Par Romain Lamel
Marine Le Pen emboîte le pas de son père sur la plupart des sujets : elle est aussi raciste et xénophobe que son papa… Mais dans sa version « newlook », le FN version Marine sait aussi user d’une certaine démagogie en direction du monde du travail. Mais que proposent les frontistes, exactement, en termes de fiscalité, de logement ou de santé pour les classes populaires ?
Depuis quelques années, on disait le Front National transformé, « dédiabolisé » pour utiliser l’expression la plus fréquemment utilisée par les journalistes. Loin d’un quelconque changement idéologique profond, le parti de la famille Le Pen gommait les aspects les plus polémiques d’une extrême-droite française nostalgique de l’Empire colonial et obsédée par Vichy pour se repositionner en variante de pouvoir possible face à la droite ou en association avec des secteurs de la droite traditionnelle en cas d’aggravation de la crise, avec toujours pour objectif de devenir le rempart de l’ordre derrière lequel une bourgeoisie aux abois pourrait venir s’abriter [1]. En temps de crise économique, pour qu’un parti d’extrême-droite maintienne son audience, il se retrouve ã appliquer la maxime du roman de Lampedusa, Le Guépard : « Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change ».
Le naturel chassé, il n’aura fallu attendre que les événements de Toulouse pour que le bon vieux discours du FN revienne au galop : « Combien de Mohamed Merah dans les bateaux, les avions qui chaque jour arrivent en France remplis d’immigrés ? » a déclaré la candidate frontiste, oubliant sans doute que celui-ci est né en France et qu’il était tout aussi français qu’Anders Behring Breivik était norvégiencela n’étant aucunement un gage d’intelligence et de tolérance. Si la xénophobie n’est plus l’axe principal de campagne du Front National, il demeure une part intégrante de son discours.
Nous ne reviendrons pas dans cet article sur les envolées xénophobes récurrentes de ce parti mais essaierons de comprendre l’évolution de son discours économique et social. Quand le père se revendiquait de Reagan et Thatcher, la fille en appelle désormais à l’interventionnisme de l’Etat. Qu’est-ce que cet interventionnisme change pour les classes populaires ?
Retraite ã 60 ans et suppression de l’ISF ?
Bien que le FN se soit opposé au mouvement contre la réforme des retraites à l’automne 2010, qualifiant même les grévistes des raffineries de « terroristes », Marine Le Pen propose le retour « progressif » à l’âge légal ã 60 ans ã taux plein avec 40 annuités de cotisation, sans indiquer toutefois le rythme de cette « progressivité », ni les objectifs de financement. Cette proposition est intermédiaire entre celle du Front de Gauche, le retour immédiat à la retraite ã 60 ans avec 40 annuités de cotisation et celle du Parti Socialiste, le retour à la retraite ã 60 ans avec 41,5 annuités de cotisation. Le FN serait-il un nouveau parti à la gauche du PS ?
Si l’on passe cette mesure symbolique quelque peu imprécise, on découvre que le programme du Front National s’avère dans la droite ligne de la rhétorique néo-libérale qui définit sa doctrine économique depuis sa création au début des années 1970. Ainsi, le FN souhaite défendre les petites entreprises et les artisans étranglés par les charges et les procédures administratives, l’apprentissage ã 14 ans, le durcissement des sanctions envers les chômeurs. Sa réforme fiscale révèle sa condition de serviteur des plus riches, encore plus zélé que Nicolas Sarkozy lui-même. Le FN souhaite supprimer l’ISF que Nicolas Sarkozy s’était contenté de réduire. Comme Sarkozy d’ailleurs, la candidate du FN préconise d’augmenter l’impôt le plus injuste socialement, la TVA, de 3 % sur les biens importés. Cette perte de pouvoir d’achat serait, comme pour Sarkozy, financée par un autre cadeau aux entreprises : l’Etat volerait une partie du salaire différé des travailleurs, les cotisations sociales patronales qui servent ã payer la Sécurité Sociale et les assurances chômage des travailleurs ; dans le même temps, ce serait l’Etat qui augmenterait de 200 euros net les salaires inférieurs ã 1,4 fois le SMIC. Ainsi, le patronat se verrait doublement gagnant : d’un côté par une exonération d’impôts, de l’autre car il ne serait même plus sollicité pour l’augmentation des salaires [2] .
Les fraudeurs, voilà l’ennemi !
Les propositions de Marine Le Pen concernant le logement sont tout aussi nocives pour la population laborieuse. Ce ne sont pas les propriétaires que vise Marine Le Pen mais les locataires, ceux « de mauvaise foi » qui ne « payent pas leurs loyers » ou qui « effectuent des dégradations » dans les logements sociaux qu’ils occupent. Native de Neuilly-sur-Seine, vivant dans un château sur les hauteurs de Saint-Cloud, Marine Le Pen ne propose pas de s’engager dans un renforcement des sanctions contre les communes ne respectant pas la loi SRU imposant 20 % de logements sociaux. Elle propose d’adapter la loi « aux possibilités concrètes de chaque commune » [3] . Un élu UMP de la banlieue parisienne ou lyonnaise ne saurait mieux dire…
Lorsque l’on aborde la question du déficit de la Sécurité Sociale, le FN montre encore une fois ouvertement quel est son maître. Pour le FN, ce ne sont les profits des multinationales pharmaceutiques ou les cadeaux faits aux patrons en termes de dégrèvements ou baisse de « charges » qui sont en cause, mais les « fraudeurs ». Ainsi, la candidate du Front National voudrait instituer un « secrétariat d’Etat à la lutte contre la fraude », créer une carte vitale biométrique sécurisée, imposer aux collectivités locales de transmettre toutes leurs informations, croiser systématiquement les fichiers sociaux et fiscaux, mettre en place un dossier médical personnalisé, etc. [4] . La poursuite de la traque des assurés sociaux pour rogner sur les remboursements aurait donc de beaux jours devant elle avec Marine Le Pen.
Par le biais d’un héritage, la démagogie du FN s’est rajeunie, féminisée, modernisée mais elle n’a rien perdu de son venin. Le FN reste l’allié indéfectible des classes dominantes et l’ennemi des classes populaires. Un vieux révolutionnaire russe expliquait qu’en temps de crise, le pouvoir politique ne peut se maintenir longtemps au sommet : telle une bille au sommet d’une pyramide, il doit infailliblement tomber ã gauche ou ã droite. Avec Le Pen, la bourgeoisie a sa solution toute trouvée pour que, si besoin est, la bille dévale la pyramide sur son versant droit, celui du maintien de l’ordre social ã grands coups de « talons de fer » ; ã nous, révolutionnaires, de construire au plus vite, la voie pour que la bille descende du côté gauche, celui d’une société émancipée sans exploitation, ni autre forme de domination.
12/04/02
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