Par Marc Barois
En dépit de ce qu’annonçaient les médias et malgré les dénégations du gouvernement, la grève générale du 29 mars a été un réel succès. C’est une première réponse contre la réforme du marché du travail voulue par le nouveau gouvernement de droite. C’est aussi un signe extrêmement encourageant que les travailleurs et la jeunesse de l’Etat espagnol lancent ã tous ceux qui en Europe luttent contre l’austérité.
Toxo et Mendez, secrétaires généraux de Comisiones Obreras et UGT annoncent la grève à la télé
L’État Espagnol dans la tourmente, le scénario économique des « années trente »
« Le capitalisme a porté les moyens de production ã un niveau tel qu’ils se sont trouvés paralysés par la misère des masses populaires qu’il a ruinées. De ce fait, tout le système est entré dans une période de décadence, de décomposition, de pourriture. Non seulement le capitalisme ne peut pas donner aux travailleurs de nouvelles réformes sociales, ni même de simples petites aumônes, mais encore il est contraint de reprendre même les anciennes. Toute l’Europe est entrée aujourd’hui dans l’ère de "contre-réformes" économiques et politiques. La politique de spoliation d’étouffement des masses n’est pas le fruit des caprices de la réaction mais résulte de la décomposition du système capitaliste. » (Où va la France ?, 1934, Léon Trotsky)
Comme nous le soulignions dans un précédent article, « la nouvelle réforme du travail telle que la conçoit Rajoy constituerait un recul historique pour les acquis des travailleurs. Elle les ramènerait aux moments les plus sombres de l’histoire de l’Etat espagnol. Toutes les attaques antérieures menées par les socialistes (Felipe González) comme par la droite (José María Aznar), semblent presque indolores en comparaison du véritable rouleau compresseur mis en marche par Rajoy. S’il avait dit vouloir revenir à la situation antérieure à la Loi sur les Conventions Collectives franquiste de 1963, il ne s’y serait pas pris différemment » [1]. Il s’agit bien de la pire attaque contre la classe ouvrière depuis l’époque franquiste, introduisant des rapports d’exploitation plus proches de ceux de la fin du XIXème et début du XXème que de ceux d’un pays impérialiste tel que l’Espagne. En effet, la crise capitaliste balaye d’un seul coup tous les acquis du mouvement ouvrier : la mise au travail forcée des chômeurs, la surexploitation de la jeunesse ou la disparition de la distinction entre travailleurs permanents et temporaires ne sont que quelques éléments de la réforme de Mariano Rajoy.
Une situation qui commence ã basculer après une mobilisation sans précédents
La grève du 29 a été un réel succès. Il suffit de prendre quelques exemples, parmi les plus significatifs. Dès les premières lueurs du jour, au matin du 29 mars, les zones industrielles de la région de Barcelone et la pétrochimie de Tarragone se sont retrouvées pratiquement paralysés. Chez Nissan, Seat, Ficosa ou Valeo, l’activité était quasi nulle, tout particulièrement dans le site Seat de Martorell, principale usine de la région qui compte plusieurs milliers de salariés. Cela a entrainé tous les sous-traitants et fournisseurs ã s’arrêter, effet secondaire du « juste-à-temps » capitaliste. Dans l’industrie pétrochimique, chez Repsol et Dow Chemical, la grève a été suivie ã 100% selon les syndicats, avec un piquet de grève d’une centaine de personnes. Dans une Catalogne très industrialisée et qui représente 28% du PIB de l’économie espagnole, la grève a été suivie très majoritairement. On comptait aussi 100% de grévistes dans les transports, 78% dans les administrations publiques et 75% dans l’éducation. En Galice, PSA Peugeot-Citroën fonctionnait ã 10% de ses capacités. Ce n’est pas tout, puisqu’on estime que presque la moitié des travailleurs autonomes (taxi, agriculteurs, etc.) ont également suivi la grève. C’est dans les services et les commerces que la grève a été le moins suivie. Cela tient avant tout au fait que ce sont des PME, sans implantation syndicale, avec une grande proportion de contrats précaires, où la peur de perdre le travail ou 100 euros de salaire a pesé. Malgré cela, « la Catalogne est paralysée » affirmait le secrétaire d’un des deux principaux syndicats, Commissions Ouvrières (CC. OO.) Joan Carles Gallego.
Sur les piquets de grève dès 5h du matin
(Grève suivie massivement le 29/3)
Une grève, ça se prépare. Du côté des travailleuses et des travailleurs comme du côté de la jeunesse solidaire. Au cours des jours précédent la grève par exemple, de nombreuses délégations de camarades organisés au sein de l’Agrupación Revolucionaria No Pasarán ont organisé des délégations sur les lieux de travail ã Barcelone et ã Saragosse, avec des secteurs de travailleurs qui préparaient la grève générale. Les indigné-e-s, aux côtés des étudiants et des lycéens, ont été présents sur les piquets de grève dès 5 heures du matin pour rejoindre ensuite les manifestations « historiques » de l’après-midi. Les principales avenues du pays étaient débordées par la confluence de secteurs ouvriers et de la jeunesse. Plus de 3 millions de manifestants selon les syndicats, 900. 000 ã Madrid, 800.000 ã Barcelone, 250.000 ã Valence, 90.000 ã Saragosse. Il s’agit des plus grandes manifestations depuis la grève historique du 14 décembre 1988 qui a mis en échec la première offensive néolibérale du gouvernement du Parti socialiste (PSOE). Seules sont comparables les manifestations de 2003 contre la guerre en Irak. A Barcelone, au principal cortège s’ajoute la manifestation « alternative » de la gauche syndicale, convoquée par la CGT (différente de la CGT française et plus proche de Solidaires) et la CNT, qui a réuni 17.000 personnes. Les manifestants se sont par la suite retrouvés ã 50.000 avec la participation des indigné-e-s du mouvement du 15M et le reste de la gauche syndicale.
Une manifestation explosive ã Barcelone
La convergence de ces secteurs, une fois arrivés au centre de Barcelone, a été explosive. La jeunesse s’est affrontée aux Mossos d’Escuadra, la police catalane, jusqu’à tard. Ces évènements ont amené Felip Puig, ministre de l’Intérieur du gouvernement catalan et organisateur de la répression du mouvement des indignés l’an passé, ã conclure que « les violents sont plus nombreux et sont organisés » et que « 1.000 ou 2.000 citoyens ont versé dans l’illégalité et la violence de rue ». Il n’a pas manqué de souligner combien les « violents », avec leur « attitude criminelle », voulaient faire un siège de Barcelone comme les manifestants grecs ont fait ã Athènes autour du Parlement lors des dernières journées de grève. Ce qu’il ne dit pas c’est que les barricades et les jets de pierre ont été une réponse à la répression policière qui a sorti les gaz lacrymogènes pour la première fois depuis 16 ans et a utilisé des balles de caoutchouc et que la seule violence ã dénoncer est celle du chômage et de la réforme du marché du travail.
« Une grève réussie et un peu plus »
« Une grève réussie et un peu plus », c’est ainsi que l’a définie Guillem Martinez dans El Pais [2]. Par-delà ses considérations sur l’ « acte de protestation citoyen », l’article contrastait avec les commentaires haineux ou méprisants de la presse espagnole vis-à-vis des manifestants et de la mobilisation dont tout le monde, la veille encore, doutait du succès. On peut citer notamment l’éditorial de El Pais le lendemain du 29 mars appelant au dialogue et, au « besoin, de maintenir les ponts ouverts entre le Gouvernement, les partis et les partenaires sociaux » puisque, d’après ce quotidien, ni l’économie, ni la confiance des investisseurs n’avaient besoin de cette grève, « et moins encore de nouvelles grèves. Négocier est mieux que s’entêter ã utiliser la force, et pour cela les parties concernées devraient s’atteler à la tâche d’enrayer l’aggravation du climat social [3] ».
L’objectif du principal journal espagnol était de défendre ouvertement le rôle des directions des syndicats majoritaires dans le « contrôle » (sic) de milliers de manifestants qui ont rejoint les nombreux cortèges, par-delà la politique démobilisatrice de la bureaucratie syndicale. Celle-ci avait négocié avec le gouvernement la mise en place d’un service minimum dans neuf communautés autonomes espagnoles (l’équivalent de nos régions) : « Les services minimum ont été largement respectés et les syndicats qui ont appelé à la grève ont très bien contrôlé la mobilisation de centaines de milliers de manifestants qui se sont joints, en plus, aux cortèges syndicaux dans plus d’une centaine de villes – ainsi que les actions menées par des organisations syndicales minoritaires ou groupes d’indignés - ». Mais ce que tous les experts et analystes bourgeois laissaient entrevoir, au-delà de leur critique de la « violence » des manifestants (incomparable à la violence structurelle de la domination d’une classe sur une autre) ou du manque de dialogue des directions syndicales, c’était la préoccupation que la conflictualité devienne chronique.
Répression et arrestations
Si la mobilisation a été sans précédents, la répression l’a été tout autant. Les vidéos et les photos montrent une Barcelone avec des colonnes de fumée qui montaient des barricades, ce qui a rappelé la Barcelone de « la rosa de foc » (la rose de feu), traditionnellement ã gauche et un des derniers bastions des républicains. Au lendemain du 29, le gouvernement catalan a décidé de créer un plan de lutte contre la « guérilla urbaine » en réponse aux affrontements, menaçant de poursuites les quelques 50 manifestants interpelés la veille. Le président du Parti Populaire (droite) de la ville, Alberto Fernández Díaz, a même été jusqu’à demander l’application de la législation anti-terroriste. A ce jour, trois étudiants ont été condamnés à la prison ferme. Comme on l’a déjà dit, la peur d’un scénario grec inquiète les classes dominantes, ce qui explique la férocité de la répression en Catalogne où la police ne veut pas de la répétition d’un 15 juin, lorsque les indignés ont véritablement assiégé le parlement lors du vote du premier budget d’austérité. La « grève du 29M » a été une des principales réponses aux attaques de la bourgeoisie européenne en période de crise.
Une première riposte d’envergure contre la droite post-franquiste espagnole
Cette grève a eu lieu ã peine cent jours après la « vague bleue » du 20 novembre qui a porté le Parti Populaire au gouvernement avec une majorité absolue à la Chambre, confortant l’idée de Mariano Rajoy selon laquelle il ne rencontrerait pas trop d’obstacles ã ses contre-réformes. Pourtant, après avoir enchaîné les victoires, le PP s’est heurté au résultat des élections régionales en Andalousie le 25 mars, fief historique de la gauche espagnol et où le PP était donné vainqueur. Alors que 46% des Andalous avaient voté pour le parti de Rajoy le 20 novembre, seulement 41% d’entre eux l’ont fait cette fois-ci, indiquant une très rapide usure du nouveau gouvernement (les prévisions du 18 mars donnaient encore 47% d’intentions de vote pour le PP). Cette situation n’a pu que contribuer à la mobilisation qui a eu lieu le 29 mars, où, malgré la campagne antisyndicale de la droite et des médias, les travailleurs ont donné un coup d’arrêt à l’économie du pays.
Voilà qui place l’État Espagnol, d’après The Economist, ã nouveau dans la ligne de mire de l’Union Européenne [4]. Effectivement, Bruxelles demande ã Rajoy de « trouver » 20 milliards d’euros avant la fin de l’année. En une manœuvre désespérée pour arracher l’Andalousie aux socialistes et pour démobiliser les masses, le gouvernement aurait même attendu le 31 pour annoncer le nouveau budget de l’État qui se présente comme « très, très austère », pour reprendre les termes de Rajoy lui-même. Que ce soit une lutte « épique » ou une « mission impossible » pour obtenir ces 20 milliards, une seule chose est claire : si l’État se voit dans l’impossibilité de reculer face à l’avancée des masses, on se dirige de plus en plus vers une situation du « tout ou rien ».
Quelle suite ã donner à la mobilisation ?
Rien ne semble indiquer que le gouvernement fera un accord sous le manteau avec la bureaucratie syndicale. Cette première expérience a en effet montré ã quel point les travailleurs sont une force quand ils se mettent en marche, en dépit du rôle de Toxo et Méndez, secrétaires des deux principaux syndicaux, CC. OO. et UGT, qui eux préfèrent s’asseoir à la table de négociations avec les patrons comme ils l’ont fait sous le PSOE et comme ils veulent le faire maintenant sous le PP. C’est aussi une expérience de l’unité des rangs ouvriers qui va à l’encontre de l’orientation sectaire de la gauche syndicale. On a pu voir, par exemple, ã Barcelone les dirigeants de la CGT des autobus s’opposer à la grève parce qu’elle était convoquée par CC. OO. et l’UGT. Indépendamment de la « marque » syndicale, les travailleurs et les militants combatifs ont compris, eux, qu’il fallait être sur les piquets de grève et dans les actions tout en critiquant l’orientation des directions syndicales et en défendant l’unité entre chômeurs, travailleurs temporaires, immigrés et jeunes précaires, qui ne sont pas encore organisés sur leur lieux de travail. Le 29M a dénoncé les limites de la politique des directions syndicales en démontrant que cette unité était possible.
A partir de la dynamique déclenchée par la grève générale du 29M il faut édifier un plan de lutte contre la réforme du travail, car, contrairement ã ce que le réformisme et les directions syndicales affirment, une réforme de ce type ne se négocie pas. Elle se combat. Les travailleurs et la jeunesse mobilisés le 29 montrent que c’est une perspective que beaucoup commencent ã considérer très sérieusement.
01/04/12
Solidarité avec la jeunesse, les travailleuses et les travailleurs de l’Etat espagnol
S’ils s’en prennent à l’un d’entre nous, ils s’en prennent ã nous tous !
Nous publions ici une motion à l’initiative des camarades de Clase contra Clase [5] en solidarité avec les manifestants arrêtés pendant la journée de grève du 29M.
Après la journée de grève massive et historique du 29 mars (29M) dans l’Etat espagnol contre la Réforme du Travail et les réductions budgétaires, le gouvernement a répondu par la répression policière et une forte campagne de criminalisation qui s’est renforcée ces derniers jours, particulièrement ã Barcelone. Le discours de ceux qui veulent criminaliser la protestation sociale s’est également renforcé, en franchissant un pas supplémentaire dans la persécution des ouvriers et des jeunes qui luttent.
Le conseiller du Ministère de l’Intérieur catalan, Felip Puig, a demandé un durcissement du Code Pénal, le recours à la prison provisoire, ainsi que le renforcement des forces de police anti-émeute de 25%. Le président du Parti Populaire (PP) ã Barcelone, Alberto Férnandez Diaz, a également exigé l’application des lois anti-terroristesque l’on emploie d’habitude contre les basques et qui prévoient une peine minimale d’emprisonnement de deux ans. Jusqu’à présent, les désordres publics étaient passibles de six mois ã trois ans de prison. Les réponses sont de plus en plus violentes face ã une réalité déjà très violente marquée par les réductions budgétaires, le chômage, la faim, la réforme du travail et les expulsions.
Au cours de la journée de grève il y a eu plus de 180 arrestations partout dans l’Etat espagnol, dont au moins 50 ã Barcelone, et quatre personnes ont été placées en "prison préventive". Puig a déclaré que 42 des 79 personnes arrêtées en Catalogne - dont huit mineurs - avaient été placées sous contrôle judiciaire et qu’une seule personne avait été remise en liberté sans charge. La répression policière, en faisant usage de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc, a également fait des dizaines de blessés, dont deux ont perdu un œil.
Nous, signataires de cette déclaration, dénonçons la campagne de criminalisation et de répression policière contre les travailleurs et les jeunes de la grève du 29M et exigeons la remise en liberté immédiate sans aucune charge de toutes les personnes qui ont étéincarcérées pendant cette journée de lutte. Nous exigeons aussi l’annulation de tous les procès judiciaires ouverts contre des activistes du 29M.
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