Par Jean-Patrick Clech
Les médias nous avaient servi ã volonté une pleine « semaine François Hollande » il y a quinze jours. Par souci d’équité sans doute, fidèles à leurs habitudes de chiens de garde du système, on a eu droit ã du Sarko-lourd ces derniers jours. Du Sarko le matin, ã midi et même le soir, en stéréophonie sur cinq chaines de télévisions, avec des journalistes lui faisant la courbette. Mais il n’y a pas que les médias qui sont fautifs dans l’histoire, car avant le cirque médiatique, il y a eu le cirque social du « sommet de crise » du 18 janvier.
Comme nous le soulignions fin décembre, « le pari sarkozyste consistant ã assumer pleinement l’austérité et parier sur la crise pour se faire réélire ne donne pas jusqu’à présent de résultats très convaincants…. Sarkozy a certes réussi ã grimper un peu dans les sondages au cours des dernières semaines. Ce n’est pas suffisant cependant pour rattraper son retard sur Hollande » [1]. La stratégie continue ã patiner et peine ã montrer des effets positifs sur la cote de popularité du « président-qui-n’est-pas-encore-candidat-mais-ça-va-venir-il-suffit-d’un-peu-de-patience ». Sarkozy cependant persiste et signe. Il assume plus que jamais le costume du capitaine dans la tempête et de père-la-rigueur « seul ã même de garder le cap, face ã son principal rival, François Hollande, qui ne serait pas à la hauteur », qualifié de « faible, creux et indécis » [2] par des proches de la présidence par voix de presse. Sarkozy pense qu’il aura un bonus en n’ayant pas peur de se montrer impopulaire, qu’il ose « parler vrai » et qu’il est dans l’action (car le pire, répète-t-il à l’envi, serait d’être dans l’inaction…). Le seul problème, c’est que pour son petit numéro de scène, il a besoin d’autres acteurs et d’autres figurants. Et dans la première phase de sa petite comédie qui n’a rien de drôle, ce sont les bureaucrates syndicaux qui se sont bien volontiers prêtés au jeu.
Un « sommet de crise » après la dégringolade du triple A
Lors de son discours-flop de Toulon II, le premier décembre dernier, Sarkozy avait annoncé son intention de convoquer un « sommet social » pour le 18 janvier à l’Elysée. Voilà qui donnait aux confédérations un bon mois et demi si ce n’est pour appeler ã cette date-là à la mobilisation générale (on peut toujours rêver…), au minimum pour décliner l’invitation afin de ne pas se faire instrumentaliser en pleine campagne électorale qui ne dit pas son nom. On sait parfaitement que chez Sarkozy, plus encore que sous ses prédécesseurs, les « sommets sociaux » relèvent davantage de la communication que du dialogue, par-delà ce qu’on peut penser d’un possible dialogue avec la droite gouvernementale et Laurence Parisot. Et bien non. Les confédérations syndicales ont non seulement répondu à l’appel, mais ont également mis de l’eau dans leur vin (déjà passablement clairet), se contenant au dernier moment ã un timide rassemblement passé inaperçu Place de la Bourse ã Paris.
Les bureaucrates syndicaux jouent la trêve des confiseurs et Sarko gagne son pari
Sarkozy craignait surtout qu’on lui envoie des seconds couteaux ce jour-là ou encore des propos de perron grinçants au sortir du sommet, rebaptisé à la hâte « sommet de crise » dès l’annonce de la dégringolade du triple en double « A ». Non seulement il a eu droit au gratin syndical, mais également ã des propos aimables : « quelques mesures utiles, même si elles ne vont pas aussi loin que nous le souhaitons » a déclaré à la sortie, toujours aussi virulent, François Chérèque, pour la CFDT ; Jean-Claude Mailly, FO, presque plus combatif, a quant à lui été satisfait par des « réponses sur certains points comme le chômage partielpour lequel l’Etat va mettre 100 millions d’euros » (soit ã peine vingt fois le prix dépensé par l’Elysée pour rapatrier son « DJ » de fils d’Odessa en falcon présidentiel… Les chômeurs apprécieront) ; Bernard Thibault s’est montré plus circonspect, mais non moins complaisant : « les mesures annoncées pendant ce sommet n’auront pas d’impact véritable pour l’emploi ».
Irresponsable complicité avec le gouvernement que celle de Chérèque et Thibault qui souhaitent, parait-il, voir Sarkozy partir… Avec de pareils propos, on ne dirait pas. En fait, ce qu’ils souhaitent, c’est peut-être un changement de personnel élyséen, mais sans pour autant que le fond de la politique sarkozyste ne soit remise en cause si Hollande était élu en mai.
Des mesures bien plus pernicieuses qu’elles n’en ont l’air : la question du recours au chômage partiel
L’autre élément assez scandaleux, c’est qu’à lire les déclarations des patrons des confédé à la sortie du sommet, on a l’impression que ce ne sont que des « mesurettes » qui ont été annoncées et qu’en plus elles allaient plutôt dans le bon sens. Non seulement il n’en est rien, mais en gagnant son pari d’organiser un « sommet social » en trompe-l’œil lissé de toute aspérité, Sarkozy préparait le cirque médiatique qui venait après ce cirque social : les mesures, les vraies, il allait les annoncer le 29 janvier.
Pour ce qui est de mesures annoncées le 18, une au moins est extrêmement dangereuse : la réforme du chômage partiel. Chérèque de son côté avait aplani le terrain lors de la conférence « Compétitivité : agir ensemble maintenant » organisée le jour même de la journée d’action du 15 décembre [3]. Le recours au chômage partiel, que le gouvernement veut faciliter, est une escroquerie pour les travailleurs, même quand ils sont payés (pour ceux qui sont en CDI) ã hauteur de 95% de leur salaire. Voilà qui permet aux plus grosses boites de payer l’inactivité temporaire (qui souvent fait suite ã des cycles d’exploitation plus intenses) sur les deniers publics. C’est l’Etat et l’Unedic qui financent les différents dispositifs, pour le plus grand bénéfice donc des grands patrons [4]. L’autre élément est plus politique, même si le patronat français n’y a pas eu recours encore. En Italie, c’est le recours ã un chômage technique très particulier (« cassa integrazione ») qui permet au patronat non seulement d’ajuster la production en fonction des carnets de commande mais également de mettre à la porte sans le dire des ateliers entiers lorsqu’ils sont trop combatifs ou trop revendicatifs, afin de briser la résistance ouvrière, sous couvert de contraction de l’activité, ou encore de fermer des usines sans que ce soit « officiel ».
Cirque médiatique et mauvais coups
Sarkozy réservait donc le gros de l’artillerie ã son allocution du 29 janvier, le « sommet de crise » n’ayant servi qu’à lancer des ballons d’essai et ã amuser la galerie syndicale. Sur la question des « pactes compétitivité emploi » et du projet de « TVA social », Sarkozy avait de toute façon annoncé la couleur : « ces réformes relèvent du chef de l’Etat et après c’est la nation qui tranchera ». Il s’est donc bien fichu des syndicats puisqu’en dernière instance, pour ce qui est du gros des réformes, il n’a aucunement besoin de les consulter… C’est donc à la télévision, un instrument plus direct de « démocratie » et de « dialogue », surtout quand c’est l’Elysée qui en a le quasi monopole et que les journalistes passent les plats, que Sarkozy a continué son numéro de père -la-rigueur qui prend ses responsabilités.
Une « taxe Tobin » déjà votée
Un coup « ã gauche » pour en mettre un gros ã droite. Sarkozy a ressorti les vieilles méthodes. Pour ce qui est des coups « ã gauche » (avec beaucoup de guillemets), le plus drôle est sans doute celui de la « taxe sur les transactions financières » que Sarkozy vouaient aux gémonies il y a encore quelques mois. La « taxe Tobin » n’est même pas supposé écorner un tant soit peu un système en crise, mais ça on le savait déjà . Le plus drôle c’est qu’elle a déjà été votée par la gauche plurielle (sans les voix de l’UMP à l’époque) en 2001, ã quatre mois de la fin du mandat de Jospin… et qu’elle n’a jamais été appliquée.
Mais ce qui compte, c’est l’effet d’annonce. Et ã ce sujet, Sarko est champion. Le voilà donc maintenant en président-altermondialiste-du-dimanche, ã son tour pourfendeur de la finance, comme Bayrou, comme Le Pen ou comme Hollande [5]. Ça ne mange pas de pain.
Sarkozy veut singer Schröder
Pour le reste, c’est moins drôle. La batterie de contre-réformes annoncée vise ã essayer de rattraper en un laps de temps extrêmement court les réformes économiques et du marché du travail adoptées Outre-Rhin sous le mandat du chancelier social-libéral Gherard Schröder et qui expliquent pour partie la moins mauvaise forme du capitalisme et du patronat allemands par rapport aux autres pays d’Europe.
La solution est assez simple : prendre dans les poches des travailleurs pour le reverser au patronat et atomiser le plus possible toute protection sociale et capacité de négociation du salariat. D’un côté il y aurait donc la « TVA sociale » qui est une attaque en règle contre le pouvoir d’achat (même si, nous dit-on en se moquant de nous, elle ne devrait pas mener ã une hausse des prix !). De l’autre il y aurait des exonérations ã hauteur de treize milliards des charges patronales, avec exonération totale des charges familiales versées par le patronat pour les salaires compris entre 1,6 et 2,1 SMIC, soit une attaque brutale contre notre salaire différé. Le tout serait chapeauté par des « accords de compétitivité » visant ã casser les contrats de branche au bénéfice des discussions boite par boite « afin de privilégier l’emploi sur les salaires ou les salaires sur l’emploi ». Les travailleurs allemands en ont fait la douloureuse expérience et on voit déjà le tableau : « vous préférez qu’on ferme le site ou vous êtes disposés ã travailler plus avec un salaire diminué en prime ? ».
Un peu de berlusconisme pour faire dans le populisme de droite
On passera sur les autres mesures, toutes plus réactionnaires les unes que les autres, notamment sur la question de l’apprentissage (encore une fois justifiée par le paradigme allemand et visant ã rendre le système scolaire français encore plus inégalitaire qu’il ne l’est déjà ). Une des annonces mérite tout de même d’être soulignée : 30% de construction en plus sur les permis de construire sur les trois prochaines années. On voit que Sarkozy a pioché ses idées dans le meilleur héritage de la droite populiste européenne. On n’est pas très loin de Berlusconi faisant de la « politique du logement » une arme pour satisfaire ses amis mafieux du BTP et séduire un électorat de propriétaires avide de bétonnage en tout genre. On comprend bien que la crise du logement, la vraie, celle que vivent au quotidien des millions de jeunes et de travailleurs pauvres, Sarkozy n’en a cure.
Et par-dessus le marché, Sarkozy a su dire avec aplomb qu’il ne voulait pas prendre les « français pour des imbéciles » ? Voilà qui laisse songeur.Tout comme lorsqu’il n’a pas rougi en affirmant sans ciller qu’il n’était pas là , sur le plateau télé pour parler de lui… Un véritable oxymore sarkozyste.
Chronique d’un échec qui s’annonce
Berlusconi avait au moins le mérite d’être honnête sur un seul point : il assumait pleinement son goût immodéré pour le culte de la personnalité. Schröder avait de son côté un autre atout : l’appareil de la social-démocratie allemande ainsi que la collaboration syndicale de la puissante bureaucratie de la DGB pour faire passer les réformes « Hartz IV ». Sarkozy lui, continue ã faire dans le brouillon et le trompe-l’œil, au grand dam des parlementaires les plus conscients de sa majorité et anciens caciques de la droite française des années 1980 et 1990 (Gilles Carrez, Pierre Méhaignerie, Alain Madelin, etc.) qui craignent une véritable bérézina à l’occasion des présidentielles et des législatives.
Mais les savants calcules de Sarkozy et de ses conseillers sont encore plus emberlificotés qu’on ne pourrait le croire : la droite ne croit plus en une remontée de la popularité du président, mais mise sur un effondrement de son rival. Comme le note un ministre, « ce qui compte c’est le moment où les courbes se croiseront » [6]. En attendant, ce sont les deux candidats qui se disent « antisystème » qui sont en embuscade : dans sa version modérée Bayrou, dans sa version plus haineuse Le Pen. Deux autres impasses pour le monde du travail et la jeunesse.
Préparer une alternative de classe aux politiques d’austérité de la bourgeoisie
Face ã tant de mépris, de haine de classe, de cadeaux pour les plus riches et de bêtise, on peut comprendre que nombreux seront les salarié-e-s et les jeunes qui voudront se débarrasser de Sarkozy par les urnes en avril. Deux hiatus cependant. En votant Hollande ou pour les candidats qui, en dernière instance, lui sont liés (Mélenchon ou Joly), ils ne se sépareront pas de la politique de Sarkozy. Comme l’ont souligné de nombreux journalistes qui sont loin d’être de dangereux gauchistes, comme le « Monsieur politique » de France Inter Thomas Legrand, on a pu voir comment lors du « débat » Juppé-Hollande ce n’était pas de deux programmes alternatifs dont il était question mais bien de la manière de mettre en musique l’austérité programmée.
Face au cirque social et médiatique de Sarkozy et face ã « l’austérité raisonnée » de Hollande, le vote pour une alternative de classe complètement indépendante est la seule option possible. Raison de plus pour que la campagne de Philippe Poutou soit encore plus radicale et débarrassée de toute ambiguïté vis-à-vis de la gauche bourgeoise et réformiste [7]. Ce sera autant de gagner pour être en capacité de regrouper nos forces, sur la base des luttes présentes et des colère accumulées pour préparer les bagarres ã venir contre les mauvais coups que nous adressera l’Elysée, quelle que soit la couleur de son prochain occupant.
03/02/12
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