Abdessalem Jerad (droite), secrétaire général de l’UGTT, lors d’une manifestation pro-palestinienne, ã Tunis, le 3 juin 2010.
AFP/FETHI BELAID
Mardi 18 janvier, la direction de l’UGTT demande ã trois ministres, estampillés de l’étiquette syndicale, de quitter le gouvernement. Celui-ci a été formé la veille. Les trois hommes devaient jouer le rôle de ministres "d’ouverture". Par ce geste, le syndicat martèle sa volonté de rester partie prenante du processus démocratique qui s’est mis en marche, dans la rue, en Tunisie.
"Cette composition [du gouvernement] n’est pas en harmonie avec les aspirations et les attentes des travailleurs (...) pour faire face aux pratiques du passé et pour respecter les équilibres vu la présence massive de figures de l’ancien régime et de représentants du parti RCD…", indique, mardi, le secrétaire général Abdessalem Jerad. La direction du syndicat dénonce aussi "la marginalisation du rôle de l’UGTT dans ledit gouvernement de transition".
Il est vrai que le syndicat n’a pas toujours été tenu à l’écart de l’histoire politique du pays et de ses gouvernements. Souvent vécue comme proche du pouvoir, pilier de la société tunisienne, à la tête aussi de mouvements sociaux depuis des années, traquée, l’UGTT – qui revendique 517 000 adhérents – est une organisation atypique dans le mouvement syndical international.
RCD ET UGTT : DEUX PILIERS QUI MAILLENT LE PAYS
"C’est notre histoire, explique Habib Briki, secrétaire général adjoint de l’UGTT, nous avons joué à l’origine un rôle politique. En 1957, Habib Bourguiba [le père de l’indépendance] a fait un gouvernement constitué ã 50 % de membres de son parti et ã 50 % de l’UGTT. Les volets sociaux et économiques des programmes étaient faits par le syndicat."
Dès les débuts de la République tunisienne, au lendemain de l’indépendance en 1956, l’UGTT et le Parti socialiste destourien, auquel a succédé le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) – ces deux piliers maillent le pays –, ont été parfois étroitement associés, souvent en opposition. Les directions, les secrétaires généraux ont été alternativement très proches du régime ou emprisonnés, voire contraints à l’exil. Mais le syndicat a perdu beaucoup du prestige acquis dans les années 1970.
Yves Veyrier, secrétaire confédéral de l’organisation française Force ouvrière, se rappelle du 21e congrès de l’UGTT auquel il a assisté en décembre 2006, ã Monastir, ville côtière du nord tunisien. "La police encerclait la salle où trois tendances s’affrontaient. En fait, raconte ce spécialiste des questions internationales, le gouvernement voulait empêcher l’une d’entre elles de pénétrer dans le congrès et il a fallu, après des affrontements, que la direction négocie avec le pouvoir." Une synthèse a finalement été trouvée et le représentant de la Ligue des droits de l’homme tunisienne, poursuivie par le régime de Ben Ali, est même intervenu lors de ce congrès, se souvient Yves Veyrier.
VERS LA FIN DU SYNDICALISME UNIQUE ?
A la Confédération syndicale internationale (CSI), qui regroupe la quasi totalité des syndicats du monde, dont l’UGTT, on reste prudent. "L’UGTT est une centrale syndicale unique qui a dû, pour exister, faire des concessions, accepter le cadre imposé par le régime", explique un permanent de la CSI. "Une partie des salariés, des jeunes, pourrait demander à l’instar de ce qui se passe au niveau politique, un changement à la tête du syndicat, voire la fin du syndicalisme unique", dit-il encore.
"Aujourd’hui, veut croire le dirigeant Habib Briki, l’histoire ressemble ã celle de 1957 : la révolte du peuple a été soutenue par l’UGTT, qui a organisé les assemblées générales dans les villes. La grève générale que nous avons menée le 14 janvier dans la région de Tunis a été décisive pour le départ de Ben Ali."
Le syndicat, marqueur de l’histoire de la Tunisie, ne veut pas être en dehors de la "révolution du jasmin".
Rémi Barroux
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