Par Elodie Auffray, envoyée spéciale au Caire
Un manifestant faisant face aux canons ã eau de la police égyptienne, au Caire, vendredi.
Un manifestant faisant face aux canons ã eau de la police égyptienne, au Caire, vendredi. (Reuters)
Impossible de traverser le Nil, la place Tahrir au centre-ville est inacessible, les téléphones mobiles sont coupés, Internet est bloqué et les rues bouclées. C’est dans une véritable souricière que les autorités égyptiennes ont coincé les manifestants vendredi.
La jonction de différentes manifestations parties de plusieurs endroits après la prière de 13 heures n’aura jamais eu lieu. Les manifestants, par grappes de centaines, tentent des percées systématiquement repoussées par des tirs de gaz lacrymogène. La place Talaat Harb, deuxième place principale du centre-ville, est tour ã tour envahie par la police, regagnée par les manifestants. Les slogans les plus entendus : « Le peuple ne veut plus du gouvernement », ou encore un simple « liberté » scandé.
« La liberté a un prix, elle n’est pas gratuite »
Dans les ruelles adjacentes, on croise Mustapha, 26 ans, docteur en langue arabe et chômeur, assis sur un muret, masque de protection abaissé. Il tient à la main une simple feuille de papier sur laquelle sont inscrits les trois mots, en arabe et en anglais : « Changement, liberté, égalité sociale ». A côté de lui, un vieil homme peint un bout de carton ã même le sol : « Dehors Moubarak ! » Mustapha l’interpelle : « S’il vous plaît, écrivez que nous resterons dans cette rue jusqu’à ce qu’il parte. » « J’ai 39 ans, il est au gouvernement depuis que j’ai 9 ans, ça suffit ! » A 90 ans, Mohamed, lui aussi pris au piège, regarde de loin : « Je veux prendre part aux manifestations, même si c’est la dernière chose que je fais dans ma vie. » « Même si 20 millions de personnes doivent mourir, tous les autres millions vivront dans la dignité » s’énerve ce médecin retraité. « La liberté a un prix, elle n’est pas gratuite. »
La foule est diverse : beaucoup d’hommes jeunes, mais aussi des plus vieux, des femmes, des jeunes filles, quelques enfants. Aux balcons, les habitants prodiguent parfois des conseils ou jettent de l’eau, des oignons, pour éviter les effets des gaz lacrymogènes.
Prière improvisée dans la rue
A deux pas, les rues sont plus calmes. On y croise même des jeunes qui taquinent le ballon de foot, des livreurs ã vélo, des hommes fumant la chicha à la devanture des échoppes, des badauds rieurs. Seuls les yeux qui piquent et les tirs de grenades lacrymo rappellent que des combats se déroulent dans les rues parallèles. Rassemblés dans des échoppes, des petits groupes d’hommes regardent les événements sur Al Jezira. Pour la première fois, la télévision égyptienne parle des affrontements.
En fin d’après-midi, alors que la nuit tombe, des manifestants se rassemblent sur la place Talaat Harb cernée de tous les côtés. Les tirs de lacrymo cessent un instant, le temps d’une prière improvisée dans la rue. A peine terminée, la foule repart à l’assaut des grandes artères. Une ambulance passe, embarquant un blessé. Puis ce sont deux jeeps de l’armée qui traversent la foule, accueillis par des cris de joie des manifestants qui s’y agrippent.
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