Depuis plusieurs années, on a vu apparaître dans le paysage périurbain d’étonnantes collines de terre mêlée ã toutes sortes de détritus, matériaux, jouets d’enfants…, des tranchées creusées sur des centaines de mètres, ou encore des multitudes de blocs de béton dispersés sous les bretelles d’autoroute… autant de procédés visant ã empêcher les occupations illégales sur des interstices urbains dont personne n’aurait osé imaginer qu’ils puissent faire l’objet d’une quelconque convoitise. Autant de traces qui peinent ã camoufler l’extrême brutalité des gouvernements successifs et de leurs relais ã échelle locale.
Installations, expulsions, réoccupations… ou le « nomadisme forcé » des Rroms
Suite aux violents démantèlements de campements de Rroms qui ont eu lieu tout l’été notamment en Seine-Saint-Denis, conformément aux directives de Manuel Valls [1], des centaines de familles, dont de nombreux enfants, se sont peu ã peu repliées sur la zone industrielle des Docks de Saint-Ouen, pour y reconstruire leurs cabanes détruites ã coups de pelleteuse. Mais la peur de l’expulsion est omniprésente : « on ne sait pas où aller, en Roumanie il n’y a pas de travail, il n’y a même pas de ferraille, ici on peut ramasser la ferraille… », s’exclame une habitante. Et se désolant « dans ma maison il fait chaud, regardez... dehors il fait froid, et ici il y a plein d’enfants, des bébés, où on va aller ? ». Le campement compterait aujourd’hui environ 900 personnes, ce qui commence sérieusement ã faire tache pour la ville qui s’efforce depuis des mois de montrer un tout autre visage aux populations des classes moyennes - voire aisées - qu’elle prétend attirer dans son vaste éco-quartier en chantier, les Docks de Saint-Ouen. D’autant plus que les campements Rroms, la mairie de Saint-Ouen en a déjà connu. En effet, les Docks avaient déjà accueilli entre 2006 et 2008 ce que certains journaux qualifiaient à l’époque du « plus grand bidonville de France », occupé par quelques 600 Rroms originaires de Roumanie et de Bulgarie [2]. Déjà ã l’époque, la maire PCF Jacqueline Rouillon [3] avait vu ses projets immobiliers menacés et en avait appelé à l’Etat pour intervenir. En plein été 2008, sous l’ère Sarkozy, le campement avait été évacué par les forces de police et entièrement rasé, certaines familles rapatriées dans leur pays d’origine, les autres se dispersant sur le territoire.
L’exclusion en mode Front de Gauche
Expérimentée en la matière, la maire de Saint-Ouen n’a donc pas tardé ã réagir après les premières (ré)occupations, saisissant le préfet le 16 juillet, et renouvelant son appel par un communiqué en date du 28 août : « la Ville souhaite qu’une réaction la plus rapide possible ait lieu afin que ce campement cesse et qu’il ne se transforme pas en un vaste bidonville insalubre ». Mais lorsque l’exclusion vient de « la gauche », il faut la jouer tout en finesse, aussi la mairie s’est dit « attentive à la situation d’urgence sociale et humaine des populations Rroms installées sur son territoire », et a souhaité alerter des « dangers liés à l’errance d’enfants ã proximité des voies de chemin de fer ». Autant de démagogie quand on sait que la mairie n’a pas manifesté la moindre inquiétude quant au sort des enfants Rroms renvoyés par la force dans leur pays d’origine à la suite du démantèlement de camp des Docks en 2008.
Mais par chance pour la mairie, une plainte a émané ces dernières semaines, qui légitimerait l’évacuation du campement : celui-ci empièterait sur une voie ferrée desservant une centrale de la Compagnie Parisienne de Chauffage Urbain (CPCU), qui alimente en chauffage une partie des hôpitaux, crèches et logements de Paris. On apprend même que la chaufferie a été obligée ces derniers temps de s’approvisionner en charbon par camions, ce qui représente un coût plus élevé par rapport au transport ferroviaire. Étonnant que personne n’ait soulevé ce "problème" plus tôt, d’autant plus que la mairie fait beaucoup d’effort de communication sur ce camp depuis le mois de juillet. Peut-être parce que ce "problème" est imaginaire ? C’est ce que suggère l’association La Voix des Rroms, pour qui le campement n’empiète nullement sur lesdites voies, et ne serait pas à l’origine du transport par camions. Toujours est-il qu’alors que le froid est déjà bien installé sur la capitale, de nombreux journaux ont véhiculé la crainte d’une panne d’alimentation en chauffage si le campement n’était pas évacué. Il ne manquerait plus que des patients meurent de froid dans les hôpitaux parisiens et que l’on accuse encore une fois les Rroms !
Alors que le tribunal de grande instance de Bobigny a ordonné le 2 octobre l’évacuation du campement d’ici un délai de deux mois, mettant à la rue des centaines de famille à la veille de l’hiver, Rouillon est allée encore plus loin, estimant ce délai trop long et en appelant ã Manuel Valls afin de s’assurer que le démantèlement soit effectif, et cela avant le 12 décembre. Une politique tellement de droite que la préfecture de Bobigny s’est vu obligée d’expliquer qu’une évacuation en plein mois de décembre de quelques 900 personnes avec leurs matelas et leurs enfants sous le bras ferait scandale et que « les camions de charbon, c’est moins emmerdant » [4].
Quand une mairie « de gauche » s’attèle à l’« insertion » des Rroms
Selon la mairie de Saint-Ouen, « la question de l’accueil des populations roms ne pourra être correctement traitée que dans le cadre d’une politique globale d’insertion en faveur de cette population marginalisée à l’échelle nationale et européenne ». On pourrait presque tomber d’accord sur une telle affirmation, ã moins de n’observer de plus près ce qu’entendent les mairies Front de Gauche par « insertion ». Car ã ce sujet, la mairie de Saint-Ouen, a déjà donné. Trop, même. En effet, l’évacuation du bidonville des Docks en 2008 avait été accompagnée d’une grande campagne de communication sur l’insertion des familles Rroms, qui s’est matérialisée à l’époque par la mise en place d’un « village d’insertion », dispositif expérimenté par plusieurs communes voisines (Aubervilliers, Saint-Denis), réservé ã une vingtaine de familles triées sur le volet et logées dans des caravanes. Parqué en pleine zone industrielle et encerclé de parois en béton, le « village » gardienné 24h/24 et placé sous le feu de projecteurs dignes d’un stade avait plus des allures d’un camp de prisonniers. D’ailleurs, l’accès était formellement interdit ã toute personne n’étant pas officiellement bénéficiaire de l’initiative, y compris aux membres de la famille des habitants. Le dispositif, cofinancé par l’Etat et la mairie, prévoyait des « mesures d’accompagnement » vers l’ « intégration » assurées par l’Association Logement Jeunes 93 (ALJ 93) : aide dans les démarches pour la scolarisation des enfants, pour trouver un emploi ou un logement. Alors que les discours véhiculant l’idée selon laquelle les Rroms ne cherchent pas ã s’intégrer sont devenus monnaie courante, l’expérience du village d’insertion de Saint-Ouen démontre le contraire. Ici, les familles se sont battues pour obtenir la scolarisation de leurs enfants, et leurs efforts ont porté leurs fruits puisque la plupart des enfants du village ont pu être scolarisés. Un minimum pour une mairie se revendiquant favorable à l’intégration des rroms. Mais côté emploi, ça ne s’est pas passé de la même façon : malgré l’obtention de promesses d’embauche, les habitants se sont vus refuser leurs demandes de titres de séjour par la préfecture, ce qui les a contraints à laisser filer des opportunités d’emplois.
Et on ne peut pas dire que la mairie se soit battue pour faire pencher la balance : alors que le gouvernement Hollande a cessé de financer le projet en mars 2013, celle-ci s’est désengagée ã son tour en juillet, se justifiant par le fait qu’elle ne pouvait financer seule ce projet qui aurait coûté 2 millions d’euros par an. Ce que la mairie ne dit pas, c’est que selon La voix des Rroms, 75% du budget était alloué au gardiennage et à la « sécurité » des riverains qui, ã mesure que les proches banlieues se « gentrifient », montrent de plus en plus d’hostilités envers ce type d’initiatives. Il est évident que si la mairie FdG se montre de plus en plus droitière en discours et en actes, c’est aussi pour apporter des réponses ã ces nouvelles populations en vue des municipales de 2014. Ce qui n’est pas dit non plus, c’est que face ã une mairie qui disait ne pouvoir assumer la charge financière du village, les habitants ont demandé ã régler eux-mêmes la facture d’électricité, et que toutes leurs requêtes sont restées sans réponse [5]. De son côté, pour justifier la mort du « village », l’ALJ a été jusqu’à affirmer que les habitants n’avaient « pas répondu aux critères de volonté d’intégration » [6], relayant le discours amplement répandu de responsabilisation et de criminalisation de la communauté rrom. Ainsi, les familles ne se sont pas seulement vu couper l’eau et l’électricité en plein été, on leur a en plus ordonné de quitter les lieux sous menace d’expulsion par la force. La mairie soi-disant sensible à la question, qui ne cesse de faire allusion dans ses communiqués à la sécurité des familles rroms, au danger de l’insalubrité notamment pour les enfants, etc., condamne une fois de plus les familles « sélectionnées » cinq ans auparavant ã une situation extrêmement bancale et précaire, sans proposer d’alternative et en les désignant comme en partie responsables de ce qui leur arrive. Cette méthode odieuse et violente révèle bien qu’il ne s’agit aucunement de difficultés de financements mais que la fin du « village d’insertion » s’inscrit dans la même logique scandaleuse d’exclusion et de discrimination que l’appel au démantèlement du campement rrom des Docks.
Contre la politique raciste du gouvernement et de ses relais ã échelle locale, pour une solidarité ouvrière et populaire envers la population Rrom
A l’approche des municipales, la maire de Saint-Ouen semble avoir trouvé, dans la droite ligne de la politique du gouvernement PS, un nouveau bouc émissaire pour éviter de parler des vrais problèmes de la ville (logement, emploi, etc.)et canaliser l’opinion publique en criminalisant les Rroms, cette population sur laquelle s’acharnent depuis des années les pouvoirs publics et un large éventail de partis politiques.
Nous dénonçons toute tentative d’expulsion qui laisserait des centaines de familles dans la rue et exigeons un relogement dans des conditions dignes de tous les Rroms vivant dans l’extrême-précarité, ainsi que la possibilité pour les familles d’obtenir des titres de séjour, de scolariser leurs enfants, de disposer d’un accès à la formation, à l’emploi et à la santé. Nous devons prendre exemple sur le mouvement lycéen qui a fait preuve d’une grande solidarité à l’égard des jeunes immigrés, dont Léonarda qui appartient à la communauté Rrom, et a montré tout son rejet de la politique raciste du gouvernement.
Non aux expulsions et aux démantèlements de camps Rroms ! Halte aux discriminations !
16/11/13
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