Par Vincent Duse, CGT Peugeot Mulhouse, et Nicolas Rossel (93)
« Des menteurs ! ». « Des salauds ! ». Le mot était sur toutes les bouches jeudi matin, sur le parking, devant les tourniquets de l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois en Seine-Saint-Denis. En plus des 3000 postes directs en production que représenterait la fermeture du site à l’horizon 2014, ce sont 1.500 postes qui sont menacés sur le site de Rennes-La Janais et 3.500 autres hors production, ã savoir parmi les personnels administratifs, techniciens, ingénieurs et cadres. Personne ne sera épargné par PSA. L’ensemble des salariés le sentent depuis des mois maintenant.
On connait la musique pour justifier l’injustifiable. Les arguments du groupe sont toujours les mêmes. « Le coût de production en France est de 10% plus élevé qu’en Europe orientale ». « PSA traverse des difficultés ». « C’est la crise ». Et pourtant, jamais les caisses du groupe n’ont été aussi pleines, remplies entre autres par de l’argent public. Jamais les rémunérations des « dirigeants » n’ont été aussi élevées. Jamais on n’a aussi grassement payé les actionnaires.
On comprend d’autant plus l’émotion des travailleurs. Et pourtant le plan avait été révélé l’an dernier déjà par la CGT. Cela n’a pas empêché la direction de nier son existence pendant douze mois. Lors du quart d’heure d’informations qui s’est tenu dans les ateliers jeudi matin ã Aulnay, les chefs ont égrené les nouvelles que leur avait communiquées la direction avant le CCE extraordinaire convoqué le 12 juillet. Comme si de rien n’était, au milieu de la liste ces mêmes chefs, qui depuis un an relaient le discours de Varin selon lequel Aulnay n’est pas menacé, ont glissé que le site allait fermer. La réaction a été immédiate. Dans de nombreux ateliers, les chefs n’ont pas demandé leur reste et sont partis immédiatement. Les chaines n’ont pas démarré. Prévu ã 13h30, le rassemblement à l’appel des syndicats a duré toute la matinée et s’est étendu pendant une partie de l’après-midi. Tant jeudi que vendredi, la production a hoqueté sur les sites d’Aulnay et de Rennes, avec un débrayage sauvage jeudi sur Aulnay et un débrayage massif le jour suivant sur Rennes.
Sur le parking du site de Seine-Saint-Denis, les cars continuaient ã amener les travailleurs de l’équipe de l’après-midi qui apprenaient la nouvelle. Nombreux sont ceux qui badgeaient pour ressortir immédiatement après pour rejoindre leurs collègues de l’équipe du matin rassemblés avec d’autres délégations syndicales venues de plusieurs autres centres de production (PSA Saint-Ouen, Renault Cléon, etc.) ainsi que du département (CGT Plaine Commune, Roissy, etc.).
La colère était palpable, non seulement contre la direction du groupe, bien entendu, mais également contre les représentants locaux du PS, en la personne de Gérard Segura, maire d’Aulnay. Les travailleurs n’avaient toujours pas avalé que le gouvernement du « changement, c’est maintenant », leur ait envoyé les CRS lors de la manifestation devant le siège du groupe, avenue de la Grande-Armée, le 28 juin, alors qu’ils étaient soutenus par des délégations venues de tout l’Hexagone [1]. Quelques œufs ont volé, de l’autre côté des grilles, où se trouvaient quelques agents de maitrise et des chefs. « Ce n’est rien par rapport ã ce qui va se passer en septembre [après la pause estivale qui commence le 27 juillet] » avertissaient plusieurs travailleurs, devant les journalistes présents. Sur les 3.000 salariés d’Aulnay, la moitié serait reclassée en interne, notamment ã Poissy, où 700 licenciements sont également annoncés. Cherchez l’erreur ! L’autre moitié serait reclassée sur le bassin d’emploi, déjà sinistré. Varin a même inventé un nouveau concept : la revitalisation du site d’Aulnay après sa fermeture ! Sans oublier l’ensemble des emplois touchés directement ou indirectement, au niveau de la sous-traitance, sur le département, etc. Trop c’est trop, et la colère, cette fois-ci, risque bien de déborder.
C’est la CGT d’Aulnay qui a donné le ton du rassemblement qui s’est tenu devant les 600 travailleurs présents, ainsi que de nombreux soutiens syndicaux et politiques, notamment d’extrême gauche (NPA et LO), venus du département et au-delà . A part Marie-Georges Buffet, députée de la circonscription, et Segura, maire de la ville, la « gauche plurielle nouvelle mouture » brillait par son absence, Front de Gauche compris. L’heure est à la résistance et la perspective, c’est de faire reculer Varin. C’est le message qu’a délivré Jean-Pierre Mercier à la tribune, sans pour autant lever l’ambigüité sur ce que veut dire « nous vendrons cher notre peau » : interdiction des licenciements sur Aulnay en particulier et le groupe en général ou négociation d’indemnités de départ, comme cela s’est fait lors du cycle de luttes ouvrières contre les fermeture entre 2008 et 2009 ?
Des adversaires multiformes pour les travailleurs
La CGT a dressé cependant un bilan de l’annonce de la direction et a démonté un ã un tous les arguments avancés par le groupe. Les syndicalistes ont également fait la liste des ennemis et des adversaires auxquels allaient avoir ã faire face les travailleursdans les prochains mois : Varin et les siens bien entendu ; mais aussi le gouvernement qui, comme l’opposition de droite, s’époumone et feint la surprise : « PSA a attendu la fin des élections pour annoncer la fermeture », a déclaré François Hollande lors de son interview du 14 juillet, alors que c’était écrit noir sur blanc dans le plan secret de la direction que la CGT a publié l’été dernier ; « C’est un choc pour la nation », a surenchéri Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, « l’Etat n’acceptera pas en l’état le plan de PSA ». L’ensemble du gouvernement, au final, en appelle ã davantage de concertation et ne dit pas refuser le plan en tant que tel, mais le plan « dans l’état ». Nuance. On sait comment ce genre d’atermoiements finit en général. On a tous en tête Lionel Jospin, en 1997, qui après avoir juré ses grands dieux que Renault Vilvorde n’aurait pas fermé, finissait par dire que « l’Etat ne peut pas tout », condamnant de ce fait des milliers de familles ouvrières belges à la misère.
C’est pour cela que les travailleurs de PSA, ã commencer par les salariés des sites concernés, ainsi que de l’ensemble des sous-traitants, doivent s’organiser, immédiatement, à la base, pour exiger le retrait du plan de suppression, la non-négociation des licenciements en « échange » d’une dégradation des conditions de travail (comme Varin voudrait l’imposer sur SevelNord), voire même pour exiger, si nécessaire, la nationalisation, sous contrôle des salariés, des sites menacés, et leur mise en production au service des besoins socialisés de la population (transports en commun, voitures collectives, etc.). Pour ce faire, les travailleurs ne peuvent compter que sur leurs propres forces. Le jour de l’annonce du plan, aucun responsable syndical national n’était présent aux côtés des travailleurs, et pour cause. Sans doute cuvaient-ils leurs deux journées de discussions avec Hollande et Ayrault lors du Sommet des 9 et 10 juillet au cours duquel ils ont négocié la paix sociale pour la rentrée. A entendre leurs déclarations, ã commencer par celles de Bernard Thibault, plus intéressé par sa succession à la tête de la centrale cégétiste que par le sort des sites menacés, on a l’impression d’entendre une « version bis » du gouvernement : il faut envoyer des experts et renégocier les PSE. Voilà en substance ce qu’a déclaré Thibault à la matinale de France-Inter le 12.
Coordination et comité de grève
A la tribune sur le parking, ã Aulnay, Philippe Julien, responsable CGT, a indiqué combien il était nécessaire que les travailleurs du site s’adressent à l’ensemble de leurs collègues ainsi qu’à l’ensemble des travailleurs, ã commencer par ceux dont l’emploi est menacé [2]. A quelques encablures de l’usine, ã Roissy, Air France prépare une saignée ã blanc de ses effectifs. La coordination des sites menacés et des équipes syndicales combatives doit être effectivement mise sur pied, dans l’unité, afin de se préparer ã contrer, au moins dès la fin de la pause estivale, les plans du patronat.
Sur un site comme Aulnay où seule une minorité des salariés sont syndiqués, dans plusieurs syndicats différents de surcroit, il est aussi parfaitement juste qu’une équipe d’animation de la lutte soit mise en place, ouverte aux syndiqués comme au non syndiqués, révocable et agissant sur mandat des travailleurs en lutte. Cette proposition a également été votée par les travailleurs réunis sur le parking.
Pour un grand mouvement de solidarité avec les travailleurs de PSA : les licenciements ? « No pasarán » !
Reste ã savoir maintenant comment dans l’ensemble des départements concernés, la Seine-Saint-Denis et l’Ille-et-Vilaine, mais aussi sur les sites du groupe, au sein même des équipes combatives, des comités de soutien vont pouvoir se structurer, pour appuyer les travailleurs qui ont voté la mise en place d’une coordination et d’un comité de grève, mais aussi pour appuyer leur lutte, les soutenir politiquement et financièrement, dans l’action militante et dans les rassemblements. C’est un embryon de tissu de solidarité qui nous sera nécessaire pour affronter ce que Hollande a eu le culot d’appeler lors de son interview du 14 juillet « l’effort partagé », c’est-à-dire larigueuret l’austérité, et qui va tous nous concerner, travailleurs du privé comme du public, jeunes, retraités et pensionnés. Sur l’ensemble des autres sites, même si les syndicats maison, toutes couleurs confondues, s’ingénient ã dire aux collègues que nos sites ne seront pas touchés, la solidarité aussi doit se renforcer, à l’image de ce que nous avons fait le 28 juin, avec les cars de soutien qui sont venus des quatre coins de la France, et même d’Opel Bochum et de PSA Madrid.
C’est en ce sens que les luttes d’Aulnay et de Rennes sont centrales et qu’il faut poursuivre sur la voie du 28 et du 12, avec un plan de lutte pour l’ensemble des salariés du groupe. On veut donner aux délégués 15 heures de délégation supplémentaires pour étudier en détail les 500 pages de documents confidentiels communiqués par la direction en vue des CE de fin juillet, qui devraient préciser les découpages et les licenciements. Mais ce sont 15 heures qui devraient être utilisées ã discuter avec les collègues, pour se cordonner, pour réfléchir tous ensemble comment s’organiser pour faire reculer Varin.
Si PSA réussit ã passer en force, le patronat se sentira d’autant plus fort pour avancer dans d’autres secteurs (et déjà de nombreux plans sont annoncés, dans l’aérien, chez Sanofi, etc.). Si la solidarité s’élargit, elle pourra servir d’école de formation pour toute une génération de militants, ainsi que pour les plus anciens, celles et ceux qui bataillent depuis des années contre les mauvais coups des gouvernements successifs et du patronat. C’est en ce sens qu’Aulnay est la bombe sociale que craignent le patronat et le gouvernement. A nous de tout faire pour aider les travailleurs ã en allumer la mèche.
14/07/12
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