A force de trop fréquenter les hauteurs Dominique Strauss-Kahn a fini par dévisser. La presse « progressiste » européenne voudrait nous faire croire qu’avec DSK tout s’effondre, que ce serait la grande machine du centre-gauche qui se gripperait d’un coup d’un seul. Tout serait compromis : la victoire annoncée – ou en tout cas possible - contre Sarkozy. Mais aussi la possibilité de sortir l’euro de la crise, de sortir de la dette également. Voilà qu’n perdrait celui qui aurait pu être le président capable de redresser l’équilibre européen en contrant Berlin, non pas en bombardant Tripoli comme le fait Sarkozy actuellement, mais en négociant pied-à-pied avec Merkel. Que le séisme qu’entraîne la mise hors jeu de DSK dépasse les frontières hexagonales et les calculs politiques français est indéniable. Que cela vienne perturber les savants calculs de la bourgeoisie et d’un de ses partis en particulier, c’est avant tout le problème de la bourgeoisie. Cela ne change rien pour les travailleurs, la jeunesse, les classes populaires qui seront attaqués sur toute la ligne si c’est un président du PS ou de l’UMP qui est élu en 2012, qu’il s’appelle DSK, Hollande, Royal, Fabius ou Sarkozy.
Pourtant, pour faire penser que le sort des classes populaires ou du « peuple de gauche » serait solidaire de celui de DSK on nous matraque, depuis dimanche, ã coup de sondages d’opinion pour savoir si oui ou non DSK est un honnête homme et s’il n’est pas l’objet d’un affreux complot. Le principal des complots à l’heure actuelle c’est celui qui se trame au grand jour contre les travailleurs grecs, irlandais et portugais (la liste risque de s’allonger d’ailleurs) que le FMI et la bourgeoisie s’apprêtent ã saigner. La seule et unique victime de cette affaire et par laquelle le scandale est arrivé c’est la femme qui accuse DSK de tentative de viol : une travailleuse immigrée qui gagne sa vie en quittant tous jours son domicile du Bronx new-yorkais pour aller nettoyer les chambres ã plusieurs centaines d’euros la nuit du Sofitel de Manhattan. Dans ces chambres descendent des gens que le « peuple de gauche » (si tant est que concept ait une quelconque validité politique) devrait considérer avec aversion et dégout, comme de véritables ennemis de classe.
Il faudrait donc, au nom de l’Union sacrée anti - sarkoziste, pleurer sur le sort de DSK ? Qu’on n’attende aucune solidarité des travailleurs à l’égard du patron, soi-disant de gauche, d’une des principales institutions du capital international. Ni solidarité politique donc, ce ã quoi se risquent de moins en moins ses amis de la rue de Solferino, en sentant que cette fois-ci le scandale est trop gros. Ni solidarité nationale comme le déclaraient Baroin et Copé au nom du gouvernement et de la majorité, car avec DSK ce serait « l’honneur de la France » qui serait éclaboussé. La France n’a jamais eu besoin de qui que ce soit pour se trainer dans la boue. Dernièrement les blindés légers de l’armée française en opération coloniale ã Abidjan, ou les mirages de Monsieur Dassault, ont suffisamment bien illustré ce que valait « l’honneur de la France », pays des « droits de l’homme ».
L’étrange paradoxe de l’affaire DSK
Etrange paradoxe que DSK : un homme aussi avare en deniers publics lorsqu’il était à la tête de Bercy, sous Jospin, chef d’orchestre d’un programme de privatisation au nom de la gauche plurielle plus ambitieux que ceux de tous les gouvernements de droite précédents, adepte du régime sec (pour les smicards et les travailleurs), aussi généreux cependant quand il s’agissait de son confort personnel. Ce monsieur se pavanait en Porche en sortant de son pied-à-terre de la Place des Vosges pour dîner en ville, il y a peu. Mais généreux aussi en caresses non consenties et en droit de cuissage médiéval version socialiste. La presse fait désormais état, ã mots couverts, des comportements avérés de DSK. Ce qui est en cause c’est son penchant invétéré semble-t-il pour le harcèlement sexuel.
On aurait donc cloué au pilori un homme sans jugement s’insurge l’ancien ministre de la Justice de Mitterrand, Robert Badinter, conscience morale de la gauche française. Il faudrait être solidaire de la « souffrance » d’un homme qui n’a pas encore eu « droit à la parole » déclare Royal à la sortie du Conseil National de crise tenu par le PS le 17 mai.
Inutile de revenir sur la manière dont DSK a lui-même cloué au pilori des peuples entiers sans autre forme de procès que l’accusation portée par la froide logique du capital, par la voix des marchés et des agences de notation. Le droit à la parole, les travailleurs irlandais, grecs et portugais l’ont pris en descendant dans la rue et en se mettant en grève. La bureaucratie syndicale, largement liée aux PS locaux d’ailleurs, a cru bon de la leur reprendre pour éviter que la colère populaire ne déborde le cadre fixé par les confédérations : les plans d’austérité sont administrés en Grèce comme au Portugal par deux premiers ministres « socialistes » (Papandréou et Socrates jusqu’à la chute de son gouvernement il y a quelques semaines).
DSK serait passé devant un tribunal comme un vulgaire délinquant ? Il est vrai que DSK est un habitué des salles d’audience mais que dans les affaires précédentes où il avait trempé, la presse ne s’était pas bousculée au portillon pour voir un peu plus clair là où la justice de classe française l’avait systématiquement blanchi .
On lui aurait refusé sa mise en liberté sous caution, contre le paiement d’un million de dollars, soit 42 années de salaire d’un smicard ! Scandale encore s’insurge la presse française, encore un complot de la juge américaine.
Heureusement nous dit-on, DSK a pu passer sa première nuit dans une cellule individuelle et ne sera pas mélangé aux dangereux délinquants du pénitencier de Rikers Island où il est détenu. On a l’impression qu’il n’y a qu’aux Etats-Unis que les prisons sont surpeuplées et les matons violents !
A qui profite la chute de DSK ?
Le décor ressemble tellement ã un mauvais feuilleton que certains dans la presse ou dans l’entourage de DSK comme Jean-Christophe Cambadélis s’empressent de parler de « complot ». Ce qui est sûr, c’est que DSK a bel et bien trébuché et qu’il mettra du temps ã se relever. Complot ou non, certains en tireront profit.
Le séisme touche d’abord le PS. Comme nous le soulignions dans un précédent article « si d’un point de vue social le climat ne change pas radicalement au cours des prochains mois il est fort probable qu’à moins que le PS ne traverse une nouvelle période de paralysie, avec une guerre des éléphants qui délégitimerait son candidat, 2012 soit une victoire de la gauche bourgeoise. Le PS devrait l’emporter en s’appuyant sur une resucée de la gauche plurielle, avec Europe Ecologie comme béquille verte et le Front de Gauche comme façade réformiste. Cette victoire serait cependant davantage le fruit de la crise du sarkozysme que du renforcement du PS ». La guerre des éléphants, qui semblait évitée, pourrait se relancer de plus bel avec l’éviction de DSK lors de la primaire du PS.
L’éviction de DSK rend également un fier service également ã gauche, comme ã droite. Sarkozy tout d’abord, tout en étant prudent et en donnant ordre ã ses ministres et proches de faire profil bas, s’est débarrassé de son meilleur concurrent pour 2012. DSK avait été l’objet en 2007 de sa stratégie « d’ouverture » par le soutien qu’il lui avait apporté dans la course à la présidence du FMI. Sarkozy pensait l’avoir écarté durablement de l’échiquier politique français. C’était sans compter sur la pugnacité et le réseau de l’ancien ministre de Jospin. Cette fois-ci, sans que cela ne soit prévu ni voulu, DSK est définitivement hors-jeu. Il sera facile ã Sarkozy désormais de faire passer son troisième mariage et son goût du bling bling pour de l’eau bénite au regard des comportements de celui que la gauche encensait jusqu’à dimanche dernier comme son homme providentiel. Sarkozy peut laisser pendant ce temps ses porte-flingues et les sites internet liés à l’Elysée, face auxquels France Soir passe pour un journal de qualité, le soin de remuer l’affaire et trainer, par DSK interposé, le PS dans le caniveau .
L’affaire DSK tombe ã pic également pour Mélenchon et le Front de Gauche. Le chef du Parti de Gauche plaçait au premier rang des « sociaux-libéraux » de Strauss-Kahn qui avait pourtant été son ancien collègue alors que lui aussi en tant que ministre validait toutes les infamies « social-libérales » du gouvernement PS-PC-Verts entre 2000 et 2002. L’éviction de DSK de la course à la présidentielle résout bien des problèmes pour Mélenchon. Le FdG ne peut pas envisager de ne pas appeler ã voter PS au second tour en 2012 sans risquer de voir carbonisée sa représentation parlementaire à l’Assemblée (notamment celle du PC). Comme le notait Libération, si c’est Aubry ou Hollande qui y vont, Mélenchon aura toute latitude pour rentrer dans le rang au second tour, dans l’hypothèse assez probable d’un affrontement PS/UMP et négocier son soutien au gouvernement de centre-gauche .
DSK du côté des travailleurs européens ou du côté de l’euro ?
L’arrestation et la démission probable de DSK à la tête du FMI ouvre une période d’incertitudes importantes pour les bourgeoisies européennes, notamment en raison du retour du FMI sur le devant de la scène depuis l’explosion de la crise financière internationale et de son implication dans les dossiers européens. A moins d’être peu ou prou partisan d’une sorte de régulation des marchés dont DSK se faisait l’apôtre et de croire que les potions administrées par le FMI en Grèce, Irlande ou Portugal, auraient été moins pire pour les classes populaires que le scénario de la cessation de paiement, force est de constater que le rôle joué par DSK à la tête du FMI a été d’assurer une cohésion des marchés internationaux. La presse voudrait nous faire croire que sans lui ça aurait été pire ? Pire pour la fraction actuellement hégémonique au sein des bourgeoisies européennes sans doute. Les travailleurs, eux, se sont retrouvés la tête sous l’eau et c’était DSK qui la leur tenait. Ça a été là son rôle, dans un premier temps face aux turbulences traversées par l’Islande, le Pakistan et l’Ukraine notamment, par la suite afin d’éviter une fissure peut-être irrémédiable qu’aurait signifiée la sortie de la Grèce ou de l’Irlande de la zone euro.
Comme le note le Financial Times « les programmes les plus importants du FMI concernent aujourd’hui l’Europe. La crise de la zone euro, potentiellement contagieuse, représente la principale menace pour la stabilité financière internationale. (…) La taille de ses programmes remise au second plan les autres actions du FMI ». C’est en ce sens que le Financial Times plaide pour un européen pour remplacer DSK dans la mesure où son successeur aura a assumer un rôle avant tout politique (plus que technique) dans les négociations entre les différentes bourgeoisies européennes dont les intérêts sont toujours plus divergents alors que s’approfondit la crise et cela bien que Paris, Berlin et les autres capitales n’aient pas d’autres choix jusqu’à présent que de se s’unir pour parer au plus pressé. Cela ne veut pas dire par exemple que Berlin soit disposé ã participer de bon cœur à la rallonge de 60 milliards d’euros destinés à la Grèce afin d’éviter qu’Athènes ne dépose le bilan. C’est en ce sens que « l’importance primordiale du FMI au cours de la crise de la zone euro a été politique : dans une situation marquée par un manque de leadership politique de la zone euro, le FMI [en l’occurrence DSK]a rempli le vide ».
C’est sans doute pour cela que même Washington n’est pas favorable ã ce que le poste soit occupé par un non européen. Remplacer DSK, défini par certains comme « un Metternich ã BlackBerry », ne sera cependant pas une mince affaire. Le fait que certains puissent penser ã Christine Lagarde (qui a beau causer couramment l’anglais mais a sur le dos une procédure en cours dans le cadre de l’affaire Tapie-Crédit Lyonnais) peut faire sourire. C’est le parti des dirigeants des économies dites « émergentes », Inde et Chine en tête, qui voudraient placer un des leurs à la tête de l’institution. En fait ces pays entendent tirer profit des difficultés actuelles des économies impérialistes pour négocier en position de force et faire pression sur les grandes capitales en vu des négociations importantes qui auront lieu dans le cadre du G20 cette année. Les dissensions internes au sein de l’Union Européenne ne permettent pas d’assurer cependant que Bruxelles réussira ã faire nommer un de ses représentants à la tête du FMI afin d’éviter que la crise de la zone euro ne s’approfondisse. Une chose est sûre en tous cas : quelle que soit la nationalité de l’argentier mondial, les travailleurs de tous les pays n’ont rien ã en attendre de bon.
Le scandale berlusconien de la bourgeoisie française et l’alternative de classe
La situation de crise politico-institutionnelle que traverse l’Italie depuis l’élection de Berlusconi, suite à la chute du gouvernement Prodi, illustre ã échelle réduite un certain nombre de problématiques auxquelles nous aurons ã faire face dans les prochains mois. Dans le cas italien l’enchevêtrement des scandales dans lequel trempe le président du conseil témoigne de l’incapacité de la bourgeoisie ã mettre de côté Berlusconi. Impossible de trouver, au centre-gauche ou au centre, un axe politique capable de défendre de manière globale ses intérêts. Mais force est de constater que les scandales et la crise politique que traverse le pays n’ont pas été un avantage pour les travailleurs, dans le sens de leurs intérêts, contre les deux blocs politiques qui incarnent les intérêts des différentes fractions de la bourgeoisie italienne. Par manque de débouchés politique et de direction, plus que par manque de luttes, les travailleurs et la jeunesse en Italie n’ont pas réussi ã se tirer de la gangue paralysante dans laquelle ils se trouvent, en dépit de luttes souvent radicales et parfois de dimension nationale. C’est là une leçon qu’il faut aussi tirer en France notamment.
Le scandale DSK est un scandale de la bourgeoisie et la bourgeoisie peut le résoudre et en tirer profit, ã moyen terme, en petit comité, si aucun autre acteur ne se profile sur la scène politique nationale. Cette nouvelle crise qui s’ouvre pour le PS est loin d’être une crise pour ceux qui souhaitent se débarrasser de la politique pro-patronale que mène Sarkozy. C’est en revanche une crise pour ceux qui souhaitent se défaire de Sarkozy tout en gardant sa politique. C’était le projet de DSK. En témoigne d’ailleurs le vibrant hommage que lui a rendu Laurence Parisot, la patronne du MEDEF. Le scandale berlusconien de DSK pourrait favoriser le renforcement d’un des camps bourgeois ã moins que les travailleurs ne réussissent dès aujourd’hui, sans attendre 2012, ã se mettre en ordre de bataille pour commencer ã faire entendre leur voix, sur les salaires, l’emploi et les droits des secteurs les plus exposés des classes populaires, ã commencer par les précaires et les travailleurs immigrés. C’est pour cela qu’il est nécessaire de renforcer une opposition de classe, radicalement alternative à la gauche bourgeoise et ã ses alliés mélenchonistes, vociférants mais capables de toutes les compromissions. C’est en ce sens que le NPA ne peut pas apparaître comme une variante gauchie de ce même Front de Gauche et encore moins se refonder pour mieux pouvoir s’y diluer. Nous sommes persuadés qu’il est non seulement nécessaire mais possible que le parti n’apparaisse pas comme une variante supplémentaire de l’offre politique française mais comme un parti de luttes des classes, révolutionnaire, radicalement alternatif ã ce système. C’est ã cette perspective que travaille le CCR-P4.
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