Par la Ligue des Travailleurs pour le Socialisme, Vénézuela
Le 14 avril dernier, c’est un résultat électoral serré et imprévu qui a secoué le Venezuela post-chaviste. Nicolas Maduro, président par intérim suite à la mort de Chavez, n’est parvenu a dépasser le candidat de l’opposition de droite, Capriles Radonski, que par 272 865 voix. Comparée aux plus d’1,5 millions de voix d’écart que Chavez avait obtenu contre Capriles lors de l’élection présidentielle il y a six mois, cet écart paraît bien ridicule – et c’est le plus faible de l’histoire du chavisme. Cela ne vient pas d’une abstention importante, mais du fait que Capriles Radonski a réussi ã arracher pratiquement 700 000 voix au chavisme par rapport aux dernières élections d’octobre 2012. (...)
Pour le camp chaviste, le résultat est donc tombé comme une douche froide. Il espérait en effet que le nombre de voix pour Chavez allait se reporter de manière automatique sur Maduro. A l’inverse, du côté de Capriles et de la MUD [1] (Mesa de la Unidad Democratica), ce résultat électoral sonne comme une petite victoire...
Tension politique
Ce bouleversement de la politique vénézuelienne est vite devenu une crise ouverte lorsque Capriles Radonski a déclaré ne pas reconnaître le résultat électoral. D’après lui, des irrégularités ont eu lieu lors de cette élection. Il a donc exigé le recompte des voix, allant même jusqu’à dire que c’était lui qui avait gagné. Sur ce point, il a reçu le soutien de l’impérialisme nord-américain, et ce malgré le fait que Nicolas Maduro a déjà été proclamé Président par le Conseil National Électoral.
Dans ce contexte, Capriles avait appelé ã une manifestation le mercredi suivant l’élection pour contester la victoire de Maduro. Le gouvernement a décidé de ne pas l’autoriser et Capriles a finalement reculé et suspendu l’appel, ayant peur de ne pas pouvoir contrôler les affrontements qui auraient pu alors avoir lieu. Bien que la situation soit devenue de plus en plus tendue, les deux camps ne font pour l’instant que mesurer leurs forces afin de se relocaliser politiquement face ã d’éventuelles négociations et accords.
Des manifestations appelées par Capriles ont pourtant eu lieu dans l’après-midi et dans la soirée du lundi 15 avril, pour contester la décision du Conseil National Électoral et pour exiger un recompte des voix. Pendant ces manifestations, des attaques ont eu lieu contre des « modulos de barrio » [centres de soin créée par le gouvernement Chavèz dans les quartiers populaires].
La Ligue des Travailleurs pour le Socialisme (LTS) condamne catégoriquement ces attaques réactionnaires, totalement anti-populaires et même parfois xénophobes vis-à-vis des médecins cubains qui travaillent dans ses centres. Il faut dès maintenant faire face ã ces attaques en organisant l’auto-défense des quartiers populaires, qui doivent définir eux-même des moyens d’action pour stopper ce genre d’attaques.
Les « modulos de barrio », mais aussi les équipements sportifs et les bâtiments éducatifs, représentent aujourd’hui des acquis sociaux de l’ensemble des travailleur-se-s et des secteurs populaires. C’est pourquoi ils doivent être défendus, sans que cela ne signifie pour autant un soutien politique au gouvernement national. Il faut organiser le front unique le plus large afin de stopper ces attaques : un front de classe, ouvrier et populaire, qui s’appuie sur les méthodes des travailleur-se-s et des secteurs populaires, sur la base de la démocratie ouvrière et populaire, pour définir l’orientation politique et les actions ã mener. Une fois encore, cela ne signifie en rien une subordination au cadre de mobilisation fixé par le gouvernement de Maduro.
Lors de ces manifestations, il y a eu également des attaques violentes de type fascisant contre des militants chavistes. Les organismes officiels parlent de quatre ã sept personnes assassinées suite aux attaques des groupes d’opposition. Nous rejetons profondément ces attaques et nous dénonçons les actions criminelles orchestrées par les secteurs de l’opposition bourgeoise. Bien qu’on sache que que le chavisme a, lui aussi, encouragé ce type de groupes, comme par exemple contre des ouvriers en grève, nous ne pouvons en aucune mesure accepter cette violence meurtrière de la part des groupes de l’opposition bourgeoise contre les militants du parti chaviste, ou contre les personnes qui défendent les centres de santé créés par le gouvernement.
(...)
Jusqu’à présent, les forces armées acceptent le résultat électoral, et le haut commandement reconnaît Maduro comme étant le président élu du pays. Pendant la période où Chavez gouvernait, et surtout après la tentative de coup d’État de 2002, l’armée dans son ensemble a été un pilier fondamental pour le régime, et a même profité de postes importants dans le gouvernement national et les gouvernement locaux. Dans cette nouvelle étape post-chaviste, nous ne pouvons pas négliger le fait que les tensions et les divisions augmentent de manière considérable au sein des forces armées, ce qui tend ã approfondir encore plus cette crise politique vénézuelienne. Il n’y a rien d’anodin ã ce que les journaux écrivent aujourd’hui que « les Forces Armées Nationales Bolivariennes constituent le pouvoir qui assure le résultat électoral » : cela témoigne du fait que l’armée est non seulement le soutien du Conseil National Électoral et du président élu, mais aussi que c’est elle qui veille sur les urnes électorales. Et malheureusement pour lui, Maduro n’a en aucune mesure la même légitimité que Chavez face une éventuelle division des forces armées.
La droite a capitalisé la crise du chavisme sur le plan électoral
Dans le contexte d’une énorme polarisation politique héritée de la mort de Chavez, l’opposition regroupée dans la MUD, avec Capriles en tête, a réussi ã faire en sorte qu’une frange considérable de la population change d’option politique, en s’appuyant sur au moins deux éléments de la nouvelle situation post-chaviste (…). Premièrement, Maduro n’est pas Chavez, et il peine ã prendre sa relève : cela est évident aujourd’hui. En outre, l’état critique de la situation économique a amené le gouvernement ã prendre des mesures contre les intérêts des travailleur-se-s et des secteurs populaires en pleine période électorale : en moins de trois mois, le gouvernement par intérim a mis en place de fortes dévaluations de la monnaie ã deux reprises, ce qui a eu comme conséquence une augmentation directe des prix sur les biens de première nécessité.
Bien que le chavisme ait emporté les élections dans les quartiers populaires des principales villes (comme par exemple ã Catia et dans les parties les plus populaires de Petare dans Caracas), la baisse du nombre de voix a tout de même été considérable dans ces secteurs. Le même phénomène a pu être observé dans des concentrations ouvrières, comme par exemple dans l’Etat de Aragua et Carabobo, et dans des villes comme Guayana, qui constitue le centre des grandes industries de base. Et ce phénomène n’est pas une conséquence d’une hausse de l’abstention, car en même temps que le nombre des voix pour Maduro tombaient dans ses régions, les voix pour Capriles augmentaient proportionnellement.
Des tensions au sein du chavisme et l’opposition
Bien que la candidature de Maduro ait permis initialement au chavisme de resserrer ses rangs, le mauvais résultat électoral a rouvert la crise latente entre les différentes fractions de celui-ci. La déclaration de Diosdado Cabello [actuel président de l’Assemblée nationale et proche allié de Chavez] appelant le leadership chaviste « ã trouver les failles jusque sous les pierres et ã faire l’autocritique profonde que ces résultats électoraux imposent au parti », ne visait évidemment pas seulement ã pointer les « erreurs » politiques du chavisme. Elle avait aussi pour objectif de répondre aux règlements de comptes internes qui se jouent dans le camp du gouvernement. Ces divisions se sont accentuées ces derniers temps, même si pour le moment l’unité se maintient, en partie « grâce » aux attaques de la droite.
(…) Cependant, il est évident que les tensions internes qui pourraient se développer dans le camp chaviste ne viendront pas uniquement des fractions qui existent au sein du PSUV, mais aussi de sa base électorale elle-même. Celle-ci, fatiguée de s’aligner derrière des bureaucrates haut placés, pourraient commencer ã exiger avec plus de force tout ce dont elle a été privée depuis des années et ã faire pression pour que des mesures plus radicales soient prises face à la nouvelle situation économique et politique.
A droite, bien que la MUD soit sortie renforcée des résultats électoraux et que Capriles ait réussi ã devenir une figure emblématique pour l’opposition, l’unité est encore bien faible. Capriles s’appuie en effet sur des bases électorales et une alliance politique qu’il ne contrôle pas et qui l’obligent ã composer entre plusieurs factions. (…) Les actions violentes qui se sont exprimées dans les jours suivants les élections de dimanche et les appels de Capriles ã ce que « l’opposition se retienne » sont la preuve des divisions qui agitent le camp de l’opposition de droite. Pour autant, il est clair que pour cette dernière, qui venait de subir deux défaites politiques consécutives aux élections antérieures, le récent scrutin a été l’occasion de relever la tête, jusqu’à mettre la pression sur le gouvernement en ne reconnaissant pas les résultats électoraux.
Un gouvernement affaibli
Ces phénomènes témoignent de la difficulté de la transition politique du régime après la mort de Chavez. (…). Pour Maduro, il s’agira non seulement de faire face ã une opposition renforcée, mais aussi de répondre aux luttes internes du chavisme. Plus profondément encore, il se retrouvera sous la pression de la résistance de secteurs de la classe ouvrière qui poursuit avec plus de force encore sa lutte pour ses revendications et pour de meilleures conditions de vie (…).
Sur le plan extérieur, le gouvernement de Maduro n’est pas non plus face ã une situation facile. Si la plupart des gouvernements latino-américains – et d’autres pays plus lointains comme la Chine et la Russie – ont rapidement reconnu les résultats électoraux et salué la victoire de Maduro, les Etats-Unis affichent clairement leur volonté de tirer profit de la crise politique, en reprenant les arguments de leur ami Capriles. De la même manière, d’autres pays impérialistes comme la France et l’Angleterre, ont refusé de reconnaitre la victoire de Maduro.
La politique des Etats-Unis est de faire pression sur le gouvernement de Maduro pour qu’il adopte une attitude plus encline à la négociation, en ravivant le cadre que le régime de Chavez avait déjà commencé ã mettre en place avant sa mort, pour une meilleure entente avec les Etats-Unis [2]. Plus récemment, les membres du gouvernement provisoire de Maduro se sont réunis avec des représentants de Washington en vue d’améliorer leurs relations.
Du côté de l’Amérique latine, les pays comme le Brésil et l’Argentine souhaitent dès maintenant jouer un rôle pour donner plus de stabilité au gouvernement de Maduro, non seulement par intérêt économique et géopolitique, mais aussi parce qu’ils savent qu’une déstabilisation au Venezuela pourrait avoir des conséquences négatives pour l’ensemble du continent.
Il faut d’urgence organiser une rencontre ouvrière nationale !
Face à la crise ouverte, la classe ouvrière et les couches populaires doivent exprimer activement leur refus de l’ingérence impérialiste des Etats-Unis qui encourage l’opposition bourgeoise de Capriles.
Il ne s’agit évidemment pas de donner un quelconque soutien politique ã Maduro : la classe ouvrière ne peut pas rester prisonnière du choix entre les options qui sont en lutte pour diriger l’Etat bourgeois. Elle ne peut pas non plus rester paralysée face aux attaques provenant de l’un ou l’autre secteur : d’un côté, le gouvernement qui organise la dévaluation, qui refuse de négocier les conventions collectives et qui criminalise des luttes ouvrières ; et de l’autre, l’opposition pro-impérialiste qui prône un « capitalisme sans restrictions » et des plus grandes « libertés » pour les exploiteurs. Loin de s’aligner derrière l’une ou l’autre option, nous devons nous rassembler, nous coordonner et discuter en tant que classe de nos problèmes et de ceux du pays (…).
Si cette perspective ne se développe pas aujourd’hui, c’est notamment du fait des directions syndicales bureaucratiques qui, loin de proposer une ligne d’indépendance politique de la classe ouvrière, soutiennent les principaux projets politiques de la bourgeoisie en lutte. Ainsi, ils ne font qu’aligner les travailleur-se-s derrière un secteur de la bourgeoisie ou l’autre, ou ne font que condamner les travailleurs à la passivité face aux crises politique majeures comme celle que nous vivons actuellement. C’est pour cela qu’il est important d’ouvrir cette discussion dans tous les lieux de travail et d’exiger des directions syndicales d’ouvrir les possibilités de mener une politique indépendante des travailleur-se-s.
Pour cela, il est nécessaire d’organiser une rencontre nationale d’urgence de travailleur-se-s s’opposant aux ingérences impérialistes et proposant une réponse de classe à la crise actuelle et aux problèmes économiques et sociaux du pays, en refusant que ceux-ci soient payés par les travailleur-se-s. (…) Cette rencontre devra réunir des délégué-e-s révocables élu-e-s en assemblée générale dans chaque lieu de travail, ouverte ã tou-te-s, sans aucune autre condition préalable que le fait d’être un travailleur, sans aucune obligation d’être d’accord ou non avec telle ou telle option politique, sur la base de la plus large démocratie ouvrière, avec liberté d’opinion et de discussion.
Les directions syndicales ont une responsabilité de premier ordre dans le lancement ou non d’une telle rencontre, notamment celles qui aujourd’hui se disent indépendantes des deux secteurs bourgeois en dispute. On pense ici aux secteurs de l’Union Nationale des Travailleurs (UNT) dirigés par Marcela Máspero et Eduardo Sánchez et au courant C-CURA d’Orlando Chirino et José Bodas, qui ont récemment signé une déclaration appelant ã un front unique des travailleurs pour lutter pour nos revendications, indépendamment de l’opposition bourgeoise et du gouvernement. Si ces déclarations sont sincères, ces directions doivent se mettre à la tête de l’organisation d’une rencontre ouvrière nationale d’urgence comme celle proposée dans ces lignes. Partout où les conditions sont réunies pour appeler ã des rencontre régionales, par ville ou par branche de production, nous devons avancer concrètement vers cette rencontre nationale.
(…) C’est cette discussion que nous proposons aux travailleuses et aux travailleurs pour avancer vers une politique indépendante de la classe ouvrière. Une politique qui nous permette d’avoir confiance en nos propres méthodes de lutte, en nos propres forces, en nos propres dirigeants de lutte, en une perspective bien supérieure ã celles que nous proposent le gouvernement et l’opposition.
Pour assurer leur indépendance, les travailleurs doivent construire leur propre outil politique !
Le mécontentement exprimé aujourd’hui par des secteurs importants des travailleur-se-s envers la situation du pays, après presque une décennie et demi d’une soi-disant « révolution », dévoile au grand jour l’échec du nationalisme bourgeois, dont Nicolas Maduro veut assurer la continuité (…).
Mais ce mécontentement ne trouvera aucune issue progressiste dans le projet de Capriles. Au contraire, il faut plus que jamais proposer une alternative politique de classe. Lors des dernières élections nous avons vu comment des secteurs des travailleur-se-s et des couches populaires, face au mécontentement vis-à-vis du chavisme, ont donné leurs voix ã une autre option bourgeoise. Cette situation est précisément le résultat du fait que les travailleurs n’ont pas encore créé leur outil politique propre. Face ã ce mécontentement, et face aux processus de rupture avec le chavisme qui commencent ã se développer, et qui sans doute s’accéléreront sous le gouvernement de Maduro, la tâche des révolutionnaires est aujourd’hui de lutter pour la construction d’un tel outil politique, un parti des travailleur-se-s, avec un programme clair pour une issue ouvrière à la crise et pour l’indépendance politique de la classe.
Les 7 millions de travailleuses et travailleurs qui constituent la classe sociale la plus nombreuse et potentiellement la plus puissance du Venezuela, la classe sociale qui au jour le jour produit l’immense majorité des richesses, doit générer ses propres espaces de rencontre, de discussion et de décision politiques et de lutte. La classe ouvrière doit conquérir son indépendance politique, aussi bien face à la droite que face aux différentes variantes du chavisme, pour devenir un acteur politique qui puisse offrir une réponse à la situation actuelle. Un outil politique des travailleur-se-s rendrait plus facile le chemin vers la construction d’un parti ouvrier révolutionnaire et internationaliste qui mènerait la lutte jusqu’au bout. En effet, il n’y aura pas de satisfaction des revendications fondamentales sans un combat pour un gouvernement des travailleurs et des couches populaires, sur la base de la destruction de l’Etat bourgeois et de l’abolition de la propriété privée capitaliste, nationale comme impérialiste, en mettant les richesses sociales au services de ceux qui les produisent, dans la perspective de la défaite du capitalisme ã une échelle internationale.
17/04/2013
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