Avec la crise en Italie, la crise grecque est le point le plus avancé de l’instabilité économique en Europe. Cela a de fortes répercussions au niveau politique et institutionnel, non pas seulement en Grèce mais également à l’échelon européen, et au delà . Comme nous le signalions précédemment, la raison fondamentale de cette instabilité politico-institutionnelle se trouve du côté de la « guerre de résistance prolongée », pour reprendre l’expression des camarades de l’OKDE, que sont en train de mener les travailleurs du public et du privé aux côtés de la jeunesse [1] .
Georges Papandréou, en brandissant l’épouvantail du référendum, s’est grillé politiquement, non seulement au niveau européen mais également intérieur. Il a cependant tout de même réussi ã remettre de l’ordre dans son propre parti, le PASOK[2], et ã forcer Nouvelle Démocratie (ND), l’opposition de droite d’Antonis Samaras[3], ã accepter de soutenir le plan d’austérité voté le 27 octobre dernier. C’est sur cette base qu’un gouvernement d’union nationale a été mis en place, mené par Lucas Papademos, un économiste grec, ancien de la Commission Européenne. Le nouveau gouvernement compte sur la participation du PASOK et de ND bien entendu mais également du parti d’extrême droite LAOS, pour la première depuis la chute de la dictature des colonels.
A peine après avoir annoncé la composition de son gouvernement Papademos a pu entendre en écho l’explosion d’une bombe artisanale devant un siège ministériel athénien, symptomatique du ras-le-bol généralisé que connaît la population. Alors bien sûr Papademos demande de nouveaux sacrifices et de nouveaux tours de vis. Sa capacité ã répondre aux exigences de la Troïka FMI-BCE-Commission et aux intérêts de la grande bourgeoisie grecque dépendra de la capacité des travailleurs et de la jeunesse ã maintenir la pression et ã approfondir encore plus la dynamique de mobilisation qui a connu, les 18 et 19 octobre, un nouveau tournant. Le 17 novembre, date anniversaire du soulèvement étudiant contre la dictature en 1973, devrait encore voir des dizaines de milliers de personnes se mobiliser. Les manifestants ne défileront pas cette fois-ci contre le gouvernement PASOK simplement mais contre le gouvernement de coalition qui leur promet encore plus de sang et de larmes.
C’est pour toutes ces raisons que nous publions une interview de Paulin M., un camarade de l’OKDE Ergatiki Pali (Organisation des Communistes Internationalistes de Grèce-Lutte Ouvrière www.okde.gr/), réalisée le 9 novembre. L’interview fait le point sur la situation, notamment à la lumière de la dernière grève générale de 48 heures qui a secoué le pays à la mi-octobre. Sans que nous ne partagions l’ensemble des éléments d’analyse qui y sont développés il nous semble cependant qu’il s’agit d’un document qui permet de mieux cerner les enjeux actuels de la situation prérévolutionnaire que connaît la Grèce actuellement.
16/11/11
Qu’est-ce que tu pourrais nous dire de la situation en Grèce après la démission de Georges Papandréou et les discussions qui ont eu lieu autour du futur nouveau Premier Ministre ? Quelles sont, selon toi, les perspectives ?
OKDE : La première chose ã souligner c’est qu’après la dernière grève générale de 48 heures, c’est-à-dire les 19 et 20 octobre, une grande crise s’est ouverte pour le gouvernement et cela a eu un impact sur la situation politique générale du pays. Aucun des partis ne peut gérer la situation. C’est pour cela qu’ils essayent de surmonter cette crise ã travers un gouvernement d’unité nationale des deux partis majoritaires, dont évidemment Nouvelle Démocratie, qui s’est renforcée, mais auquel pourraient aussi participer des partis plus petits comme LAOS, l’extrême droite grecque, qui elle aussi s’est renforcée.
Cela fait longtemps déjà que le PASOK pense ã une sortie de crise de ce type. Le gouvernement mais également le système politique se sont éloignés des masses et n’ont aucune légitimité. Ils ne peuvent donc contrôler la situation. Cela s’est vu lors de la grève générale qui a été l’une des trois plus grandes grèves depuis ces deux dernières années. Elle a été marquée par une grande participation des masses. Près d’un million de personnes ont participé aux mobilisations, chiffre qui n’est comparable qu’aux manifestations qui ont suivi à la chute de la dictature des années 1970. On pourrait dire qu’on est en train de vivre une sorte « guerre sociale prolongée » et, dans ce cadre, cette grève a été très importante.
Quelle est le degré de résistance aux plans d’austérité et comment s’exprime-t-elle ? Quelle est la résistance des secteurs opprimés et la jeunesse ?
OKDE : Il est important de souligner que le taux de participation dans tous les secteurs a été assez élevé [lors de la grève des 19 et 20 octobre]. Par exemple, le lundi précédent, les travailleurs municipaux et les fonctionnaires, les étudiants et les chauffeurs de taxi avaient été en première ligne dans les occupations de ministères, de bâtiments administratifs et des municipalités. C’est une grande nouveauté car ça faisait très longtemps que les travailleurs du public n’avaient pas débrayé de façon aussi importante, avec autant de combativité.
En plus du mouvement de grève, il y a des AG de ville et de quartier partout dans le pays. Il n’y a plus comme avant une seule grosse AG, Place Syntagma ã Athènes, [devant le Parlement], comme c’était le cas pendant l’essor du mouvement des indigné-e-s par exemple. Ce que nous voyons maintenant c’est beaucoup d’AG locales, sur les places, dans les quartiers, où les gens discutent des différentes manières de résister les attaques. Actuellement c’est notamment la question du boycott des impôts qui est au centre des discussions. Le gouvernement a mis en place un nouvel impôt sur la propriété, c’est-à-dire que tous ceux qui ont une maison ou une propriété sont obligés de payer ce nouvel impôt, très élevé. Dans les AG de quartiers nous discutons du non-paiement de cette nouvelle taxe. Cela se pose également dans d’autres domaines. Il y a par exemple des gens qui ont refusé de payer l’électricité. On leur a coupé le service et maintenant ils s’organisent dans un mouvement pour qu’on ne coupe pas la distribution.
Cela n’arrive qu’à Athènes où il y a également d’autres villes de Grèce qui sont concernées ?
OKDE : C’est tout le pays qui est concerné par ces mouvements.
Quels sont les secteurs qui ont fait grève ã part les travailleurs du secteur public, de la Santé et de l’Education ? Quel a été le taux de participation dans le secteur privé ?
OKDE : La grève a été largement suivie dans le secteur public mais également dans le secteur privé. Nous pouvons dire que la grève a été une action très importante des travailleurs mais également des classes moyennes, à la fois d’un point de vue quantitatif mais également qualitatif. Ce processus a commencé le 5 mai 2010 et maintenant nous voyons une convergence de ces classes dans la rue et la participation du secteur privé a été très élevée.
Est-ce qu’il y a une tendance ã aller vers des processus d’auto-organisation chez les travailleurs ?
OKDE : En dehors du mouvement des AG sur les places et les quartiers il n’y a pas de tendances à l’auto-organisation chez les salariés. La base productive en Grèce est très faible et il n’y a aucun processus d’auto-organisation des travailleurs dans les usines. Il n’y a pas non plus d’occupations.
Quelle est la politique menée par les directions réformistes qui sont liées au PASOK et au KKE (PC grec) ?
OKDE : Par rapport au PASOK, il n’y a rien ã dire. C’est un parti bourgeois très affaibli. On exagèrerait si on disait qu’aujourd’hui il pourrait obtenir le 15% des suffrages [en cas d’élections anticipées]. C’est un parti qui est en décomposition, qui n’existe plus. Il ne bénéficie d’aucun soutien dans la population. Les dirigeants syndicaux qui étaient liés au PASOK ont maintenant une politique contraire ã celle de la direction. C’est une situation particulière. On ne peut pas vraiment dire que le PASOK contrôle quoi que ce soit ou qu’il y ait des syndicats qui soutiennent sa politique.
Dans le cas du KKE, il a une politique complètement sectaire, d’autant plus que maintenant il mène une politique très offensive à l’égard de l’extrême gauche. Il n’a aucune politique dans les syndicats pour développer l’organisation et la lutte. Dans les syndicats qui sont contrôlés par le PC il y a une très faible participation de la base et les directions syndicales ne s’affrontent pas aux patrons. Ce sont des syndicats très passifs et leur seule préoccupation est de maintenir les positions qu’ils ont conquises ã travers les élections et leur lien avec le Parti Communiste.
Quelle est la politique de Syriza[4] ? Où intervient-elle et quel est le niveau de soutien ou de sympathie qu’a Syriza chez les travailleurs et la population en général ?
OKDE : Syriza est une coalition, une alliance d’une partie de la gauche radicale avec Synaspismos[5]. En ce moment, je crois que tout le monde peut le voir, le secteur de la gauche radicale qui y intervient n’a aucune influence sur les politiques qui sont menées par Syriza. Synaspismos s’est renforcé avec cette alliance et il en est la principale direction. C’est ainsi qu’il a une grande influence. Aujourd’hui la principale revendication de Syriza, c’est les élections anticipées. En fait Syriza quémande au Parti Communiste et à la gauche en général une unité électorale. Syriza a une participation dans les luttes mais vu qu’elle ne dispose que de très peu de soutiens pour les développer, sa participation est très passive.
La politique électorale de Syriza est-elle populaire au sein de la population ? Les travailleurs et la jeunesse la voient-ils comme une alternative ?
OKDE : Dans la situation actuelle où par exemple les dirigeants de Synaspismos passent à la télé il est évident qu’ils récoltent plus de sympathie que le reste des politiciens. Lors des prochaines élections nous allons voir également une montée des scores de la gauche. Nous pouvons dire qu’il y a une certaine sympathie, mais aussi un espoir chez les gens du fait qu’il existe un programme différent. Mais je ne crois pas qu’on puisse dire que les gens espèrent sortir de la crise avec le programme de Syriza…
Quelle est la politique et quel est le rôle d’Antarsya[6], l’équivalent grec des partis anticapitalistes larges ? Quelle est sa taille ? Où intervient Antarsya, et avec quelle politique ?
OKDE : Antarsya est aussi une coalition de la gauche radicale, créée il y a 3 ans, [après la révolte de la jeunesse en] 2008. Nous pensons que cette coalition dérive, petit ã petit, vers le réformisme. Cette situation n’est pas nouvelle car lorsque la crise a commencé en 2007 les principales forces qui sont aujourd’hui dans cette alliance disaient qu’il n’y avait pas de crise. Pendant les trois dernières années Antarsya a conduit une politique visant ã construire une unité en général et mettre en place un front large de la gauche.
Maintenant ils disent ouvertement qu’ils cherchent une convergence avec les masses et les secteurs qui ne sont plus au PASOK, ainsi qu’un front large avec Syriza et le Parti Communiste.
Dernièrement, dans les luttes où ils sont intervenus, on a constaté qu’ils n’étaient pas à la hauteur de la situation. On pense que cette politique de front large avec la gauche est quelque chose de très dangereux.
Pour finir, est-ce que tu peux nous parler un peu plus de votre orientation et du programme de l’OKDE ?
OKDE : En ce moment, la tâche la plus importante est d’aider ã développer l’auto-organisation dans tous les secteurs. Dans ce cadre nous luttons pour la perspective d’un soulèvement généralisé et « pour qu’ils s’en aillent tous », comme alternative face aux issues institutionnelles des partis majoritaires et les issues électorales.
Nous sommes pour l’annulation de la dette et le non-paiement à l’égard des organismes internationaux. Nous refusons également de payer les impôts que veut nous imposer le gouvernement. Nous soutenons l’idée que seule la grève générale politique est capable d’en finir avec ce gouvernement.
Parallèlement nous défendons des revendications nécessaires pour sortir de la crise comme la nationalisation des banques et des entreprises les plus importantes, l’établissement d’un contrôle strict sur les mouvements de capitaux et le monopole du commerce extérieur. De plus nous revendiquons également d’autres mesures anticapitalistes, que l’on pourrait presque qualifier de survie, comme l’expropriation et la nationalisation des grandes entreprises, des banques… Nous menons aussi la lutte pour une autre société, pour le socialisme, pour la révolution…
Cette « guerre de résistance prolongée » qu’est en train de mener le peuple en Grèce a un grand impact dans l’Union Européenne et dans le monde entier. La lutte des travailleurs grecs est la lutte des travailleurs de l’UE et du monde entier. Partout, il faudrait développer la solidarité avec la lutte des travailleurs et de la jeunesse en Grèce. Nous appelons à la solidarité de tous les ouvriers et de toutes les organisations, et encore plus des partis et des forces révolutionnaires en Europe et partout ailleurs.
Propos recueillis le 09/11/11
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