Par Vincent Duse [1]
A la veille des vacances de Noël, les patrons de PSA ont offert aux travailleurs la première partie du cadeau empoisonné qu’ils préparent depuis un moment comme l’avait révélé le document trouvé et rendu publique par la CGT Aulnay où il était question d’un plan majeur de réduction de personnels, qui comprenait la fermeture de trois sites en Europe dont celui d’Aulnay. C’est ce qu’a confirmé par la suite l’annonce par la direction de la suppression de plus de 6000 postes. La première grande victime de la concrétisation de cette attaque, ce sont bien évidemment ceux qui ont le statut le plus fragile, les intérimaires.
Au niveau des sites, celui de Mulhouse est le plus touché avec plus de 700 postes supprimés dont 600 intérimaires (soit la moitié des effectifs totaux), notamment avec l’arrêt d’une équipe entière du montage de la 206 et de la 308 dès le 3 mars, ce qui impliquera en plus le reclassement de 557 embauchés. D’autres sites comme Aulnay sont également touchés par la suppression de nombreux postes.
Tout ceci fait partie d’un plan de restructuration de la production chez PSA visant ã mieux préparer les attaques encore plus importantes qui s’annoncent. En déplaçant la production de la 308 de Mulhouse ã Sochaux et en transférant celle de la 208 ã Mulhouse, le site de Poissy pourrait être en capacité de produire la totalité des C3, ce qui permettrait de commencer ã vider des sites que l’on veut bientôt fermer comme celui d’Aulnay. Les conséquences immédiates sont les suppressions de postes d’un côté et la surcharge de travail sur ceux qui restent, en particulier sur des sites qui seront nettement saturés comme Mulhouse.
Quand la précarité cache les licenciements
La précarité du travail, amenée ã des niveaux très élevés sur les sites de PSA, a dégradé fortement les conditions de travail. C’est la pire ennemie de la défense des emplois, car elle naturalise le fait que tous les ans des milliers d’ouvriers se fassent virer et soient mis au chômage sans que cela soit considéré comme un licenciement. Pour les patrons, les précaires et les intérimaires sont une simple variable d’ajustement ã bas prix. On les fait chômer sans rémunération lors de période de chômage partiel, puis on ne les remplace pas lorsqu’il s’agit de supprimer des postes. A Mulhouse par exemple sur les 600 postes d’intérimaires supprimés, il s’agit pour la moitié d’intérimaires qui ne sont déjà plus à l’usine. Pour les autres, leur contrat arrive ã échéance en mars...
Cependant, tout poste supprimé c’est un chômeur de plus, surtout en ces temps de crise capitaliste où l’offre d’emploi ne fait que diminuer et où les tendances au chômage structurel s’accentuent. En effet, les statistiques montrent qu’il y une importante accélération de la casse industrielle depuis le début de la crise avec près de 900 sites fermés soit environ 100.000 emplois détruits, dont au moins 30.000 pour le seul secteur automobile. Dans certaines régions comme l’Alsace et en particulier dans le département du Haut-Rhin, c’est une véritable désertification industrielle qui est en cours, même s’il reste encore une des grandes concentrations ouvrières de France. En deux ans, cette région a vu disparaître 22.500 emplois, dont une bonne moitié dans l’industrie. Il s’agit-là d’une accélération non négligeable d’un processus de long terme où le seul Haut-Rhin a perdu près de 20.000 emplois industriels depuis 2001 alors que le taux de chômage dans la région est passé de moins de 5 % au début des années 2000 ã environ 9 % aujourd’hui.
Avec le démontage d’une équipe sur le site de PSA Mulhouse et le licenciement de 600 intérimaires, cette situation va encore s’aggraver, car au-delà même du fait que plus de la moitié des précaires seront à la rue, c’est tout un bassin d’emplois qui sera touché de plein fouet comme Faurecia Pulversheim qui risque de fermer ses portes. Tous les sous-traitants directs vont être saignés. Cela est bien une attaque d’ensemble et c’est pourquoi notre réponse doit être à la hauteur.
Défendre chaque poste de travail
Dans ce contexte de crise capitaliste mondiale avec des pays comme la Grèce et l’État Espagnol où le chômage de masse est déjà une réalité, la lutte pour le maintien de chaque poste de travail sera indispensable pour empêcher les patrons d’écraser notre classe. Dans ce sens, la suppression des postes d’intérimaires ne sont qu’un début et les embauchés seront eux-aussi touchés. Pendant les premières années de la crise, l’illusion de pouvoir s’en sortir en négociant une bonne indemnité de départ donnait encore le ton dans la plupart des luttes contre les licenciements et les fermetures d’usine. Depuis, l’expérience même des travailleurs a démontré que sans toucher un salaire, les indemnités partent vite et que pendant les prochaines années ce sera quasiment impossible de retrouver du travail, et encore plus pour les salariés ayant déjà un certain âge, un militantisme syndical affiché, etc. C’est ce dont témoigne la tragédie du camarade des Contis qui s’est suicidé en se jetant sous un train il y a encore quelques jours.
Voilà pourquoi une partie des conflits actuels n’avance pas d’emblée la revendication d’indemnités mais cherche plutôt des solutions permettant de garder les emplois en posant même parfois la question de la reprise des entreprises par les salariés eux-mêmes comme ã Fralib ou ã Sea France [2]. C’est un pas en avant, même si pour l’instant cette alternative n’a pas été menée jusqu’au bout par aucune lutte. Cependant, même si une coopérative ou une reprise de la production sous contrôle des travailleurs peut être une solution temporaire face aux fermetures, et pourrait même permettre d’afficher la capacité des ouvriers ã diriger une usine sans besoin de patrons, l’ampleur des attaques qui s’amorcent exigera une réponse d’ensemble.
Convergence des luttes et expropriation sous contrôle ouvrier
Un des principaux obstacles ã ce que les nombreuses luttes qui sont et ont été menées contre les licenciements aboutissent ã des victoires, c’est leur isolement. Face au refus ouvert de la part des confédérations syndicales pour les faire converger dans le cadre d’un affrontement d’ampleur contre le patronat et l’État complice, seul les travailleurs eux-mêmes pourront résoudre ce problème en construisant des formes de coordination ã travers leurs propres organismes de mobilisation et de lutte.
Lors de la vague de bagarres de 2008-2010, des initiatives ont été prises dans ce sens par un groupe de militants syndicaux combatifs avec les rencontres de Champhol et de Blanquefort, le rassemblement ã Paris le 17 octobre 2009, la manifestation de soutien aux New Fabris ou encore le collectif contre les patrons voyous. Et bien que la plupart de ces conflits ont abouti ã des défaites, ce réseau a encore, il y a peu, été à l’origine de la campagne et des actions en soutien ã Xavier Mathieu [3] .
Il faut aujourd’hui reprendre et approfondir cette perspective, car la seule possibilité pour les travailleurs d’arrêter les attaques repose sur une riposte coordonnée et puissante, appuyée sur la plus grande solidarité de classe. Il faut en même temps un programme offensif et capable d’unifier nos combats. Face aux fermetures et aux plans sociaux il ne faut accepter aucun licenciement ni suppression de poste. S’il y a moins de production, et bien on travaillera tous moins, et sans baisse de salaire ! C’est le partage des heures de travail entre tous et toutes qui pourra assurer nos emplois et en finir avec le chômage ! Les patrons ont accumulé assez de profit sur notre dos pour pouvoir faire face eux-mêmes aux effets de leur crise. Et si les patrons ne sont pas capables de gérer les entreprises, il faudra imposer que l’Etat assure, avec l’argent de nos impôts le maintien des emplois, en nationalisant les boîtes qui ferment ou licencient, ainsi que les branches stratégiques de l’économie, sous contrôle des travailleurs.
Internationalisme et tentation du « produire français »
Le caractère profond et international de la crise pousse ã une concurrence accrue entre les capitalistes nationaux et les Etats. En transférant cette concurrence aux travailleurs des différents pays, les bourgeoisies préparent le terrain aux idées d’extrême droite qui s’appuient notamment sur le phénomène réel des délocalisations de la production des pays impérialistes vers des pays ã main-d’œuvre bon marché pour disséminer leur poison raciste et diviseur. Ils s’appuient sur la division internationale du travail pour mieux nous diviser et pour mieux nous écraser ensuite lorsque la crise menace leurs profits.
Face ã cela nous devons répondre que l’ennemi du travailleur français n’est pas le travailleur roumain ou chinois mais bien les patrons, quelle que soit leur nationalité. C’est pourquoi il faut combattre de façon résolue toute tentation et discours défendant l’idée de « produire français » comme a pu le faire le PC dans le passé et comme le font aujourd’hui de façon plus ou moins ouverte toute une série de politiciens, de Marine Le Pen jusqu’à Mélenchon et son « patriotisme économique » . Notre problème n’est pas de savoir si nous réussissons ã garder la production de telle ou telle voiture dans tel ou tel site en France, mais bien de savoir si les ouvriers de tous les sites, Sevel Nord, Aulnay, mais aussi Madrid et dans chaque usine où on menace de licencier dans tous les pays, garderont un emploi pour nourrir leur famille.
Une attaque d’ampleur contre l’ensemble des salariés du site de Mulhouse
Nous sommes, dans le cas de Mulhouse, devant l’une de des plus grosse attaques en termes d’emplois avec le démontage d’une équipe sur la chaine 206/308 et le plan de suppressions d’emploi qui ne dit pas son nom sous couvert de GPEC (gestions prévisionnelle de l’emploi et des compétences). Tout ceci vise ã réduire de façon importante le nombre de salariés sur le site, indépendamment du plan de performance qui prévoit 123 suppressions de postes dont 95 en production.
Déjà aujourd’hui les conditions de travail sont très dégradées, notamment avec « l’optimisation des postes de travail » (comprenez suppressions régulières de postes pour faire des gains de productivité). Dans la boite, tout doit être rentable, que l’ont soit jeune, ancien, malade ou pas. Le maître-mot, c’est « rentabilité maximum » puisque le groupe PSA veut augmenter ses ventes et faire baisser le coût du travail par la fermeture de sites de productions en France et en Europe et exploiter ceux qui vont rester dans les usines comme ã Mulhouse.
Pour les précaires c’est le retour pour une période indéterminée ã Pôle Emploi, avec comme seule perspective des petit boulots et la misère. C’est pourquoi notre détermination à les organiser pour la lutte doit être un objectif majeur. Cela n’est pas qu’une question de travail sur le site de Mulhouse mais bien une question de survie, pour continuer ã avoir de quoi vivre.
Mais les embauchés sont aussi dans le collimateur de la direction. Il suffit de voir le nombre de lettres de culpabilisation qui sont envoyés aux salariés en maladie, les menaçant de sanction voire de licenciement pour « absences nombreuses et répétées » qui, d’après la direction, perturbent le bon fonctionnement de l’entreprise.
Le cas des salariés ã capacité restreinte est particulièrement scandaleux. Ils sont pourchassés et la pression est très forte pour qu’ils acceptent de tenir des postes rentables pour l’entreprise. Ça a été le cas dans le secteur préparation du montage où tous le secteur a été éclaté et une partie des salariés (malgré leur restriction médicale) a été muté en chaine. Un des collègues a d’ailleurs fait une tentative de suicide. Même si on ne peut pas affirmer que ce geste est exclusivement lié à la dégradation des conditions de travail, la situation actuelle a pu être le déclencheur.
Pour ce qui est du reste des salariés, ils vont se retrouver avec une intensification de leur charge de travail avec des postes de fou alors que la jeunesse se retrouve au chômage et les anciens ã mourir sur les chaines avec des cadences infernales.
Pourtant, les capacités de résistance des travailleurs de PSA Mulhouse, intérimaires et embauchés, peuvent êtres mises en mouvement. Il faudrait pour cela que nous y mettions de la force et des convictions dans le cadre d’une campagne massive et large avec la perspective d’une grève d’ici mars pour faire échouer le plan de suppressions et pour imposer l’embauche de tous les précaires et créer des poste en nombre suffisant pour ne pas perdre notre vie à la gagner .
Des premiers pas pour organiser la résistance
A PSA les premières actions contre ces attaques se mettent en place. Après la manifestation ã Valenciennes et les deux rassemblements devant le siège de PSA et ã Aulnay, le débrayage de plus de 350 ouvriers dans l’usine de Seine-Saint-Denis contre la suppression de plus de 200 postes et le rassemblement prévu ã Mulhouse pour le 26 janvier doivent être un pas vers une plus grande coordination et solidarité [4] et la mise en place d ’un véritable plan de lutte qui permette de taper tous ensemble et de nous entourer de la solidarité nécessaire pour gagner, en faisant passer l’idée que PSA constitue un bastion et un rempart important du mouvement ouvrier en France. Si le patronat gagne cette bataille, les conditions pour résister aux attaques qui viendront derrière seront fortement dégradées.
Une échéance importante pourrait être un grand meeting ou rassemblement de solidarité sur Paris, en invitant des représentants du site de Madrid et des autres boîtes qui sont ou ont été en lutte contre les licenciements. Le NPA devrait ouvrir une discussion dans ce sens avec les camarades de Lutte Ouvrière et se mettre ã disposition pour aider avec toutes nos forces dans ce sens, en faisant de cela un axe de notre activité ainsi que de la campagne de Philippe Poutou.
19/01/12
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