par H. Aragon et Daniela Cobet
La classe dominante voudrait que les exploité-e-s n’aient pas d’histoire. Que des siècles de lutte de classe, que plus de cent cinquante ans de conflictualité ouvrière, que le développement du marxisme révolutionnaire et les hommes et femmes qui l’ont incarné restent dans l’oubli. Et ce pour que nous soyons obligés ã chaque fois de recommencer... C’est en ce sens que nous devons faire tout l’inverse : nous approprier le meilleur de notre passé, embrasser et comprendre notre tradition et notre histoire, non pas d’un point de vue littéral, mais comme un univers d’expériences, de leçons politiques et de vie. Léon Trotsky est un exemple central de la tradition que les révolutionnaires d’aujourd’hui doivent récupérer, défendre et approfondir s’ils veulent être à la hauteur des combats de classe qui se profilent à l’horizon, dans le cadre de la crise capitaliste mondiale que nous traversons. A l’occasion de l’anniversaire de son assassinat par un homme de main de Staline en août 1940, nous souhaitons lui rendre hommage.
Le jeune homme avait parcouru le chemin qui le séparait de la gare caché sous des bottes de foin. là -bas, une valise préparée par quelques amis l’attendait pour qu’il puisse poursuivre sa fuite. Rien de bien précieux dedans, juste quelques vêtements, une cravate et un volume d’Homère. Dans sa poche, un faux passeport. Il l’avait fabriqué lui-même et il y avait inscrit un nom au hasard : Trotsky.
Trente cinq ans après, ã Coyoacán, au Mexique, lieu de son dernier exil, Lev Davidovitch Bronstein prenait acte du fait que ce nom écrit en 1902 serait celui qui le suivrait le reste de sa vie.
Aujourd’hui encore le nom de Trotsky représente e stigmate maudit de la révolution prolétarienne, une menace dont la bourgeoisie n’a pas pu se défaire.
« Le meilleur de tous les bolcheviks ». C’est ainsi que Lénine le nommait. Trotsky se rendit compte, trois ans après la Révolution de 1917, que son anniversaire coïncidait avec l’anniversaire de la révolution d’octobre... Il rit de ce hasard fortuit, laissant aux mystiques le soin de l’analyser. On ne pouvait pas attendre autre chose de la part d’un homme qui allait écrire dans son testament, l’année même de son assassinat, qu’il mourrait « en révolutionnaire prolétarien, marxiste, matérialiste dialectique, et par conséquent en athée intraitable ».
Très tôt déjà , le jeune homme d’Odessa avait compris que sa vie personnelle allait être étroitement mêlée à l’écheveau des événements historiques, et qu’il ne lui serait possible de lutter contre. Voilà une considération bien radicale pour l’individualisme ambiant, mais c’est bien ce lien intrinsèque entre sa vie, le mouvement ouvrier international et la révolution qui allait vivre jusqu’à la fin de ses jours.
Il se rappelle dans ses Mémoires ses premières années au collège, lui, curieux de tout, et la façon dont un jour, un jeune homme, qui avait son âge et qui aurait pu être son frère, vêtu de haillons, allant d’un coin à l’autre de la ville pour le compte de ses patrons, lui avait craché sur sa belle blouse d’écolier. Il dit, dans ces souvenirs, sa stupeur mais aussi cette intuition, que le jeune garçon lui avait craché toute sa « colère sociale ».
Cette « colère sociale » allait poursuivre Trotsky toute sa vie durant et il allait l’embrasser. C’est elle qui allait guider son engagement politique pour en finir ã jamais avec les injustices que génèrent les sociétés de classe.
Trotsky abhorrait par-dessus tout les révolutionnaires de salon, ceux qui, avant tout, avaient le souci de leur prestige personnel, les esprits fatigués. La seule chose qu’il exigeait des révolutionnaires, c’était de donner de leur temps, de leurs forces et de leurs moyens pour la cause. C’est ce qu’il avait fait, dès l’âge de dix-sept ans, en rentrant en contact avec les ouvriers de Nikolaïev. Au cours de ce premier militantisme au sein de la Ligue des Ouvriers du Sud de la Russie, il avait constitué son premier bagage de révolutionnaire, en contribuant avec le plus grand soin à la confection des affiches et les journaux que la Ligue collait et distribuait.
Le mouvement se développait et bientôt Trotsky était arrêté. Il n’avait que dix-neuf ans. C’est en Sibérie qu’il allait connaître sa première femme, Alexandra Lvovna, avec qui il partageait le même dévouement pour la cause révolutionnaire. C’est reclus que Trotsky devient véritablement marxiste, en se consacrant à l’étude et à la théorie. « Mon activité consciente a toujours été, disait-il, une lutte pour des idées déterminées ».
Après son évasion et des années d’exil, Trotsky revient en Russie en 1905. Il est élu à la tête du soviet de Pétrograd. En octobre de cette même année, les masses que le soviet avait contribué ã mettre en mouvement, se concentrent devant l’Université de la capitale de l’Empire. Le jeune homme, qui n’a pas encore vingt-cinq ans, est au balcon, sur le point de s’adresser à la foule. C’est alors qu’il s’empare de « l’adresse aux russes » rédigée par le Tsar et qu’il la déchire en mille morceaux, les lançant par la suite dans le vide. Par ce geste, Trotsky réaffirmait, une bonne fois pour toutes, qu’il ne pouvait y avoir de réconciliation avec les ennemis du peuple.
Alors que la Révolution de 1905 semblait complètement écrasée, Trotsky écrivait que par delà les nuages noirs de la réaction qui entouraient les révolutionnaires, l’aube d’un nouvel Octobre, victorieux cette fois-ci, se profilait. Trotsky avait raison. Mais ces paroles indiquaient avant tout que sa confiance dans la classe ouvrière et dans l’avenir socialiste de l’humanité deviendrait de plus en plus forte, y compris alors qu’il était « minuit dans le siècle », au moment de la réaction stalinienne.
Au cours de cette période, Trotsky a été le symbole d’un mouvement de résistance ouvrier et populaire qui s’est exprimé jusque dans les camps de concentrations de Sibérie où Staline exilait des dizaines de milliers de communistes qui continuaient cependant ã y batailler contre la bureaucratie. Sans la lutte qu’a donnée le fondateur de la IV Internationale, il ne resterait de l’idée socialiste que les crimes de Staline.
Selon Trotsky, les véritables orateurs ont, ã certains moments, une inspiration qui donne à leur parole une force particulière. Chez le créateur de l’Armée Rouge, qui avait été égaiement un des orateurs de la Révolution, cette force allait continuer ã battre jusqu’après sa mort. Ses paroles ont continué ã battre avec la même fore et le même enthousiasme qui était celui de Trotsky au cours de ses années passées ã Nikolaïev, lorsqu’il attendait les rapports lui disant si les travailleurs et les ouvriers avaient lu et discuté les feuilles révolutionnaires de la Ligue ouvrière.
Nous vivons une époque particulièrement mouvementée, et qui est appelée à le devenir de plus en plus. Les travailleurs et la jeunesse sont appelés ã s’emparer du drapeau que nous a laissé ce grand révolutionnaire qu’a été Trotsky. C’est dans ce drapeau que nous avons ã chercher l’inspiration qui nous aidera ã préparer l’avenir.
19/08/12
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