C’est vraiment possible dans le contexte actuel de former des syndicats classistes, combatifs et indépendants, surtout si l’on tient en compte que le panorama a beaucoup changé depuis la fin des années soixante et les années soixante-dix, l’âge d’or du « classisme » argentin ?
Cela n’est pas seulement possible, mais avant tout nécessaire. C’est réellement nécessaire car aujourd’hui les travailleurs de différents secteurs recommencent ã se bagarrer, ã reprendre confiance dans leurs propres forces et à livrer des batailles qui ont ã voir dernièrement avec des luttes pour des augmentations de salaire après des années au cours desquelles ce qui dominait c’était avant tout la pression économique et la peur du chômage. Les travailleurs dans leur ensemble ne se bagarrait pas. Ils étaient sur la défensive et cela bien évidemment grâce à la complicité de la bureaucratie syndicale.
Néanmoins, dans plusieurs cas, certains syndicats ont été récupérés par des directions combatives, par des directions indépendantes et ainsi de suite. Ces directions ont duré un certain temps à la tête des syndicats et par la suite la bureaucratie syndicale est revenue, comme si de rien n’était, et les syndicats ont recommencé ã être pareils qu’avant. Ce que nous défendons, c’est qu’après avoir récupéré un syndicat, nous devons révolutionner ses statuts, faire que toutes les avancées réalisées aient la force de la loi. Cela a ã voir avec l’indépendance syndicale vis-à-vis du patronat, de l’Etat, de la bureaucratie syndicale, cela a ã voir avec la démocratie directe structurée autour des assemblées de base, cela a ã voir, dans le cas du Statut céramiste, avec la liberté de tendance de tous ceux qui défendent les travailleurs, avec la rotation aux postes de direction afin qu’aucun dirigeant ne reste assis dans un fauteuil éternellement, pour que tout dirigeant retourne ã son poste de travail, ã sa machine, cela a ã voir avec le fait qu’aucun dirigeant ne pas peut toucher que le salaire moyen d’un ouvrier. C’est des choses élémentaires, basiques, mais c’est des enjeux très profonds. En tant que direction classiste, nous nous devions de fixer tout cela. Le discours et même parfois la pratique ne suffisent pas. Il faut fixer ces idées dans des organismes nouveaux, dans des organismes qui répondent ã ce qu’il y a de plus profond au sein de la classe ouvrière. C’est ce que nous avons voulu souligner avec le nouveau Statut.
Pour résumer, ce n’est pas simplement une possibilité dans le cadre de ce renouveau des luttes, mais une nécessité extrême. Tout ce que l’on récupère aujourd’hui, on risque de le perdre demain si la bureaucratie contre-attaque, si le gouvernement contre-attaque. Il faut doter les travailleurs des instruments nécessaires pour qu’au-delà des dirigeants ponctuels, le mécanisme de décision soit la chair même des travailleurs. Cela a généré beaucoup de débats dans de nombreux secteurs, mais c’est précisément ce que nous voulions : apporter au débat sur le regroupement des travailleurs de vieilles idées qui sont totalement actuelles.
Par rapport ã ces “vieilles idées” auxquelles tu fais référence, comment cela vous est-il venu à l’esprit de combiner votre expérience pratique à l’héritage de la classe ouvrière internationale ?
La combinaison de ces deux courants dont naît le Statut, c’est en réalité les deux courants qui ont été à l’origine de toute la politique ã Zanon. (…) D’un côté, il y a la pratique et les nécessités immédiates des travailleurs, et dans le cas du Statut c’est la pratique systématique que nous avons tout au long de ces années [qui nous a inspiré]. D’un autre côté, afin d’élaborer le Statut, nous ne trouvions aucun exemple dans l’actualité qui ait ce type de fonctionnement. C’est pour cela que nous avons dû nous référer ã un passé plus lointain, à la CGT péruvienne ou ceux de l’UGT espagnole (…). A l’époque, ces deux expériences s’inscrivaient dans un processus de mouvement ascendant de la classe ouvrière au cours duquel l’expérience quotidienne que faisaient les travailleurs se combinait aux idées du marxisme que différentes organisations défendaient. A Zanon c’est la même chose qui a eu lieu. J’ai apporté, dans mon cas, mon idéologie marxiste révolutionnaire, trotskyste, et cette combinaison s’est faite dans la pratique et au sein de la conscience existante parmi les ouvriers de Zanon, une usine régie par le principe de la démocratie directe.
Pour rédiger le Statut, nous avons consacré un mois et demi à la discussion. Des brouillons circulaient dans l’usine, avec des assemblées de base dans chacune des quatre usines de la province, ainsi que des réunions ouvertes de délégués au local du syndicat pour que tous les ouvriers puissent venir également. Cela a donné lieu ã un processus de discussions et ã des polémiques intéressantes. Le Statut a été voté au bout du compte, avec une majorité et une minorité, des oppositions dans certains cas où cela s’est joué ã une voix prés. Mais c’est ce qui fait que le Statut est extrêmement fort, car il a été très discuté et débattu.
Qu’est-ce que vous voulez dire exactement quand vous dites dans votre nouveau Statut que le syndicat doit être non seulement un instrument au service des travailleurs du SOECN mais également un outil au service de l’en-semble des travailleurs en général et de tous les opprimés ?
En principe, si l’en s’en réfère aux origines, un syndicat c’est une organisation qui bataille pour des conditions d’exploitation meilleures auprès du patronat. Aujourd’hui, en pleine crise, on voit bien que seule la lutte syndicale ne suffit pas. La lutte contre le patronat, chacun dans son usine, ça ne suffit pas. La politique économique n’est pas dé-finie dans l’entreprise mais dans les bureaux des ministères. C’est ainsi que l’on a commencé ã comprendre, et cela vaut pour l’ensemble des travailleurs, qu’une lutte politique est également nécessaire. Et afin de mener cette lutte politique, on ne peut pas se contenter du cadre étroit du syndicalisme. Il faut ouvrir en grand les portes des syndicats à l’ensemble des travailleurs ainsi qu’à leurs alliés bien entendu.
De ce point de vue, le Statut fait également ressortir la nécessité de coordination et de regroupement entre travailleurs en activité et travailleurs au chômage, ainsi que la nécessité de se bagarrer pour la coordination et en front unique avec les secteurs étudiants. C’est ce que nous avons d’ailleurs fait depuis le début. Nous avons appelé cela « le pacte ouvrier universitaire ». Nous l’avons forgé avec l’Université Nationale du Comahué, de Neuquén. Nous nous bagarrons pour la défense de l’enseignement public et pour une université au service des travailleurs et du peuple et les étudiants, enseignants et personnels non-enseignants ont appuyé le contrôle ouvrier de Zanon et ont apporté leurs connaissances.
Le syndicat est ouvert, il combat pour la coordination, pour le front unique, c’est-à-dire qu’il ne se limite pas ã ce que la bureaucratie syndicale appelle les « corps organiques ». Les vrais lieutenants organiques de la bourgeoisie ce sont eux, les directions verticales de la CGT et de la CTA lorsqu’elles doivent prendre des décisions, lorsque deux ou trois dirigeants qui n’ont rien ã voir avec les travailleurs sont ceux qui négocient notre futur, la valeur de notre force de travail et parfois même nos propres licenciements. Le SOECN essaie d’être l’exact opposé. Nous prétendons que le SOECN soit un outil qui soit utilisé par la base, par les travailleurs, afin de lutter non seulement pour des revendications ponctuelles dans l’usine mais également contre ce système d’exploitation de l’homme par l’homme. Voilà l’horizon. Même si ce sentiment est loin d’être généralisé parmi la classe ouvrière dans le pays, il nous semble qu’un détachement avancé de la classe tels que les ouvriers de Zanon et un syndicat combatif comme le SOECN se doivent de tendre vers cet horizon. C’est là la perspective que la plupart des camarades défendent dans les quatre entreprises céramistes de la Province et que nous entendons partager afin d’apporter ce débat au sein du reste des organisations dans le pays.
Le SOECN entend lutter contre l’exploitation de l’homme par l’homme et une société où il n’y ait plus ni exploiteurs ni exploités ?
Nous entendons construire un syndicat qui soit une arme de combat et dont l’horizon soit la lutte contre l’exploitation de l’homme par l’homme. Cela peut sembler être une question élémentaire, mais pour nous c’est fondamental, car c’est la base de ce que nous appelons le classisme, c’est-à-dire que le prolétariat est la classe qui doit rompre les chaînes de cette société en tant que sujet et sera également la base d’une nouvelle société. Cela a été un apport de notre part, du PTS, mais que les ouvriers, au cours du débat, ont vu d’un bon œil car cela a ã voir avec l’expérience de l’usine elle-même, c’est-à-dire presque sept années d’une lutte qui a commencé par la dénonciation sans relà¢che du patronat. Si ce n’avait pas été les travailleurs eux-mêmes qui avaient participé à l’ensemble de cette expérience, le contrôle ouvrier, cette idée n’aurait pu être acceptée. Pour les travailleurs, il ne s’agit pas d’une utopie mais cela est ressenti comme une nécessité et une réalité concrète. Sans avoir mené eux-mêmes cette expérience, les ouvriers n’auraient pas pu prendre en charge la production, la distribution, rentrer en rapport avec d’autres secteurs sociaux. C’est ce qui est arrivé par exemple avec d’autres secteurs sociaux, avec les communautés mapuches par exemple, tout en respectant leur culture. Cela a été également le cas avec l’Université, ou avec des artistes puisque les travailleurs ont mis l’usine au service de la créativité d’artistes indépendants du patronat.
La démocratie ouvrière libère la créativité, elle libère également la pensée, pas seulement le jugement critique mais également la pensée créative dans son ensemble. Dans les faits, ã partir du moment où nous avons commencé ã occuper l’usine et à la faire produire nous-mêmes, des ouvriers de laboratoire ont commencé ã créer de nouveaux modèles, ils ont commencé ã penser ã de multiples possibilités de production librement, une chose qui aurait été impossible auparavant sous le joug patronal ou des agents de maîtrise, tout était ultra mécanique, ultra vertical, on obéissait ã des ordres. Tout cela a radicalement changé maintenant, et les camarades peuvent apporter énormément ã partir de là où ils travaillent. L’usine libère des forces, elle libère l’esprit critique des collègues, ils savant qu’ils peuvent décider, discuter, qu’ils sont les sujets de tous les pas en avant que nous faisons ensemble.
Le SOECN ne veut pas seulement être un simple outil de lutte ouvert et solidaire ã niveau régional et national. Dans son Statut, il est précisé que « Le SOECN souligne que la classe ouvrière ne connaît pas de frontières. Nous sommes les frères de tous les travailleurs et peuples opprimés d’Amérique latine et du monde. Nous luttons contre la domination des puissances impérialistes qui pillent le monde entier avec les conséquences que l’on connaît, la faim et les guerres » [1]. Comment s’est répercuté et a grandi l’internationalisme parmi les travailleurs du syndicat ?
C’est un point très important, surtout en Argentine. Ici, la tradition péroniste et de l’ensemble des syndicats liés au péronisme a toujours été très nationaliste. Bien que chez certains parmi nous l’internationalisme prolétarien faisait partie de notre idéologie, la plupart des ouvriers n’y voyaient pas très clairs à l’origine. Comment cela a pris corps ? D’abord par le biais de notre pratique permanente visant ã développer ces idées, mais cela a également ã voir avec la pratique concrète. La solidarité internationale qui arrivait ã Zanon a fait tomber bien des barrières. Nous recevions des communiqués de solidarité, de l’aide financière pour notre caisse de grève et même des visites de camarades de Bolivie, Chili, Brésil, Mexique, mais cela est allé en s’étendant par la suite, avec des gens qui venaient des Etats-Unis, d’Italie, de France, d’Espagne, d’Allemagne, etc. Les collègues ont commencé ã se demander « qu’est-ce que ce yankee peut bien venir faire ici ? », ou encore « et ce Français-là , qu’est-ce qu’il vient faire ? » (ici Gamuzzi, qui fournit le gaz, appartient à la multinationale française, GDF). C’est alors qu’ils ont commencé ã voir que dans tous ces pays il y a des travailleurs qui luttent contre leurs gouvernements et des travailleurs disposés ã appuyer la lutte des peuples opprimés. De cette façon, la pratique d’un côté et la lutte politique de l’autre ont donné lieu ã cette combinaison, que les camarades ont commencé ã voir d’un bon œil, même si au début c’était difficile. Aujourd’hui tout cela est naturel, ça fait partie des ouvriers. C’est un apport énorme pour les travailleurs pour renouer avec la vieille tradition de l’internationalisme, comme dans les années Soixante-dix. C’est la bourgeoisie et la bureaucratie syndicale qui ont dit « chaque ouvrier dans son pays ». En réalité, les travailleurs, on n’a pas de patrie.
Lorsque le Statut fait allusion au droit des peuples opprimés ã exercer leur droit à la souveraineté et à l’indépendance nationale, cela a ã voir avec ce qui se passe notamment au Proche et Moyen Orient ou en Afghanistan ?
Le SOECN a été un des principaux acteurs des manifestations qui ont eu lieu ã Neuquén, contre la guerre et pour la défaite de l’impérialisme en Afghanistan et en Irak. Dans le reste du pays, des délégations du syndicat ont également participé ã différentes manifestations anti-guerre. Nous pensons que la lutte des travailleurs, c’est également celle des peuples opprimés, notamment contre l’impérialisme qui pille nos pays, déclare les guerres, envahit, et laisse derrière lui des dizaines de milliers de morts et sème la famine de part le monde.
Tu parlais auparavant du rôle idéologique du péronisme au sein du mouvement ouvrier. Tu dis également que le moment clef de la bureaucratisation des syndicats en Argentine remonte à l’époque du premier gouvernement de Perón dans les années 1940. Tu penses que le nouveau Statut du SOECN contribue, au-delà de Neuquén, à la dynamique nécessaire de rupture que doit opérer la classe ouvrière argentine avec son tuteur traditionnel, le justicialisme ?
L’idée de base, c’est de donner au SOECN un caractère lutte de classe, c’est-à-dire souligner clairement que la libération des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. Cela implique par conséquent de montrer que nous ne pouvons faire confiance en aucun secteur de la bureaucratie et encore moins du patronat, que c’est donc nécessaire de lutter pour une perspective du point de vue de la classe ouvrière. Tout part de là , ã commencer par notre pratique. Cela fait partie de la présentation du Statut, tous les combats que nous avons menés contre les différents gouvernements ici en Argentine, soit six présidents différents contre lesquels ont a dû se bagarrer.
Un autre point important également que nous défendons au sein du syndicat c’est la liberté de tendance, de toutes les tendances qui défendent la classe ouvrière. Ces définitions sont très importantes, basiques, élémentaires, mais pour nous c’est des points de départ afin de changer cette logique qui consiste ã faire confiance dans un patron, un militaire patriote, un parti bourgeois, ou des bourgeois en général, ou leurs représentants. C’est ce qui apparaît clairement dans le Statut. C’est vrai qu’il n’y a pas de définitions plus précise au sujet du péronisme, mais une définition générale des partis bourgeois dans leur ensemble, au-delà de leur étiquette.
Tu n’es pas simplement un des dirigeants du SOECN, mais également dirigeant national du Parti des Travailleurs pour le Socialisme (PTS). Tu dis d’ailleurs, en citant Gramsci, que le caractère révolutionnaire d’un parti se mesure en fonction de ce qu’il apporte ã sa classe. En ce sens, qu’a apporté le PTS à la lutte de Zanon ?
L’apport du PTS a signifié un apport programmatique, stratégique et tactique tout au long du conflit. Bien entendu, certains personnes nous posent la question en visitant Zanon : « tout ça c’est le PTS qui l’a fait ? ». Non, et mille fois non. Le PTS a fait partie organiquement de tout le processus qu’ont mené les travailleurs qui faisaient leur expérience. Nous, ce que nous avons fait, c’est d’alerter systématiquement, des dangers et des risques, par rapport au ministère du Travail par exemple, qui est un organisme pro-patronal, par rapport aux différents gouvernements, à la bureaucratie syndicale. Nous avons apporté des méthodes également : la démocratie directe, la prise de décisions en assemblée de base, la révocabilité des dirigeants. Lorsque nous avons commencé ã poser, face au patronat et ã tout le peuple de Neuquén, le problème de l’ouverture des livres de comptabilité, l’idée du contrôle ouvrier et de la gestion ouvrière directe, toutes ces idées sont nettement trotskystes. Elles font partie de notre programme, du programme que le PTS propose pour la totalité de la classe.
De ce point de vue, la plupart de ces idées a pris corps parmi les travailleurs. D’ailleurs certains camarades ouvriers indépendants me disent : « bon, tout ça c’est des idées de ton parti, mais maintenant elles sont ã nous », et bien tant mieux, c’est ça l’objectif, on ne fait pas payer de droits d’auteur. Lorsque les ouvriers comprennent ces idées, ils les prennent ã bras le corps et les adoptent, le programme acquiert une force énorme et la lutte des travailleurs acquiert également une force énorme en fonction du programme qu’ils adoptent. Dans le cas de l’élaboration des Statuts, c’est la même chose qui est arrivée. Le fait qu’un dirigeant ne puisse toucher plus qu’un ouvrier, la rotation aux charges de direction, la révocabilité, c’est-à-dire qu’une assemblée peut mettre dehors un dirigent, tout cela ce n’est pas nous qui l’avons inventé, c’est la pratique des soviets, et même sans connaître l’histoire, les ouvriers de Zanon sentent que cela fait partie du patrimoine de notre classe.
En dernière instance, un parti n’est que la synthèse de la pratique révolutionnaire des travailleurs, de ce qu’il y a de plus avancé au sein de l’avant-garde. Le programme ne sort pas de la tête d’un génie mais c’est le produit de la synthèse de l’expérience historique de la lutte des classes. Voilà en gros ce que nous avons apporté, et ã notre avis ça a été fondamental. D’autres courants, d’autres tendances qui se revendiquent trotskystes sont intervenus dans d’autres phénomènes, d’autres usines, mais malheureusement tout cela n’a jamais été défendu jusqu’au bout. Nous essayons également que les camarades ne considèrent pas Zanon comme le summum, comme le nec plus ultra, ni même comme beaucoup qui disent « Zanon c’est le socialisme ». Non, mille fois non. On ne peut pas construire le socialisme dans un seul pays, alors encore moins dans une usine. Ou la situation dans son ensemble change, ou Zanon isolé devra planter des drapeaux le plus loin possible. Il faut être conscient de cela, parce que nous ne singeons pas la théorie, ni les consignes, ni le programme.
Si les ouvriers de Zanon ont fait leurs les consignes transitoires des expériences les plus avancées de la lutte de classe, penses-tu qu’il soit possible “d’exporter” les méthodes et la lutte que vous avez menées sous d’autres latitudes ?
Nous sommes une petite usine, le SOECN est un petit syndicat industriel provincial présent sur les quatre usines céramistes de la province, mais malgré tout nous avons eu un retentissement et un écho national et international. C’est nécessaire d’exporter les méthodes de lutte afin de pouvoir comprendre plus en profondeur le combat que nous menons ici, afin que les travailleurs d’ici et d’ailleurs puissent voir qu’aujourd’hui il existe un syndicat qui a les Statuts qui sont les nôtres, que les travailleurs de Zanon sont des ouvriers en chair et en os, que les travailleurs peuvent administrer une usine, et que si l’on peut administrer une usine, on peut diriger le pays.
Même en tout état de cause, les idées ne peuvent être calquées. On ne peut pas non plus répéter des expériences. Cela aussi se serait une caricature. Mais ce que nous voulons apporter en revanche c’est la méthode et les idées. Après, chaque endroit possède ses propres rythmes, ses propres temps, mais il existe des bornes, des orientations stratégiques communes.
C’est nécessaire de se référer ã des expériences internationales, et de fait c’est ce que nous avons fait nous-mêmes. Nous avons étudier des expériences qui ont connu des sorts divers, avec lesquels on peut avoir bien des divergences, mais qui ne sont pas moins des expériences importantes. Je pense aux Cordons industriels chiliens, aux expériences en Yougoslavie, aux processus qu’a connu le Brésil, ou même à la France, dans le cas de cette fameuse usine de montres dont je ne me rappelle jamais le nom, Lip, je crois. Je me rappelle avoir trouvé un article sur Lip alors que nous étions en pleine occupation de l’usine, je l’ai photocopié et je l’ai passé aux collègues en leur disant, « regardez, c’est ce s’est passé en France » et ils me répondaient « oui, mais c’est dur ». Si nous regardons en arrière aujourd’hui, nous sommes allés beaucoup plus loin, cela fait trois ans et demi que tout cela fonctionne.
Ces expériences historiques qui font partie du patrimoine le plus avancé de la classe ouvrière, je crois que c’est nécessaire de les partager, les discuter et les échanger, parce que ce ne sont pas seulement des idées ou des théories abstraites qui manquent, mais ce qui manque aux travailleurs, mais également aux sceptiques, c’est de savoir que tout ça c’est possible, que c’est une réalité de notre classe, de son histoire.
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