Zanon ou encore Fasinpat, l’usine sans patron de Neuquén, en Patagonie argentine, continue à lutter avec opiniâtreté depuis prés de dix ans bientôt. Un combat classe contre classe, contre patrons, gouvernements et bureaucratie syndicale qui a fait le tour du monde, le tour des films même, avec des documentaires de toutes sortes, des plus confidentiels aux plus connus, à l’image de The Take, de Naomi Klein, icône du mouvement altermondialiste.
La lutte de Zanon a connu un tournant en août de l’année dernière. L’usine et les machines ont été expropriées par le gouvernement provincial et la coopérative de production Fasinpat qui avait jusqu’à présent en charge l’usine de manière transitoire est désormais propriétaire de l’usine.
Cette situation, qui n’est encore tout ã fait acquise comme le montrent dernièrement les grèves et les manifestations orchestrées par les travailleurs de l’usine afin que la loi votée le 12 août dernier soit réellement traduit en texte de loi, complique encore un peu les choses tout en symbolisant le rapport de force qu’ont réussi ã créer les ouvriers de Zanon avec le pouvoir bourgeois.
D’un point de vue légal, alors que les ouvriers de Zanon, aux côtés des chômeurs organisés, les piqueteros, les travailleurs combatifs de la région, les jeunes et les étudiants, ont résisté ã de multiples tentatives d’expulsion, la loi votée laisse désormais un certain répit aux travailleurs. Ces derniers n’entendent pas néanmoins baisser la garde et savent que la bourgeoisie s’apprête à leur tendre tous les pièges du monde pour tenter de faire capoter leur expérience, en les asphyxiant économiquement et en leur coupant les réseaux d’approvisionnement en matière première notamment, en raison de « la crise ». Les travailleurs de Zanon ont d’ailleurs été parmi les premiers ã dire haut et fort qu’ils n’entendaient pas payer la facture de la crise capitaliste et de ses répercussions en Argentine. C’est pour cela qu’ils ont continué à lutter pour la coordination des secteurs combatifs et lutte de classe du mouvement ouvrier et de la jeunesse en Argentine au cours des dernières années, en défendant dernièrement la perspective de constitution d’un instrument politico-syndical des travailleurs, indépendant de toutes les fractions de la bourgeoisie, tant du gouvernement de centre-gauche des Kirchner et ses alliés que de l’opposition de droite.
D’autre part les travailleurs sont également conscients que la loi d’expropriation d’août ne répond pas à leur revendication historique. Les Zanon se sont distingués de la grande majorité des « entreprises récupérées » argentines à la suite de la crise de 2001 en s’opposant à la solution « coopérativiste » ou « autogestionnaire » plus ou moins intégrée au système. Ils ont effectivement toujours défendu le mot d’ordre d’expropriation sans indemnisations de leur usine et sa nationalisation sous contrôle des travailleurs et au service des couches populaires. De ce point de vue, l’expropriation votée au mois d’août n’est en aucun cas une victoire complète pour les ouvriers céramistes.
Il n’en reste pas moins que leur lutte a laissé, laissera et continue à laisser des traces fortes au sein de l’avant-garde de classe argentine et au-delà . C’est avec tout un héritage que les Zanon ont renoué au coursde ces dernières années, celui de la démocratie ouvrière, de la combativité, de l’auto-organisation, antibureaucratique, anti-patronale et anticapitaliste. C’est notamment leur syndicat, le SOECN, dont les statuts ont été réécrits en 2005, qui leur a permis de mener ce combat et de le propager en direction des autres secteurs ouvriers combatifs. C’est aussi leur pratique quotidienne, sur Zanon mais également dans les autres usines de la branche céramiste de la province de Neuquén, qui a permis d’ancrer dans la conscience ouvrière ce souci constant d’une démarche fondée sur l’indépendance de classe et la démocratie par en bas.
Nous présentons dans ce numéro spécial de Stratégie Internationale une série de textes et d’interviews qui illustrent les différentes étapes de la lutte de Zanon jusqu’à aujourd’hui ainsi que le combat politique qu’a livré le Parti des Travailleurs pour le Socialisme (PTS) tout au long de ce processus. Nous publions également avec ces textes un des premiers court-métrage réalisé en 2002 par le groupe de vidéastes Contraimagen, un collectif d’artistes engagés aux côtés des luttes ouvrières et populaires, en Argentine comme ailleurs, de la mémoire ouvrière et de l’histoire de notre classe.
A un moment où la crise capitaliste semble redoubler d’impact en Europe et où la Grèce semble préannoncer ce ã quoi nous devons nous préparer, les leçons que l’on peut tirer du combat de Zanon sont extrêmement précieuses. Certains camarades de l’usine se rappellent encore comment en 2001, alors que les ouvriers occupaient le parvis de l’usine à la suite de l’annonce du plan de licenciements et que le chômage touchait près du tiers de la population active en Argentine, Raúl Godoy, un des principaux dirigeants du SOECN, faisait le tour des petits groupes d’ouvriers qui montaient la garde devant les grilles en leur montrant une vieille brochure polycopiée. Il s’agissait d’un témoignage sur l’expérience de Lip en 1973, ã Besançon. « C’est loin, tout ça, disaient les ouvriers ». « Et puis ça s’est passé en France, ici on est en Patagonie », répondaient d’autres travailleurs qui quelques mois plus tard allaient non seulement occuper leur usine mais également la remettre en marche. L’expérience se poursuit encore aujourd’hui, avec 470 travailleurs, prés de la moitié embauché ã salaire égal après le début de l’occupation parmi les mouvements chômeurs et les communautés Mapuches notamment, montrant la puissance de la classe ouvrière si elle venait ã se rapproprier l’instrument de production en expropriant les expropriateurs, non pas seulement à l’échelle d’une petite usine, mais de la société entière.
Si Lip et Besançon semblent aujourd’hui si proches aux travailleurs de Zanon le message qu’ils nous envoient a une portée qui va bien au-delà des frontières de la Patagonie argentine : « zéro licenciement, usine qui ferme, usine qu’il faut occuper et faire marcher sous contrôle ouvrier ! ». Voilà le slogan des ouvriers de Zanon après 2001. Il s’agit-là d’un slogan d’une brulante actualité en France actuellement. Les ouvriers et ouvrières de Philips Dreux en ont fait l’expérience quelques jours en janvier 2010, avec l’impact que l’on sait. Quelle ne serait pas la portée d’une telle revendication si les travailleurs et les travailleuses licenciés commençaient à la porter collectivement… Après l’expropriation de Zanon, la lutte continue donc. En Patagonie argentine comme ici.
Bonne lecture et bon visionnage,
Le comité de rédaction de Stratégie Internationale
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