La préparation du Congrès est lancée, des textes, amendements et contributions commencent ã sortir et pourtant on a toujours du mal ã savoir de quoi on discutera vraiment.
La première question que l’on peut se poser est celle de savoir si on discutera ou non d’un bilan des quatre ans d’existence du NPA, de son intervention dans la lutte de classes, de ses faiblesses pour faire face à l’élan médiatique et électoral du Front de Gauche, de la rupture d’une fraction importante des principaux dirigeants du NPA pour rejoindre ce front réformiste, et plus en général du départ d’au moins deux tiers de ses adhérents. Il pourrait paraître évident que le fait de tirer un bilan d’un tel échec est une condition indispensable ã tout dépassement de la crise actuelle. Vérifier ce qui n’a pas marché pour tenter de le corriger pour l’avenir, c’est le principe même de toute élaboration politique où théorie et expérience pratique se nourrissent mutuellement.
Le mythe du « rassemblement »
Néanmoins la majorité issue de la dernière CN semble penser que cette discussion n’a pas d’importance, voire serait négative pour le parti. Sous le prétexte de vouloir « rassembler » les militants et dépasser le clivage en tendances, ils nous proposent un Congrès « tourné vers l’avenir » et transforme toute discussion sur le bilan en tabou. Par cette formule on tente de stigmatiser ceux qui auraient le regard tourné vers le passé, qui voudraient entretenir des divisions artificielles ou tout simplement démontrer qu’ils avaient raison. Bref, on nous refait ã peine six mois après la dernière CN la fable des « rassembleurs » contre les « diviseurs ».
Depuis la fondation du parti, ces mêmes camarades nous expliquent que pour « rassembler » il faut éviter certains débats, faire table rase du passé, etc. Mais la multiplication des positions au sein du parti et une rupture majeure au sein même de cette direction si « rassembleuse » sont plus que suffisants pour constater que cette méthode n’a pas marché.
Car on ne rassemble pas en profondeur un parti en cachant sous le tapis les questions qui fâchent. Les divergences ressurgissent toujours sous un autre aspect, qu’on le veuille ou non, et souvent de façon déformée et donc plus difficile ã saisir pour les militants. Ainsi, le débat stratégique sur l’actualité ou non de l’opposition entre réforme et révolution pour la construction d’un parti anticapitaliste, éludé lors de la fondation du parti, est revenu sous la forme d’une question à l’apparence tactique : celle de savoir si on devait ou non faire des fronts électoraux avec le Front de Gauche. Après s’être déchiré pendant plus de deux ans sur cette même question qui revenait ã chaque échéance électorale, il s’est avéré que le problème de fond était la coexistence de conceptions différentes sur le débat stratégique que l’on avait évité : les camarades de la GA considérant qu’il est possible, voire préférable de construire un courant au sein d’une formation hégémonisée par les réformistes.
Combien de temps et d’énergie, pour ne pas parler du désarroi de nombreux militants, on aurait épargné en ayant ce débat tranquillement pendant le processus constituant, avec les nouveaux camarades ! Mais si cela aurait été nécessaire à la fondation du parti, en guise de préparation des phénomènes auxquels on allait avoir ã faire face, que dire maintenant, alors que le parti s’est vidé jusqu’à compter moins de militants que la LCR au moment de sa dissolution. Alors que les militants courageux qui sont toujours là se demandent, perplexes, ce qui s’est passé pour qu’en si peu de temps l’enthousiasme initial se transforme en une sorte de crise permanente faite de batailles internes incompréhensibles.
Refuser de tirer un bilan dans ces conditions est donc tout d’abord un manque de respect envers les militants. D’autant plus que ceux qui s’opposent ã ce qu’un bilan soit tiré sont ceux qui depuis la fondation du parti se trouvent dans la majorité de direction. Ne pas tirer de bilan ou vouloir le déconnecter des perspectives est donc pour eux une façon de se déresponsabiliser des problèmes que vit le parti.
La faute aux autres
L’autre façon de refuser ces responsabilités consiste, quand ce n’est pas possible de refuser tout bilan, ã attribuer les raisons de nos échecs ã des causes strictement objectives, et donc extérieures. Ainsi, selon certains dirigeants de la majorité, la situation politique et la crise capitaliste seraient les seules responsables du recul du NPA car paradoxalement elles ne profiteraient pas aux forces anticapitalistes, mais plutôt aux réformistes.
Admettons que ceci était vrai. Dans ce cas, ne faudrait-il pas précisément réfléchir ã une stratégie de construction qui tienne compte de ces conditions aussi adverses ? Cette expérience accumulée ne remet-elle pas en cause l’idée initiale selon laquelle on pouvait construire rapidement un parti de masses en rassemblant les anticapitalistes ? Est-ce que cela n’impliquerait pas d’étudier quelles sont les difficultés que nous avons rencontrées pour essayer d’y apporter des réponses créatives ? Si la situation est aussi négative pour les anticapitalistes, la GA n’a-t-elle pas eu raison en cherchant un raccourci par leur intégration ã une formation réformiste plus dynamique ? Peu importe l’angle selon lequel on aborde la question, les interrogations qui naissent de notre situation sont fondamentales et l’idée de refuser tout bilan ne tient pas débout une seconde.
La croyance initiale en l’existence d’un « boulevard ã gauche » qui aurait dû permettre au NPA de devenir rapidement un « parti de masses » en s’appuyant presque exclusivement sur la popularité de son porte-parole s’est avéré illusoire. Mais il nous semble cependant que la situation contient un certain nombre d’éléments qui rendent possible une avancée considérable dans notre implantation et notre construction, de façon ã nous préparer aux prochains épisodes de la crise qui rendront sans doute nécessaire pour nous de tenter d’accélérer l’expérience des masses avec les directions réformistes. Ceci ã condition de se doter d’objectifs adéquats et des moyens correspondants.
Une crise historique du mouvement ouvrier pas encore surmontée, certes, mais aussi des éléments nouveaux
Personne ne niera que le mouvement ouvrier est en crise, ainsi que la conscience de classe et qu’en ce sens ã différence des années 1930, la crise n’engendre pas pour l’instant une croissance organique des syndicats ni des phénomènes de surgissement ou de développement de partis ouvriers (mais pas non plus la victoire du fascisme dans un pays comme l’Allemagne ni un New Deal, car la crise avance ã des rythmes plus lents). Ou encore que l’idée même de socialisme a été entaché par la contre-révolution stalinienne et que nous en payons toujours les frais.
Néanmoins il est tout aussi indéniable que la crise capitaliste est en train de donner lieu ã une série de phénomènes politiques et de la lutte de classes nouveaux qui nous indiquent un début d’inversion de tendance. L’exemple le plus clair est celui des processus révolutionnaires ouverts dans le monde arabe, mais il y a aussi le surgissement de mouvements massifs de la jeunesse contre les effets de la crise, en Europe du Sud et même aux Etats-Unis, ainsi qu’au Québec, au Chili et au Mexique.
En France ceci s’est exprimé depuis 2008, d’abord par une montée de la contestation au sein de la classe ouvrière, en particulier industrielle, face aux fermetures d’entreprise, licenciements et attaques contre les conditions de travail. Le fait que ces luttes soient à l’étape actuelle souvent isolées et aient donc peu de perspectives de victoire ne peut pas suffire ã justifier le fait que le NPA ne mette pas tous ses efforts pour soutenir, se lier et proposer des perspectives ã ces nombreuses luttes, en essayant de pousser vers leur coordination. Ensuite il y a eu le puissant mouvement contre la réforme des retraites, dont on parle étrangement très peu dans nos débats internes, mais qui a été une grande épreuve de la lutte de classes où la perspective d’une grève générale politique contre Sarkozy était posée et qui a témoigné plus que jamais de l’existence en France d’une avant-garde de lutte aussi bien chez les jeunes qu’au sein du mouvement ouvrier, qui dans sa majorité n’est pas organisé politiquement aujourd’hui. La fusion avec une partie de cette avant-garde pourrait être le moyen d’une véritable construction organique du NPA.
On nous répondra certainement que le problème est que tout cela ne profite pas automatiquement aux anticapitalistes. Mais ce n’est jamais comme ça ! Un parti ou courant politique profite plus ou moins d’une situation selon qu’il a une politique et une orientation adaptées. Comment pourrait-on songer ã nous construire au sein de luttes où nous n’étions quasiment pas présents - pour ce qui est des luttes ouvrières de 2008-2010 ? Ou bien lorsque nous avons été présents mais sans aucune capacité de peser faute d’une implantation dans les secteurs clés et d’une politique claire à l’échelle nationale, comme lors du mouvement contre la réforme des retraites ? Pour cela il aurait fallu que notre intervention dans ces phénomènes soit prioritaire, et découle d’une élaboration politique commune qui nous permette d’apparaître comme une alternative à la politique des directions syndicales qui menait le mouvement dans le mur.
Cependant l’idée d’un parti de masses sans projet délimité, appuyé sur l’occupation d’un espace médiatique-électoral et proposant un militantisme souple s’opposait dans les faits ã une construction organique par le moyen de l’intervention dans la lutte de classes, de la fusion avec une partie de l’avant-garde issue des luttes et d’un travail d’implantation dans les secteurs stratégiques qui nous prépare pour les affrontements de classe plus importants qui s’annoncent.
On ne peut pas seulement se plaindre des facteurs « objectifs » sans voir que la réalité nous a donné de nombreuses occasions pendant ces quatre années et que si nous avons été incapables d’attirer vers nos idées même une petite fraction de tous ces militants combatifs, c’est qu’il y avait aussi des problèmes d’ordre « subjectif ».
D’autant plus que la crise du capitalisme engendre un profond phénomène idéologique de discrédit du système capitaliste en tant que tel aux yeux des plus larges couches des classes populaires. Le sentiment que les patrons sont des voyous, les banquiers des voleurs et que le système est injuste et marche mal devient quelque chose de très partagé. Ceci crée à l’évidence un auditoire pour nos idées (condition qu’on ait quelque chose ã proposer derrière). Chez certains secteurs on peut noter même un intérêt croissant par les idées marxistes. Mais malheureusement là non plus nous n’étions pas préparés car nous nous étions débarrassés de toutes les références idéologiques au marxisme et au trotskisme, censées être « trop datées » et « clivantes » et avions abandonné toute politique sérieuse de formation...
Réaffirmer le projet ?
Au vu de cette évolution, la volonté qu’a la majorité actuelle de s’en tenir, en termes de projet, ã une réaffirmation de celui de 2009, sans aucun retour critique sur son application concrète pendant ces quatre ans, est tout simplement absurde.
D’une part car il faudrait déjà savoir de quel projet il s’agit, puisque les camarades de la GA qui se retrouvent au Front de Gauche aujourd’hui considèrent qu’ils sont eux-aussi les porteurs de celui-ci. D’autre part car c’est une évidence que l’objectif d’un parti de masses avec une forte expression électorale et qui rassemble les anticapitalistes n’a pas été atteint, et que les conditions pour l’atteindre maintenant sont loin d’être les mêmes qu’en 2009, si ce n’est que par l’existence du Front de Gauche. Et en dernier car si le NPA était conçu par les dirigeants de la majorité eux-mêmes comme un parti-processus, il ne faut pas oublier qu’un processus normalement est quelque chose qui bouge, qui progresse et non pas qui réaffirme des vérités éternelles sur un projet sans le confronter à la réalité.
Il y a au moins quelques leçons ã tirer de notre courte histoire pour faire avancer ce « processus » et tenter d’avoir un parti mieux armé pour affronter les défis et difficultés imposés par la réalité. En voici quelques-unes sous forme schématique :
· La délimitation entre réformistes et révolutionnaires conserve son actualité pour la construction du parti, ce qui implique une définition positive des contours d’une stratégie révolutionnaire. Cette stratégie doit comporter une perspective de pouvoir claire si on ne veut pas passer des années encore ã bégayer lorsqu’on nous demande pourquoi nous ne sommes pas au Front de Gauche ou si nous voulons ou non gouverner.
Elle pourrait selon nous se résumer de la façon suivante:une révolution sociale où les travailleurs s’emparent du pouvoir, détruisent l’appareil d’Etat bourgeois et le remplacent par un Etat de transition qui assure une planification démocratique de la production dans le but d’étendre la révolution à l’échelle internationale et d’aboutir ã une société sans classes et sans Etat.
· Ces divergences stratégiques conditionnent le type d’unité que nous pouvons construire avec le Front de Gauche, c’est ã dire une unité d’action qui n’a rien ã voir avec des blocs politiques permanents et consiste ã « frapper ensemble et marcher séparément » y compris dans le but d’accélérer l’expérience des travailleurs avec les directions réformistes.
· La définition de nos priorités de construction ã partir de ces axes stratégiques doit être revue de façon ã mettre au centre de notre activité l’intervention dans la lutte de classes et le travail d’implantation dans des secteurs clés de la classe ouvrière dans le but de fusionner avec une partie de l’avant-garde et d’être mieux positionnés lors des prochaines échéances de la lutte de classes.
· La crise du capitalisme ouvre un nouvel espace pour les idéologies émancipatrices et en ce sens nous devons revendiquer le marxisme révolutionnaire en tant que théorie et guide pour l’action. Non pas comme un dogme, mais au contraire comme théorie vivante qui s’alimente de la pratique et qui est un outil fondamental pour les nouvelles générations.
Les limites de la pratique
Certains camarades, notamment au sein de la P2, tendent ã opposer une orientation volontariste à la démarche anti-bilan de la direction, sans se soucier beaucoup des clarifications politico-stratégiques qui s’imposent ã partir de l’expérience des quatre premières années du NPA. Selon eux, c’est par la pratique, par la mise en œuvre commune d’une orientation que les clarifications se feront.
Ce que ces camarades semblent oublier, c’est que c’est précisément la même chose qu’on nous racontait à la fondation du parti, puis ensuite au moment de constituer une majorité appuyée sur un texte de vingt lignes lors de la CN qui a décidé de la candidature de Philippe. Et que néanmoins les désaccords persistent et la crise du parti s’est aggravée. Car il y a un rapport d’interdépendance entre conceptions stratégiques et pratique politique. Un parti et sa pratique sont des moyens au service d’un projet et des projets différents déterminent des pratiques également différentes.
Est-ce que cela veut dire que de bonnes définitions principielles règlent tout ? Bien sûr que non ! Il suffit de regarder le décalage existant chez Lutte Ouvrière entre des principes généraux « orthodoxes » et une pratique politique parfaitement adaptée aux appareils syndicaux et à la « misère du possible ». Néanmoins ce qui est sûr c’est qu’en continuant ã éluder des débats qui s’imposent on va enfoncer encore plus le parti dans la crise et le dépouiller toujours d’avantage de ses moyens « pratiques ».
Daniela (93), Manu (28) et Vincent (68), élus au CPN et membres du CCR-P4
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