Par Martin Noda
La conférence nationale du parti sur la démarche électorale du parti est passée mais la question consistant ã savoir si une politique électorale révolutionnaire est possible reste ouverte au sein du NPA. Les partisans de la Position B qui dans les prochaines semaines vont se constituer en fraction publique soutiennent que seule une politique d’alliance large à la gauche de la gauche pourrait sortir le NPA de son isolement actuel. C’est ce même discours qui était utilisé en Argentine jusqu’il y a peu. Face à la fragmentation de l’extrême gauche il aurait fallu constituer une alliance électorale unifiant toutes les composantes de la gauche et les tendances progressistes.
C’est ce qui a poussé le MST [1] par exemple ã construire un front électoral pendant prés de dix ans avec le PC argentin et, lors des dernières élections, ã participer aux listes de Pino Solanas, au sein de Proyecto Sur [2] Cette orientation n’a pas seulement abouti à la dissolution d’un courant venant de la gauche radicale au sein d’un front de centre-gauche mais également ã un retentissant échec électoral. En ce sens, l’opportunisme et l’électoralisme ne paient pas toujours automatiquement…
La Position A craint pour sa part de poser le problème clairement : elle exclut, pour l’instant, une alliance avec le Front de Gauche, mais pas pour l’avenir. Elle présente aujourd’hui un candidat ouvrier mais dit peu de choses sur la politique ã mettre en avant. Il s’agit-là d’une position pragmatique qui renâcle à l’idée de poursuivre le projet liquidationniste de la Position B mais qui ne veut pas non plus remettre sur le tapis la question des principes fondateurs mêmes du NPA qui expliquent ã notre avis les zigzags permanents qu’a connus le parti depuis sa création.
C’est en ce sens que le succès électoral important remporté par le « Front de la Gauche et des Travailleurs » (FIT) d’Argentine lors des élections du mois d’aout permet de réfléchir différemment ã propos du rapport entre extrême gauche et élections bourgeoises [3] Bien entendu, l’expérience argentine ne peut se transposer directement en France. Elle apport néanmoins des billes afin de réfléchir à la logique générale qui doit sous-tendre la politique électorale des révolutionnaires.
Le problème des alliances électorales
« Seuls ou accompagnés ? » Voilà qui semble être l’unique question que se posent les membres de la position B. Il s’agit-là d’une fausse question, et qui de surcroit induit en erreur : « On y va seuls ou on y va avec n’importe qui ? » alors que la question est plutôt « avec qui ? ». Le FIT argentin est bien un front électoral mais il rassemble les principaux courants de l’extrême gauche d’Argentine : le Parti des Travailleurs Socialistes [4], le PO (Partido Obrero), IS (Izquierda Socialista) et d’autres groupes plus petits. Né en partie pour contrer les mesures de proscription de la nouvelle loi électorale argentine le FIT défend ouvertement un programme révolutionnaire et place au centre de son discours la classe ouvrière. Il avance comme objectif non seulement l’agitation autour d’un programme révolutionnaire mais aspire également ã être le porte-parole des bagarres ouvrières et des luttes les plus avancées qui ont eu lieu au cours de la dernière période. C’est en ce sens notamment qu’il faut analyser l’intégration au Front de tout un secteur de travailleurs n’adhérant ã aucun parti et dont le noyau central est constitué par les travailleurs de l’usine Zanon, ã Neuquén. Le Front est le porte-parole de ces luttes non parce qu’il en parle mais parce qu’il est partie intégrante de celles-ci.
Quel programme mettre en avant ?
S’il est nécessaire de savoir avec qui s’allier, il est indispensable de le faire avec un bon programme et de ne pas chercher un accord a minima sur deux ou trois points. Il faut un programme qui réponde aux besoins des travailleurs et des classes populaires, un programme révolutionnaire qui soit capable de déranger la bourgeoisie et le patronat, de remettre en cause le statu quo social. L’idée du FIT n’était pas d’avoir un programme fourre-tout pour ratisser le plus large possible mais au contraire que les voix engrangées par le Front soient des voix de classe les plus conscientes possibles. C’est en ce sens que le FIT souligne dans sa déclaration programmatique « qu’il se constitue en défense de l’indépendance politique des travailleurs, face aux différents blocs capitalistes que sont le gouvernement, ses opposants bourgeois et les différentes variantes de centre gauche. Il se constitue donc sur la base d’une orientation ouvrière et socialiste, d’indépendance de classe. Il défend un programme qui vise ã développer les mobilisations des travailleurs et des secteurs exploités contre le gouvernement et le patronat. Le FIT aspire ã être une référence politique pour ceux qui luttent pour l’indépendance des syndicats et l’expulsion de la bureaucratie syndicale et de ses gros bras et pour l’indépendance de tout le mouvement populaire vis-à-vis du capital et de son Etat [5] ».
Bien qu’il s’agisse d’élections nationales le FIT ne pouvait faire abstraction des principaux enjeux politiques au niveau mondial et latino-américain. C’est en ce sens que dans sa déclaration programmatique toujours « le FIT dénonce le caractère clairement capitaliste de tous les gouvernements latino-américains, il entend démasquer aux yeux des ouvriers, paysans et étudiants, le véritable caractère des gouvernements d’Evo Morales, qui a réprimé les grévistes de la COB [Centrale Ouvrière Bolivienne] et qui criminalise les enseignants ou de celui d’Hugo Chávez qui vient d’emprisonner puis d’extrader vers la Colombie et de livrer au gouvernement de droite de Santos le journaliste colombien Perez Becerra, de nationalité suédoise et résidant en Suède, en violation du droit d’asile [en raison de ses liens supposés avec les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie, (FARC)] ».
Plus généralement, le FIT s’est constitué autour d’un certain nombre d’axes clairs :
Pour un salaire minimum permettant de couvrir les nécessités d’une famille ouvrière [« salario igual a la canasta familiar »] indexé périodiquement sur l’augmentation réelle du coût de la vie. Elimination de la TVA sur les produits de consommation courante et de première nécessité.
Rétablissement des retraites ã 82% du dernier salaire, avec effet rétroactif. L’administration nationale de la sécurité sociale (ANSES) doit être dirigée directement par les travailleurs et les retraités.
Échelle mobile des heures de travail, avec salaire égal, pour en finir avec le chômage. Interdiction des licenciements et des mises ã pied.
Non à la flexibilité. Passage de tous les contrats en CDI, avec application de la convention collective la plus favorable.
Nationalisation sans indemnité ni rachat et sous l’administration et le contrôle des travailleurs de la banque et du commerce extérieur, du pétrole, du secteur minier, de la pêche et de la grande industrie.
C’est pour l’ensemble de ces raisons que le vote pour le FIT n’était pas un vote folklorique ou anecdotique. Que l’on vote FIT par adhésion au programme ou plutôt d’un point de vue démocratique afin de protester contre la loi de proscription, il s’agissait d’un vote ouvertement anticapitaliste. C’est un élément central dont il faut tenir compte, tout particulièrement dans un pays comme l’Argentine où les travailleurs ont une grande tradition de luttes mais une conscience structurée par plusieurs décennies d’appui ã un courant politique à l’origine nationaliste-bourgeois, le péronisme.
Nombre de voix et accumulation militante préalable
Le FIT a donc obtenu un bon score électoral et a surtout réussi ã installer l’extrême gauche sur le devant de la scène politique argentine. Ce résultat électoral n’est pas uniquement lié au programme défendu ni à la campagne militante qui a été menée. Il s’explique avant tout par une stratégie d’enracinement préalable au sein du salariat et des classes populaires. Il suffit de s’intéresser de plus prés ã quelques exemples.
A Neuquén le FIT a fait plus de 7%. Il s’agit du chef-lieu de la province du même nom où se situe l’usine Zanon qui, après plus de dix ans de lutte, se trouve encore sous contrôle ouvrier. Une grande partie des travailleurs de l’usine s’est impliquée dans la campagne, démontrant que les ouvriers et les ouvrières doivent faire de la politique, la leur, une politique de classe face ã celle du patronat. Les années de militantisme ã Zanon, afin de constituer une base populaire de soutien à la lutte de l’usine de carrelage et ã celle de tous les céramistes de la région, s’est donc trouvée reflétée dans le résultat. Un député provincial a été élu et c’est un ouvrier de Zanon [6] .
A Córdoba, capitale de la province du même nom, le FIT a fait 5%. C’est dans le district industriel autour de la ville que se trouve concentrée une bonne partie de l’industrie automobile et mécanique en Argentine au sein de laquelle l’extrême gauche milite depuis longtemps et où se développe des processus de luttes partielles intéressantes.
Plus ponctuellement, dans le Rodeo del Medio, ã Mendoza, au pied de la cordillère, le FIT a fait plus de 10%. C’est dans cette région rurale que se trouvent une partie des grandes exploitations agricoles argentines qui se consacrent à l’exportation de l’ail, exploitant des ouvriers agricoles dans des conditions insupportables jusqu’à il y a peu. C’est dans le Rodeo del Medio que sont parties des bagarres très dures de peones, appuyées et soutenues par l’extrême gauche. Le score électoral du FIT en est la traduction.
Dans certaines grosses usines où les militants du FIT interviennent, notamment les militants du PTS, c’est jusqu’à 15 ã 30% des ouvriers et ouvrières qui ont voté pour le Front comme dans plusieurs usines du secteur agro-alimentaire de la Zone Nord de la banlieue de Buenos Aires. Ces phénomènes ponctuels montrent cependant que les travailleurs ne sont pas seulement ouverts à l’extrême gauche sur le terrain syndical et des luttes au quotidien mais également, de façon croissante, ã un niveau plus politique.
Ceci montre bien qu’il est possible d’avoir une politique électorale révolutionnaire sans tomber dans l’électoralisme ou les alliances programmatiques avec les réformistes. L’expérience du FIT en Argentine peut en ce sens être une clé afin d’orienter notre parti sur le terrain électoral, le plus glissant et difficile pour les révolutionnaires, afin d’y défendre une orientation non seulement principielle mais également audacieuse et offensive qui pourrait renforcer notre orientation dans la lutte des classes.
12/09/11
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