Par Juan Chingo
Les accords signés lors du dernier Sommet européen devaient soi-disant remettre sur les rails la question de la crise grecque et assurer la viabilité de l’euro. Cinq jours plus tard nous sommes face ã une situation où les mesures qui ont été prises sont non seulement remises en question ã cause de leurs limites intrinsèques et difficiles problèmes d’application. L’appel au référendum lancé par le Premier ministre grec Georges Papandréou a également ouvert la boîte de Pandore, avec des conséquences imprévisibles ã court et moyen terme.
Dans le cadre d’une contraction économique brutale, la décomposition politique accélérée du régime et du gouvernement grecs, et des signes de plus en plus importants d’insubordination ouvrière et populaire, font de la Grèce une poudrière qui peut exploser ã tout moment, et ceci en dépit de l’obstacle que constituent les bureaucraties syndicales et les partis réformistes. En termes marxistes, il s’agit bel et bien d’une situation pré-révolutionnaire.
Des mesures parfaitement insuffisantes
Après des jours et des semaines d’incertitudes, les dirigeants des différents pays de l’UE sont parvenus ã un accord in extremis ã 4 heures du matin afin d’éviter un effondrement imminent de la zone euro. Voyons, point par point, les mesures qui ont été adoptées :
1) Une réduction partielle de la dette souveraine grecque mais sans toucher ã celle contractée avec le FMI et la BCE. C’est ainsi que la remise n’est que de 100 milliards d’euros et non de 180, soit la moitié des 360 milliards d’euros qui constituent aujourd’hui le montant de la dette d’Athènes. Contrairement ã ce qui est dit par la presse bourgeoise, ce montant représente une remise de 27,8%. Cette mesure amènera la dette grecque ã 120% du PIB d’ici 2020, soit le même niveau critique qui est celui de l’Italie aujourd’hui. Il s’agit d’un taux parfaitement insuffisant pour insuffler à la Grèce une véritable bouffée d’oxygène et conduire ã nouveau le pays vers la solvabilité. En effet, la Grèce est en train d’hypothéquer une grande partie de sa souveraineté économique dans la mesure où les autorités européennes vont renforcer leur présence dans le pays. La Grèce s’engage également ã approfondir son programme de privatisations, ce qui reviendrait ã vendre ã prix cassé l’ensemble de ses actifs économiques ainsi que ses biens culturels. Par ailleurs, le Sommet n’a traité ni de la restructuration de la dette portugaise qui se trouve également dans une situation insoutenable, ni de la nécessité des nouvelles concessions de financement pour l’Irlande
2) La reconfiguration du Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF). A l’origine, c’était un instrument doté de 440 milliards d’euros. A la suite des « plans de sauvetage » de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal, il ne disposerait plus que de 270 milliards d’euros en trésorerie. A travers des montages particulièrement opaques et complexes, le Fonds avoisinerait maintenant les 1.000 milliards d’euros, un niveau qui est encore jugé très insuffisant. Un défaut éventuel sur la dette souveraine de l’Etat espagnol ou de l’Italie ne pourrait être évité que grâce ã un Fonds offrant des garanties sur 2.500 voire 3.000 milliards d’euros. Mais ce qui fait que cette opération manque parfaitement de crédibilité c’est qu’aucun Etat n’a versé un centime de plus, les gouvernements agissant comme s’il s’agissait de banques. Dans le cas des banques, l’effet de levier est possible, avec tous les dangers que cela implique, car elles sont soutenues, en dernière instance, par les Banques Centrales et les gouvernements. C’est ce qui s’est vu au cours de la première phase de la crise financière. Cependant, lorsque ce sont les gouvernements qui utilisent l’effet de levier, tout ceci devient une opération incroyablement risqué car en cas de défaut d’un pays, il n’y aurait personne derrière pour payer les pots cassés.
Un nouveau fonds d’investissement (Special Purpose Investment Vehicles) ouvert à l’investissement privé et public a également été créé. Ce fonds a été créé pour acheter des obligations et pour recapitaliser les banques. Le FESF va y participer mais aura besoin d’autres partenaires tel que l’Etat chinois par exemple. Dans le cas de la Chine ou d’autres pays dépendants qui ont un excédent de réserves ou disposent de fonds souverains d’investissement, il est peu probable qu’ils investissent dans des produits aussi risqués, ã moins de trouver en contrepartie de juteux avantages, soit ã travers l’acquisition d’actifs réels soit ã travers des concessions politiques. Ce genre de décisions ne permet pas un consensus facile au niveau de l’UE [1]. La Suède, le Danemark et le Royaume-Uni pourraient aussi être mis ã contribution, mais leur participation devrait rester très faible.
Tout cet échafaudage repose sur une question fondamentale : l’Allemagne s’oppose jusqu’à présent ã ce que la BCE joue le rôle de créancier en dernière instance ou encore que l’on avance vers une union fiscale qui permette d’émettre des obligations européennes (« euro bonds »), ou bien une combinaison de ces deux scénarios. Il est donc probable que sans de telles garanties, les spéculateurs continueront ã jouer sur la crise de solvabilité qui agite des Etats et les capitaux privés en Europe.
3) La mesure qui semble enfin la plus solide est la décision de recapitaliser les banques, ã hauteur de 106 milliards d’euros. Ce chiffre est cependant trois ã quatre fois inférieur ã ce dont auraient besoin certaines banques « mort-vivantes » comme l’établissement franco-belge Dexia par exemple, et qui pourraient faire faillite ã tout instant [2]. Cette mesure risque cependant de provoquer un important resserrement du crédit (« credit crunch ») en Europe, avec des banques qui pourraient se retrouver ã vendre ã perte leurs actifs, ce qui déprimerait ultérieurement l’activité économique. Ceci pourrait entraîner alors une nouvelle récession voire même une dépression, et ce alors que les prévisions de croissance pour les pays avancés sont déjà en berne. En réalité, Berlin et Paris se sont arrangés pour que la majeure partie de l’ardoise soit réglée par Athènes (30 milliards d’euros en termes de nécessité de recapitalisation), Madrid (26 milliards) puis Rome. Ce qui se profile très probablement pour l’Etat espagnol, c’est que face ã cette lourde charge [3], dans le cadre d’un marché de capitaux quasiment fermé, et un Trésor qui peut difficilement faire face ã ce poids mort, il n’y aurait d’autre remède que d’avoir recours au Fonds de Sauvetage Européen et, en dernière instance, au FMI, qui imposera bien entendu ses conditions. C’est le cadeau empoisonné que José Luis Zapatero, politiquement moribond, s’apprête à laisser en consigne ã son successeur du Parti Populaire de droite, Mariano Rajoy, qui devrait arriver au pouvoir en 2012. Il n’est pas hasardeux de penser que le nouvel exécutif espagnol pourrait se voir forcé ã nationaliser, par le biais d’injection de fonds publics, la moitié du système financier espagnol.
De l’austérité, encore de l’austérité, toujours de l’austérité
Bien que la Grèce démontre clairement que la politique d’austérité n’a pas seulement aggravé les problèmes de paiement de la dette (conséquence de la contraction économique et de recettes fiscales amoindries) et malgré l’opposition toujours plus ouvertes des travailleurs et des classes populaires, qui met des bâtons dans les roues à la mise en œuvre de ces plans d’austérité, les gouvernements européens continuent ã suivre le chemin dicté par l’Allemagne.
Dans son allocution télévisée du jeudi 27 octobre, Nicolas Sarkozy a fait l’éloge de l’austérité salariale et sociale à l’allemande des dix dernières années. D’autre part, le tandem « Merkozy » s’est essayé au petit exercice d’humiliation à l’égard de l’Italie, afin d’imposer ã Rome lors du dernier sommet, de nouvelles politiques de rigueur [4]. Les nouvelles mesures présentées par Berlusconi comprennent entre autres la vente de biens publics pour une valeur estimée ã 5 milliards d’euros par an sur une période de trois ans, l’élévation de l’âge de la retraite ã 67 pour l’horizon 2026 (contre 60-61 pour les femmes actuellement et 65 pour les hommes) et surtout toute une batterie de mesure sur la réforme du marché du travail. Selon ce nouveau plan, les salariés en CDI pourraient être licenciés encore plus facilement si l’entreprise qui les emploie démontre traverser des difficultés financières. Les dirigeants européens ont salué ces décisions mais ont insisté sur la nécessité de mettre en place un nouveau programme avec un calendrier précis et que l’Italie respecte scrupuleusement ses engagements.
En cherchant ainsi ã recouvrir leurs dettes en faisant pression toujours plus sur les travailleurs ou les impérialismes les plus faibles ou vulnérables, cette orientation accompagnée d’ une violence sociale inouïe, pourrait entrainer une récession profonde et même une dépression dans la zone euro, qui ne manquerait pas de frapper l’Allemagne également. Berlin a certes vu ses liens économiques avec des pays hors-UE s’accroitre au cours des dernières années. On songera notamment à la Russie, à la Chine, au Brésil ainsi qu’à d’autres pays dits émergents. La santé économique de l’Allemagne continue cependant ã dépendre étroitement de l’UE. C’est ce qui explique le tournant fédéraliste de Merkel et son insistance nouvelle ã réformer les traités de l’UE de façon à les mettre en adéquation avec les exigences du capital allemand [5]. Bien que ce choix puisse ã court terme représenter un véritable casse-tête pour Berlin et affecter sa croissance, certains pensent qu’à moyen terme cela créerait les conditions ã partir desquelles l’impérialisme allemand annexe ã prix cassés les principaux actifs de ses partenaires européens, et ce au beau milieu de la déflation qui affecterait le reste du continent, la dévalorisation du capital fictif accumulé au fil des années avec son cortège de dettes non-remboursables, qui entrainerait ã son tour une dévalorisation du capital réel. Il s’agirait d’un plan tel que celui qui a été appliqué à l’Amérique latine à la suite de ce que l’on a appelé « la décennie perdue » au cours des années 1980. Cela a permis d’orchestrer une vague de privatisations pour le plus grand bénéfice des multinationales européennes et américaines au début des années 1990. C’est uniquement à la suite d’une telle purge que pourrait s’appliquer un « plan Brady » à l’européenne [6]. Ce qui serait alors en jeu, ce ne serait pas de serrer la vis ã des pays semi-coloniaux comme cela a été le cas dans le cadre du Plan Brady. Il s’agirait de faire pression sur des pays impérialistes au poids économique et géopolitique différent, ce qui ne manquerait pas d’entrainer des conflits réactionnaires ã moyen terme.
Les tentations hégémoniques du capitalisme allemand et le danger de la poussée des dissensions et des rancœurs nationalistes
Il ne fait plus aucun doute que c’est bien le capitalisme allemand, le plus puissant d’Europe, qui contrôle et dicte ce qui se fait dorénavant lors des Sommets. Le fait que Merkel se soit présentée d’abord au Bundestag et se soit rendue par la suite ã Bruxelles, renforcée par le vote du Parlement allemand, témoigne bien de tout cela. Ce déplacement du centre de gravité européen, sur lequel nous nous sommes déjà attardés, est de plus en plus visible. Comme le soulignait le quotidien de centre-gauche allemand Süddeutsche Zeitung au lendemain du Sommet, « la structure de pouvoir au sein de l’UE s’est radicalement modifiée. La France, qui a longtemps dominé l’intégration européenne, a été reléguée au second rang derrière l’Allemagne. Le tempo et la manière dont la crise est abordée, ont été et continueront ã être déterminés par Berlin. Et cela parce que les Français n’ont pas modernisé leur économie et leur système social (…). La France donc, qui a ã craindre pour sa crédibilité sur l’échiquier international, n’a d’autre choix que de suivre ceux qui ont le pouvoir économique et la puissance financière pour sortir l’euro de la zone de turbulences où il se trouve [7] ». Une nouvelle hiérarchie se dessinerait ainsi au sein de la zone euro. « Il y a ceux qui comme les Grecs ou les Portugais qui sont au bord du précipice et n’ont d’autre choix que de se soumettre aux diktats des argentiers, [d’autres comme l’Italie] qui tient encore sur ces jambes mais pourrait bientôt avoir besoin d’aide (…) mais qui n’a plus son mot ã dire [8] ». En même temps une fissure radicale s’est ouverte entre les pays qui font partie de la zone euro et les autres. C’est ce dont témoigne l’affrontement verbal entre Sarkozy et le Premier ministre britannique David Cameron, qui craint être laissé de côté dans la prise de décisions. La Suède et d’autres pays non-membres de l’eurozone se trouvent également dans une situation similaire, car ils pourraient se retrouver marginalisés ã travers la crise actuelle. Leur opposition ne forme pas cependant un bloc homogène capable de se transformer en une force ã même de peser dans le cadre des dissensions politiques et géopolitiques qui traversent actuellement l’Europe.
La crise a fait émerger ã nouveau dans toute sa puissance l’intérêt national de toutes les puissances impérialistes. C’est ce dont se fait l’écho le Financial Times en soulignant « combien derrière les discours grandiloquents sur la solidarité européenne c’est bien l’intérêt national qui est poursuivi dans le cadre de la coopération. Plus d’Europe signifie plus de France, et plus d’Allemagne et plus d’Italie, et ainsi de suite. La crise de la zone euro en tant que telle est un jeu ã somme nulle. Ce que la Grèce, l’Espagne ou le Portugal essaient d’arracher est autant de perdu pour l’Allemagne, la Hollande et les autres. On assiste ã un véritable retour à l’Europe westphalienne [9] ». Le Traité de Westphalie de 1648 est en effet considéré par de nombreux historiens comme le fondement même des relations internationales modernes, basé sur le système européen des Etats-nations souverains [10]. En d’autres termes, il s’agirait d’un dangereux retour en arrière au temps des dissensions économiques, politiques et militaires qui ont marquées l’Europe au cours des trois derniers siècles.
Un des artisans de la construction européenne, Jacques Delors, estime pour sa part que « la victoire complète de Madame Merkel lors du dernier sommet européen met en évidence des questions de fond et de forme. Madame Merkel n’aime pas la méthode communautaire de l’UE en fonction de laquelle la Commission fait des propositions au Conseil et au Parlement européens. C’est ã travers cette méthode que l’Europe a fait des progrès, néanmoins Merkel préfère en lieu et place le consensus entre pays, ce qui est un retour au XIX siècle, lorsque la diplomatie agissait sur l’Europe comme un monstre. La décision de la nuit de mercredi ne présage rien de bon pour la Commission et la méthode communautaire [11] » estime donc celui qui a présidé pendant neuf années la Commission entre 1985 et 1994, au moment précisément où l’euro commençait ã voir le jour.
Tout ceci revient ã dire que c’est la construction européenne elle-même telle qu’elle existe depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale qui est en jeu. L’UE a été le produit d’un monde d’Après-guerre, marqué par la division de l’Europe en zones d’influence avec les Etats-Unis d’un côté et l’URSS de l’autre, symbolisée par la division réactionnaire de l’Allemagne. Cela a notamment permis la limitation du développement de l’Allemagne et que Bonn, à l’époque, poursuive de façon unilatérale ses propres intérêts, et ce au plus grand bénéfice de la France. Il ne reste quasiment rien aujourd’hui de ce « monde ». L’URSS a implosé, la présence étasunienne n’est plus que l’ombre de ce qu’elle a été, et l’Allemagne s’est réunifiée. On pourrait ainsi dire que la crise capitaliste a liquidé l’inter-règne qui a fait suite à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, faisant place nette à l’émergence sans limites d’une nouvelle Allemagne.
Dans ce cadre, l’avancée dans la semi-colonisation de la Grèce et l’humiliation publique de pays comme l’Italie ne peut qu’attiser les haines populistes de droite ainsi que le poison nationaliste. Nul ne sait, ã mesure où la crise s’approfondit, vers où se dirige l’UE. Ce qui est sûr cependant, c’est qu’on ne peut qu’attendre que réaction sur toute la ligne de la part des différentes bourgeoisies impérialistes et de leurs Etats qui défendent leurs grands monopoles et leurs banques. Aucun gouvernement ne souhaite à l’heure actuelle que la zone euro n’implose. Personne ne souhaite en revanche que ce soit son propre capital qui règle l’ardoise. Tout ceci peut déboucher sur de nouvelles dissensions nationalistes.
Ce n’est pas un hasard si la revendication d’une Europe fédérale est reprise par les pays les plus eurosceptiques qui disent ne plus supporter la mauvaise gestion de la crise par les pays méditerranéens, et cherchent ã exercer un contrôle sur ces derniers. Les partisans d’une Europe plus fédérale souhaiteraient imposer une « Union fiscale » sans réel gouvernement européen, ni Parlement ni processus constituant. Un tel processus de la part des bourgeoisies impérialistes ne pourrait qu’avoir un caractère réactionnaire, du fait du caractère impérialiste de ces dernières, et n’entrainerait ã terme que plus de disputes nationalistes. Comme nous le soulignions dans « Face à la banqueroute de l’Europe du capital : Pour les Etats-Unis socialistes d’Europe ! », « pour stopper net cette dynamique il est fondamental que les travailleurs embrassent une perspective et un programme clairs face à la crise de l’Europe du capital. Un programme qui leur permette non seulement de conquérir l’unité au sein de notre classe face au poison de la xénophobie qui divise les ouvriers entre « nationaux » et immigrés, mais aussi afin de gagner à leur combat d’autres secteurs sociaux comme les petits artisans, les petits commerçants et les petits épargnants. Ces derniers, dans leur désespoir face aux sursauts de la crise, s’ils ne sont pas gagnés par les travailleurs pourraient devenir la base sociale des tendances les plus réactionnaires. Ce programme doit avoir comme axe central la revendication d’Etats-Unis Socialistes d’Europe. C’est la seule perspective progressiste face aux deux plans bourgeois en discussion par rapport à l’avenir de l’UE [12] : l’un prévoyant de renforcer les institutions de l’UE pour « sauver l’Europe » ; l’autre envisageant plutôt de créer une UE ã deux vitesses avec un noyau fort autour de l’Allemagne, des Pays-Bas, de l’Autriche et d’autres pays du Nord et un noyau méditerranéen faible (ce qui est le plan des partisans d’options plus unilatérales). Face ã ces deux plans qui, par des chemins différents, ne font que renforcer les tendances nationalistes, les Etats-Unis Socialistes d’Europe est la seule alternative progressiste [13] ».
L’avenir de l’UE ne se joue pas dans les sommets de Bruxelles mais dans la lutte de classes
La résistance des travailleurs européens face aux plans d’austérité, dont l’avant-garde est formée par les travailleurs et les masses grecs, est en train de faire obstacle aux plans de la bourgeoisie visant ã faire payer la crise aux travailleurs. Comme nous le soulignions en début d’article, la décision de Papandréou a ouvert une période d’incertitude qui peut précipiter la zone euro au bord du gouffre. Un résultat négatif du référendum serait un coup de grâce pour son gouvernement. Cela entrainerait un défaut désordonné, le pire des scénarios pour la stabilité de la zone euro. Cela impliquerait également très probablement une sortie de la Grèce de la zone euro.
Ce coup de poker risqué est une conséquence de la perte de légitimité du gouvernement socialiste grec qui se trouve face ã un soulèvement des travailleurs et des masses qui mènent des luttes sectorielles de plus en plus radicales. C’est cette pression qui a forcé la bureaucratie syndicale a appelé ã une grève générale de 48 heures les 19 et 20 octobre derniers. La décision du Premier Ministre grec a surpris les leaders européens qui n’ont pas tardé à la qualifier d’irresponsable. Les chefs d’Etat et de gouvernement qui ont encore ã régler mille détails litigieux par rapport aux accords passés lors du dernier sommet européen, ont été pris de court par la manœuvre désespérée et aventurière de Papandréou qui a brisé la « solidarité européenne » entre les dirigeants et les pays capitalistes [14]. En cherchant ã survivre politiquement –ou une porte de sortie un peu moins déshonorante ?- afin de gagner du temps et de contenir la colère croissante qui semble avoir atteint des niveaux incontrôlables à la suite des événements du 28 octobre, faisant trembler les bases mêmes du régime bourgeois, Papandréou cherche a faire pression sur ses homologues européens [15]. Il chercherait ainsi de nouvelles concessions comme une liquidation plus importante de la dette grecque et un plan de restructuration moins défavorables ã Athènes ainsi qu’un plan de relance économique, en les menaçant d’un vote négatif.
Une fois de plus, la vitesse du développement de la crise est plus rapide que la capacité des politiciens bourgeois européens ã apporter des réponses. Malgré la nervosité des marchés et des dirigeants européens, qui montre combien un accident politique d’envergure comme celui que vit la Grèce en ce moment peut déstabiliser les plans de sortie de crise au sein de la zone euro, le plébiscite est une mesure complètement réactionnaire. Papandréou essaie de faire chanter son électorat en lui proposant deux alternatives parfaitement réactionnaires : ou une restructuration brutale au sein de la zone euro, ou une faillite de l’Etat grec avec une réintroduction éventuelle du drachme.
Que peut-il arriver en Grèce dans les prochaines semaines ou les prochains mois ? Tous les scénarios sont possibles : Papandréou peut être poussé à la démission en raison de son isolement ; il peut perdre le vote de confiance du Parlement vendredi 4 novembre en raison de la démission de nouveaux députés du groupe parlementaire du PASOK [16] ; il peut y avoir un appel ã des élections anticipées comme le demande le parti de l’opposition de droite Nouvelle Démocratie, même si ces élections ne donneraient pas de majorité claire ã aucun des partis ; Papandréou pourrait abandonner son idée de référendum ; sans oublier le fait que pendant la nuit du premier au 2 novembre Papandréou a destitué l’ensemble du Haut-commandement des trois principaux corps d’arme grecs, ce que certains analysent comme une réponse ã une tentative avortée de coup d’Etat [17].
Après le choc initial, les dirigeants européens de leur côté essaient de sauver leur plan dans la mesure du possible en se refusant ã renégocier les termes de l’accord du second sauvetage de la Grèce. Cela pourrait impliquer le blocage de l’aide d’urgence de 8 milliards d’euros du premier plan d’assistance jusqu’à ce qu’Athènes ratifie ses engagements en termes de mise en place des politiques d’ajustement exigées. Ils demanderont également ã Papandréou que la question qui pourrait être posée, concerne la sortie ou non de la zone euro. Ils essaient par ce biais de rendre les Grecs responsable de la débâcle imminente qui est liée en réalité à leurs politiques d’austérité et de semi-colonisation draconiennes. Comme le souligne avec beaucoup de cynisme un haut responsable français cité par Le Monde, « on ne peut pas empêcher les Grecs de se suicider. Mieux vaut que ce soit eux qui le fassent qu’Angela Merkel [18] ».
Une seule chose est claire cependant dans le cadre de tant d’incertitudes : les travailleurs et les masses populaires grecques sont ã bout. C’est ce que montrent les quinze grèves générales qui ont émaillées les dix-huit derniers mois. Face au piège référendaire, il est nécessaire de défendre un programme ã même de faire payer la crise aux capitalistes, en commençant par la nationalisation du secteur bancaire et des grandes entreprises sous contrôle des travailleurs de façon ã préparer la voie du pouvoir ouvrier et populaire. La Grèce laisse entrevoir la tempête qui se profile à l’horizon.
Si la bourgeoisie des différents pays de l’UE commence ã perdre la main dans leur gestion de la crise, elle se verra tôt ou tard forcée de choisir entre deux options : soit une implosion de l’euro, soit une intervention fiscale abusive de la BCE, ce qui aurait un coût politique imprévisible car cela serait particulièrement dur ã digérer pour Berlin. Les tensions politiques, géopolitiques et de la lutte de classe au sein même de chaque Etat et entre les Etats européens pourraient entrainer une escalade aux effets paroxystiques.
02/11/11
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