La première session de la Conférence a été consacrée à l’analyse détaillée de la situation et des perspectives de l’économie mondiale ã un an de la faillite de Lehmann Brothers. Nous sommes partis de la chute au cours de la dernière période du commerce mondial, du PIB des principales puissances économiques mondiales ainsi que de leurs bourses ã un niveau comparable ã celui de la première année de la Grande Dépression. Voilà ce qui sous-tend notre analyse selon laquelle nous vivons une crise historique du capitalisme mondial.
Nous avons abordé dans un second temps ce qu’on a voulu faire passer récemment pour des symptômes de reprise tant en Allemagne et en France qu’au Japon, en fonction des derniers chiffres qui ont été publiés. De manière synthétique nous pourrions affirmer que si la santé de l’économie mondiale n’est pas aussi mauvaise qu’elle ne l’était au cours des derniers mois, cela est principalement dû aux plans de sauvetage et d’intervention publics colossaux qui ont été adoptés et qui n’ont aucun antécédent en époque de paix. Pour donner une idée de l’importance de ces plans cela représente prés de onze points de PIB pour l’économie nord-américaine. Voilà fondamentalement ce qui explique les meilleurs résultats de l’économie mondiale au second trimestre 2009. La question centrale consiste donc ã savoir si ces mesures sont viables ã moyen et long terme et quelles seraient les caractéristiques de la reprise si l’on assistait ã un certain retour de la croissance.
Les aides publiques étasuniennes ne peuvent perdurer dans le temps sans que cela ait de graves répercussions sur la position du dollar. L’énorme déficit public pourrait générer des doutes sur la solidité des obligations du Trésor américain et du dollar et entrainer un retrait des capitaux investis aux Etats-Unis, tout comme une dépréciation brutale du dollar pourrait mener ã une nouvelle chute abrupte de l’économie mondiale.
Parallèlement les éléments structurels ayant mené à la crise, tant au niveau de l’économie réelle que du système financier, sont largement inchangés. Pour n’en énumérer que quelques uns il suffit de songer au fait que plusieurs grandes multinationales font baisser drastiquement leurs dépenses salariales par le biais de licenciements ou de mise au chômage partiel ce qui leur a permis d’améliorer leurs chiffres sans pour autant faire augmenter les ventes. Les injonctions de paiement hypothécaire vont continuer ã augmenter, ce qui empêche une reprise du marché. Un autre facteur dont il faut tenir compte est le fait que c’est fondamentalement l’augmentation du chômage plus que les crédits subprimes qui est à l’origine des impayés des foyers. Le système bancaire quant à lui continue ã souffrir en grande partie d’une décapitalisation certaine. Les résultats communiqués récemment ne doivent générer aucune illusion. Les règles comptables sont extrêmement souples, les ventes exceptionnelles d’actifs améliorent les chiffres d’affaire et l’essentiel des profits est lié aux opérations menées dans le cadre des places boursières qui connu une certaine embellie. A cela il faut ajouter que les établissements bancaires profitent des nécessités de financement des Etats et des entreprises qui doivent payer des taux d’intérêt toujours plus importants pour obtenir des fonds. Les banques continuent cependant ã devoir affronter la question des crédits impayés ainsi que des subprimes qui continuent ã polluer leurs portefeuilles. Cela explique pourquoi depuis le début de l’année les faillites bancaires se sont multipliées aux Etats-Unis : 77 au total, avec notamment la faillite de la Colonial Bank, la banqueroute la plus spectaculaire depuis la chute du Washington Mutual (racheté en 2008 par JPMorgan Chase), une des vingt faillites les plus importantes depuis 1980. A cela il faut ajouter les nouvelles pertes cumulées par AIG dans le secteur des assurances ou de Fannie Mae dans celui des hypothèques liées au marché immobilier.
Cette situation se combine ã une faiblesse de leadership qui caractérise la nouvelle administration Obama. Cette situation est mise en exergue par les cafouillages liées à la mise en place de la réforme du système de santé américain ce qui pourrait fortement entamé l’image de Barack Obama en tant que dirigeant efficace. Sa politique à l’égard du système bancaire, essentielle pour la reprise économique, a été totalement dessinée par Wall Street par l’entremise de son secrétaire d’Etat au Trésor Timothy Geithner et du conseiller national à l’Economie de la Maison Blanche, Larry Summers, ã qui Obama a donné carte blanche.
La persistance des éléments de crise structurelle démontre bien qu’une rechute de l’économie pourrait avoir lieu ã tout moment, soulignant ainsi combien, dans le meilleur des cas, si reprise il y avait, cette dernière ne pourrait qu’être que faible et fragile. Il est impossible que l’économie mondial revienne au statu quo antérieur à la crise, caractérisé notamment par une chute des revenus des ménages et un surendettement. Jusqu’à présent cependant rien de nouveau ne semble émerger de la crise, malgré sa profondeur et sa violence.
La crise économique, les rapports interétatiques et les différents scénarios stratégiques possibles
La Conférence a également débattu, en tenant compte notamment de la remise en cause de la prédominance des Etats-Unis sur le système économique mondial, conséquence directe de la crise, de l’évolution des rapports entre les principales puissances et les Etats ainsi qu’aux possibles scénarios auxquels nous pourrions faire face. L’approfondissement de la crise de l’hégémonie nord-américaine à la suite notamment de la débâcle iraquienne ainsi que de l’échec de la stratégie étasunienne consistant ã prétendre « redessiner le monde » ouvre une période historique de forte instabilité sur l’échiquier international. L’instabilité économique est appelée ã aiguiser les tensions géopolitiques croissantes qui existaient déjà avant la crise. C’est le cas par exemple du rapport entre Moscou et Washington qui a pour toile de fond le conflit russo-géorgien.
Ces éléments, accompagnés d’une augmentation du niveau de lutte de classes dérivant de la crise, actualisent la définition marxiste de l’époque impérialiste en tant qu’époque de crises, guerres et révolutions. Nous assistons d’ailleurs aujourd’hui ã des signes avant-coureurs de ce qui pourrait avoir lieu ã plus grande échelle à l’avenir : il suffit de penser au coup d’Etat au Honduras, à la grève générale semi-insurrectionnelle en Guadeloupe, à la lente réémergence du prolétariat industriel, bien qu’il puisse connaître dans un premier temps des défaites, avec les méthodes radicalisées reprises par les travailleurs en France, à l’occupation héroïque de 77 jours de l’usine automobile Ssangyong en Corée du Sud, ou encore au réveil ouvrier au Venezuela et en Argentine, plus étendu mais moins radicalisé. D’autres éléments soulignant le caractère convulsif de la situation actuelle sont ã chercher du côté des tensions entre la Colombie et le Venezuela, des nouvelles menaces proférées par Moscou à l’égard de la Géorgie ou encore de l’alliance du Kremlin avec le régime iranien que la Russie pourrait être tentée de fournir en armements sophistiqués afin de contenir les plans offensifs des Etats-Unis dans sa zone d’influence.
Une des discussions de la Conférence a également consisté ã s’élever contre les visions pacifistes, social-démocrates et de centre-gauche qui théorisent que nous avançons vers un monde multipolaire à la suite de décennies d’hégémonie étasunienne et qui voient dans le Sommet du G20 ou les réunions du BRIC (groupe Brésil, Russie, Inde et Chine) les signes avant-coureurs de cette transformation. Il s’agit-là de théories totalement utopistes. Par-delà les apparences nous assistons en fait ã un renforcement des tendances les plus agressives et offensives des principales puissances impérialistes.
Un des symptômes de ces tendances est la concentration croissante du capital allemand en Europe de l’Est alors que Berlin cherche ã maintenir de bonnes relations avec Moscou. Cette autonomie grandissante de l’impérialisme allemand par rapport ã Washington est un fait nouveau par rapport ã ce que l’on a connu au cours de l’Après-guerre et c’est une tendance que les Etats-Unis tentent d’ailleurs de miner. En ce sens la poursuite de la part de l’administration Obama d’une politique agressive à l’égard de la Russie, dont témoigne par exemple la volonté d’installer un bouclier anti-missile en Pologne, vise ã déstabiliser cette alliance potentielle entre l’Allemagne et Moscou, même si cela ne veut bien entendu pas dire qu’aujourd’hui les Etats-Unis et l’Allemagne soient déjà en train de s’affronter ouvertement à l’Est.
Un autre des aspects de la politique agressive de Washington à l’égard de Moscou et par conséquent à l’égard de l’impérialisme allemand réside dans le rapprochement qu’opèrent les Etats-Unis par rapport à la Chine et la bureaucratie restaurationniste au pouvoir ã Pékin avec laquelle la Maison-Blanche a ouvert un « dialogue stratégique ». Cette politique qui avait déjà commencé sous Bush a un objectif double. D’un point de vue défensif tout d’abord il s’agit pour Washington d’éviter que la Chine ne s’aligne dans un bloc asiatique aux côtés de la Russie. D’un point de vue offensif l’objectif est de trouver la meilleure voie afin de transformer la Chine en une semi-colonie, en liquidant les marges de manœuvres étatiques dont dispose encore Pékin, en subordonnant le pays aux intérêts de Washington dans le but de redonner, dans le meilleur des cas, un nouveau souffle au capitalisme. Cet ambitieux projet de l’impérialisme nord-américain laisse entrevoir que l’avenir proche pourrait être marqué par des affrontements et des conflits de classe aigus.
L’avenir de la Chine
L’idée selon laquelle la Chine serait une puissance en plein développement est parfaitement erronée. En raison de la fin du dernier cycle économique au cours duquel les Etats-Unis agissaient en ultime instance comme le consommateur de l’économie mondiale en général et de la production chinoise excédentaire en particulier, l’économie chinoise se trouve aujourd’hui en grande difficulté. Cela oblige la Chine ã réduire drastiquement sa capacité de production et ã entamer une série de réformes allant dans le sens d’une libéralisation du secteur des services, d’une profonde réforme de son système financier mais également d’élargir pour les capitalistes les possibilités d’investissements à la campagne où continuent ã vivre 900 millions de Chinois sur la base d’une économie de subsistance et grâce aux envois d’argent à leur famille que réalisent les travailleurs migrants.
Si la Chine décidait de maintenir sa capacité de production et de continuer ã exporter son excédent alors elle courrait le risque d’une guerre commerciale non seulement avec les pays du Sud-est asiatique mais également avec les Etats-Unis et l’Europe. A l’heure actuelle de surcroit aucune des économies semi-coloniales en directions desquelles se tournent les marchandises chinoise ne serait capable de remplacer le rôle joué par le marché nord-américain au cours de la phase économique antérieure.
Les Etats-Unis cherchent ã diminuer le rythme de la contraction de la demande par le bais de l’expansion fiscale. L’énorme déficit public oblige néanmoins Washington ã chercher de nouveaux marchés et de nouvelles dynamiques de croissance. Cela conduit les Etats-Unis ã augmenter ses pressions sur la Chine afin qu’elle abandonne son modèle de développement actuel basé sur les exportations. Cela signifie non seulement s’affronter ã un secteur interne chinois qui a d’énorme intérêts dans ce domaine mais également que la bureaucratie restaurationniste accepte de mettre en œuvre des mesures qui impliqueraient une élévation du taux de chômage, ce qui pourrait mettre en péril la stabilité du régime. Cette sorte de « latino-américanisaton » du pays que Washington prétend imposer à la Chine pourrait réveiller la lutte de millions de travailleurs et de paysans chinois, transformant le pays en un épicentre de la lutte de classe.
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