvrière et socialiste, et tout particulièrement le MAS et le PO, pour aller dans le sens de la constitution d’un grand parti des travailleurs révolutionnaire unifié. Ce serait l’instrument pour que les dizaines de milliers de militants qui renouent aujourd’hui avec le fil révolutionnaire laissé par la génération des années 1970 puissent mener les travailleurs à la victoire. Dans cette étape révolutionnaire initiée en Argentine dans laquelle une des deux classes fondamentales imposera son issue à la crise historique que traverse le pays, que la classe ouvrière triomphe dans la « course de vitesse » qui a commencé !

* L’auteur, Christian Castillo, est dirigeant national du Parti des Travailleurs pour le Socialisme (PTS), représentant en Argentine du courant quatrième internationaliste Fraction Trotskiste-Stratégie Internationale. Il est membre de la revue Estrategia Internacional et dirige Los cuadernos del CEIP (Centre d’Etude, de Recherche et de Publication Léon Trotsky de Buenos Aires). Emprisonné puis expulsé du Mexique à la suite de la grande grève de l’UNAM, il a été élu démocratiquement pour la première fois dans l’histoire de l’Université argentine, contre les vieilles camarillas bureaucratiques de la faculté, au suffrage universel direct par les enseignants, personnel technique et administratif et les étudiants à la tête de la carrera (UFR) de Sociologie de la Faculté de Sciences Sociales de la UBA (Université de Buenos Aires) en 2002. Publié pour la première fois dans la revue universitaire Lucha de Clases, Buenos Aires, novembre 2002.

 

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