Une nouvelle conjoncture semble s’ouvrir au Brésil, entrainée par une série de grèves, particulières en cela qu’elles se déroulent en dehors du cadre routinier et du corporatisme habituel, et font émerger des revendications démocratiques profondes. Des grèves qui, si elles sont moins puissantes, s’inscrivent cependant dans la continuité des grandes actions de masses du mois de juin.
Le 15 octobre, des manifestations communes des travailleurs de l’éducation nationale et de la jeunesse ont eu lieu dans 15 des plus grandes villes du pays en solidarité avec la grève héroïque des enseignants de Rio de Janeiro [1]. Ces manifestations se sont soldées, notamment ã Rio et ã São Paulo par des affrontements violents avec les forces de police.
Depuis le 7 septembre, fête de la soi-disant « indépendance » nationale, lorsque des manifestations ont éclaté dans des dizaines de villes, la classe dominante a répondu par une violente répression, en poursuivant, réprimant et criminalisant des couches d’avant-garde restées actives après le mois de juin et dont une frange importante s’organise autour du phénomène en ascension des « black blocks ». Ces derniers expriment avant tout un « état d’esprit » présent dans des secteurs radicalisés de la jeunesse qui déchargent leur haine du système sur la police lors des manifestations en s’en prenant ã des symboles des pouvoirs publics et privés. Néanmoins, l’offensive de la classe dominante, relayée par le gouvernement et les grands médias, est en train d’obtenir l’effet contraire. En effet, des couches importantes de la société expriment leur soutien aux « cagoulés ».
D’autre part, les postiers et les travailleurs bancaires actuellement en grève ont entrepris un véritable bras de fer avec le patronat qui cherchait ã faire d’eux un exemple de réduction de la valeur réelle des salaires, histoire de faire payer aux travailleurs les coûts d’une inflation grimpante. Du côté de l’industrie, les ouvriers métallurgistes de Scania [2] ont décidé de paralyser la production pour empêcher le patronat de s’attaquer à leurs primes de productivité, et ce contre l’avis de leurs dirigeants syndicaux. Les travailleurs pétroliers, eux, se lancent dans une mobilisation pour les salaires au même moment où le gouvernement Dilma met en place une vente aux enchères d’une série de puits de pétrole et s’opposent à la privatisation d’une des principales ressources du pays par les grands monopoles internationaux. Un retour de “l’esprit de juin” ?
Cependant le conflit qui a émergé comme grand thème national a été la grève des enseignants de Rio de Janeiro, avec ses assemblées générales ã 10 000 (sur 40 000 enseignants au total), ses manifestations massives, ses occupations des lieux de pouvoir, ses affrontements avec les forces de police… La convergence d’un secteur de travailleurs avec la jeunesse radicalisée autour du black block a été aussi un fait nouveau et un pas en avant important. Mais malgré l’énergie déployée par les enseignants, la grève a été menée vers une impasse, face à la répression (plus de 200 arrestations) et la menace de licenciement de 4 000 enseignants par les pouvoirs municipal et départemental.
La répercussion nationale de cette grève n’est pas le fait du hasard. En effet, elle touche une des principales revendications démocratiques qui ont émergé du mouvement de juin : le droit à l’éducation dans un pays où les couches populaires et les noirs se voient écartés de l’université et où les écoles deviennent de véritables prisons face au mépris des autorités publiques à l’égard des enseignants et des élèves.
Parallèlement au problème de l’éducation, d’autres questions démocratiques structurelles surgissent sur la scène politique nationale : la violence policière envers les classes populaires, symbolisée par le cas de ce maçon noir, habitant de la favela de Rocinha – Amarildo –, torturé ã mort par la police et qui a engendré un mouvement inédit de protestation ; la question du logement avec une vague d’occupations ; les mobilisations des peuples originaires massacrés par les grands propriétaires fonciers voulant s’approprier leurs territoires au profit de l’agrobusiness avec la connivence de l’Etat ; une participation croissante des femmes et des noirs dans les processus de regroupement de l’avant-garde, etc.
En même temps et de façon contradictoire, Dilma Roussef et son gouvernement sont en train de recomposer partiellement leur popularité, en grande partie grâce ã une certaine marge de manœuvre accordée par une situation économique qui, malgré un début de détérioration, permet encore de maintenir le taux de chômage ã des niveaux historiquement bas et de là¢cher quelques concessions.
De son côté, l’Assemblée Nationale qui a voté le maintien du mandat d’un député condamné ã une peine de prison par la Justice et repoussé une énième fois le procès sur le mensalào [3] au Tribunal de Grande Instance, montre ã quel point la caste de politiciens parasitaires qui domine le pays est prête ã « tester » le rapport de forces pour maintenir ses privilèges. Cela ne fait néanmoins qu’alimenter le rejet populaire des institutions du régime.
C’est dans ce contexte général qu’on peut comprendre la grève massive des étudiants des Universités de São Paulo et Campinas contre le régime réactionnaire qui règne dans ces facs pour la première et contre la présence de la police dans le campus pour la deuxième. Lors de la manifestation du 7 octobre en solidarité avec les enseignants de Rio où les jeunes organisés autour du black block ont retourné une voiture de police, le gouverneur de São Paulo avait annoncé un durcissement de la répression, ce qu’il a mis en pratique lors de la manifestation du 15 octobre et du blocage d’une des principales voies publiques de São Paulo par plus de 2 000 étudiants où une répression violente a été déclenchée, avec des centaines de blessées et 56 arrestations.
Le contexte général crée un rapport de forces favorable, comme en témoigne le refus de la justice adressé à la présidence de l’Université de São Paulo d’autoriser l’intervention des forces de police pour expulser les étudiants qui occupent le bâtiment de la direction de l’université et ait accordé un délai de 60 jours aux étudiants pour quitter les lieux, ce qui peut permettre de renforcer et de massifier d’avantage leur mouvement.
C’est pourquoi, ã côté des camarades du courant Jeunesse dans la Rue, ainsi qu’à travers notre intervention dans le SINTUSP (Syndicat des Travailleurs de l’Université de São Paulo), nous bataillons d’un côté pour que la grève universitaire radicalise ses revendications démocratiques et avance vers une Assemblée Constituante libre et souveraine, appuyé sur la force de la mobilisation, pour décider ã côté des organisations ouvrières et populaires du fonctionnement général de l’Université. De l’autre, nous poussons ã ce que ce mouvement brise tout cadre corporatiste et fasse le lien entre la nécessaire démocratisation du régime universitaire et une démocratisation radicale de l’accès à l’université et du savoir qui y est produit. C’est en ce sens que nous avons défendu que les étudiants lancent un appel ã une journée nationale de manifestation en défense de l’éducation qui mette ã nouveau des dizaines de milliers de personnes dans la rue et au sein de laquelle nous mettrons en avant avec le plus de centralité possible les revendications concernant la fin de l’examen d’accès aux universités et pour un accès universel ; l’étatisation de toutes les institutions d’éducation privées pour assurer une éducation gratuite et de qualité pour tous ; des moyens supplémentaires pour l’éducation financés par le non-paiement de la dette publique et par des impôts progressifs sur les capitalistes.
S’il est vrai que les manifestations en cours n’ont pas pris l’ampleur de celles de juin, elles ont l’avantage d’être organisées ã partir des lieux de travail et d’étude, ce qui devrait permettre d’avancer vers une coordination démocratique des différents secteurs en lutte, d’unifier les demandes et les actions. Nous nous battons au sein du comité de grève de l’USP – et qui commence ã fonctionner avec des délégués mandatés par les assemblées générales de base – pour qu’il soit en première ligne de ce combat, ce qui inclut la nécessité d’une campagne nationale contre la répression et pour la libération et la fin des procès contre tous les militants.
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