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Résolument du côté des travailleur-euse-s en lutte, pour un programme d’urgence, ouvrier et populaire pour la Bretagne !
par : Comité de rédaction de Révolution Permanente

16 Nov 2013 | Quimper ou Carhaix ? Manif de droite ou manif populaire ? Les échauffourées avec les CRS sont-elles suffisamment de gauche lorsqu’on y retrouve des ouvriers aux côté de syndicalistes agricoles de la FNSEA ou se suffisent-elles ã eux-mêmes, tant qu’il y a affrontement ? Casser la grille d’une sous-préfecture, est-ce que ça a autant de valeur lorsque ce (...)
Résolument du côté des travailleur-euse-s en lutte, pour un programme d’urgence, ouvrier et populaire pour la Bretagne !

Quimper ou Carhaix ? Manif de droite ou manif populaire ? Les échauffourées avec les CRS sont-elles suffisamment de gauche lorsqu’on y retrouve des ouvriers aux côté de syndicalistes agricoles de la FNSEA ou se suffisent-elles ã eux-mêmes, tant qu’il y a affrontement ? Casser la grille d’une sous-préfecture, est-ce que ça a autant de valeur lorsque ce sont des travailleurs du rang qui la défoncent que lorsqu’un patron de l’industrie volaillère se trouve parmi les ouvriers de ses abattoirs ? Autant de questions légitimes, mais mal posées, pour saisir les enjeux de ce qui se passe, aujourd’hui, en Bretagne.

Disons-le clairement : ã gauche il y a, d’un côté, ceux qui observent (de loin et de haut…) la photo, sans voir la dynamique et ceux qui voient la mobilisation sans voir la nécessité de lui proposer un autre cap. Avec les premiers, on a l’impression que la colère qui est en train de s’exprimer en Bretagne, les affrontements de Pont-de-Buis du 26 octobre et la manifestation de Quimper du 2 novembre peuvent se réduire ã une même manif dans laquelle il y aurait des ouvriers licenciés et leur patron, le gérant d’un supermarché et les caissières, l’artisan routier et le propriétaire d’une grosse flotte de camions, des marins et patrons pêcheurs et les gros mareyeurs, des agriculteurs et les gros patrons de l’agroalimentaire, sans oublier l’extrême droite en embuscade cachée derrière les Gwenn-ha-du, les drapeaux bretons. Faire de la manif de Quimper un deuxième acte de la mobilisation contre le mariage pour tous, c’est faire, peu ou prou, consciemment ou non, le jeu du gouvernement. De l’autre côté, il y a ceux qui disent que, tout ces contradictions réelles que l’on a vu ã Quimper, c’est secondaire, que laisser primer la défense des subventions bruxelloises, des aides aux patrons et l’opposition à l’écotaxe sur la défense de l’emploi et l’interdiction des licenciements, c’est loin d’être primordial et que l’essentiel c’est la mobilisation.

Ce que les drapeaux bretons pourraient préfigurer

L’enjeu, pour l’extrême gauche, pour les équipes syndicales combatives, pour les secteurs mobilisés de la jeunesse, c’est plutôt de considérer les mouvements en Bretagne comme un triple point d’inflexion :

Un avant et un après, tendanciellement, dans la situation politico-sociale actuelle, sur fond de discrédit gouvernemental, de popularité au ras-du-sol, de gestion calamiteuse de l’affaire Leonarda-Katchik et de mobilisations lycéennes qui se poursuivent [1] ;

Un changement du climat politique, avec une prééminence d’éléments de lutte de classe et d’insubordination, confus et contradictoires, certes, mais une situation marquée par les tendances à l’affrontement et à l’action directe, et ce après la séquence précédente marquée par les manifs réacs contre le mariage pour tous, la poussée du FN, les accords régressifs de compétitivité dans les entreprises et les réformes anti-sociales du gouvernement à laquelle se sont associées peu ou prou les directions syndicales ou devant lesquelles elles sont restées l’arme au pied [2] ;

Une opportunité, du coup, et une obligation d’intervenir pour proposer largement aux organisations ouvrières et de jeunesse de se mobiliser pour la défense des conditions de vie, de travail, de l’emploi, en Bretagne et ailleurs, en toute indépendance du patronat et des notables de droite qui essayent de chevaucher le mouvement, et en toute indépendance, également, d’un gouvernement socialo-écologiste et de ses alliés de circonstance qui essaient d’éteindre l’incendie avant les élections municipales et européennes pour mieux repasser à l’offensive par la suite.

Les secousses que connaît la Bretagne ne sont pas tant spécifiquement régionales qu’elles sont surtout l’expression de la façon dont la crise est en train de saper les bases de la structure économique sur laquelle l’Ouest s’est construit au cours des quarante dernières années. Ce qui est proprement breton, en revanche, c’est que la situation nous renvoie l’image du niveau de tension auquel l’extrême gauche devrait se préparer si elle entend être une alternative politique du monde du travail et de la jeunesse face aux contrecoups d’une crise dont personne ne voit le bout du tunnel et que la gauche au gouvernement comme la droite dans l’opposition sont bien décidés ã faire payer aux classes populaires.

Ce qu’il y a de distinctif, en revanche, dans les événements bretons, c’est la façon dont une région jusque-là marquée par une certaine stabilité sociale et relativement épargnée par la crise connaît une poussée sociale multiforme et violente qui déborde largement les canaux institutionnels habituels par le biais desquels, par les négociations, le dialogue ou la matraque, les gouvernements sont habitués ã avancer et ã faire accepter de plus ou moins bonne grâce l’austérité et les licenciements. Possibilités de radicalisation soudaine, de coups de colère qui sortent du cadre des mobilisations syndicalo-électoralo-routinières, mais aussi fragmentation de la lutte des classes, difficultés ã tracer un cap de classe en l’absence, en amont, d’un pôle de syndicalisme lutte de classe, anti-tables-rondes et ronds-de-jambe avec la gauche, et d’une gauche radicale à la hauteur de la crise, c’est cela aussi que font présager les événements bretons.

Tradition de colères sur fond d’effritement accéléré de l’appareil productif

Pour ceux qui pensaient que les seuls gros dossiers de la rentrée c’étaient les retraites et les accords de compétitivité, les affrontements bretons ont eu un caractère quelque peu inattendu. Leur côté spectaculaire fait néanmoins partie d’une sorte de patrimoine régional, souvent masqué et occulté, mais qui explique la radicalité et la détermination des manifestants, à la fois dans les actions qui ont été menées comme au cours des accrochages contre les forces de l’ordre lorsqu’ils ont été provoqués. Mais ce qui explique, plus proche de nous, cette tension qui a fini par exploser, c’est la dégradation abrupte de la situation économique régionale. Aujourd’hui, les trois piliers du tissu économique breton qui ont fait la croissance de la région qui sont en crise. C’est le cas de l’industrie automobile, qui représente 10.000 emplois directs, avec notamment le pôle PSA ã Rennes, des télécoms, secteur sous pression qui emploie directement 65.000 personnes et, enfin, de l’agroalimentaire, avec autant d’emplois directs parmi lesquels 8.000 sont menacés.

Encart 1

Des pierres contre les fusils, des luttes rouges au pays du Gwenn-ha-Du

A Paris la violence des accrochages de Pont-de-Buis le 26 octobre ou les échauffourées de Quimper, le 2 novembre, a pu surprendre certains. C’est avoir la mémoire courte, feindre de l’avoir perdue ou trop s’habituer ã ce que les travailleurs subissent sans jamais réagir en sortant du cadre légal.

Un mot d’abord. Si violence il y a, c’est d’abord celle qui menace des milliers de familles de salariés, avec des traites sur le dos et un avenir qui rime avec misère. La réponse des manifestants, de ce point de vue, n’est que la monnaie de la pièce.

Mais en Bretagne, sans remonter aux Bonnets Rouges, il y a toujours eu cette capacité, chez les travailleurs, les paysans et les pêcheurs, ã répondre coup pour coup avec, ã chaque fois, un large soutien dans la population.

C’est la question du cours des productions agricoles et du poisson qui a été régulièrement au centre des mobilisations. La crise de l’artichaut, par exemple, mobilise pendant deux ans les paysans finistériens qui finissent par occuper la sous-préfecture de Morlaix (déjà !), en 1962, pour avoir gain de cause. Plus proche, les marins-pêcheurs, en 1994, avec la grande manifestation ã Rennes qui se solde par des affrontements de plusieurs heures avec les forces de l’ordre. On les accusera d’avoir mis le feu au Parlement de Bretagne, monument inscrit au patrimoine. Ce n’est sans doute pas une fusée éclairante lancée par la CGT-Marins qui en est à l’origine mais une grenade des gardes mobiles.

Du côté des luttes ouvrières, pour n’en retenir qu’une seule, il y a celle du Joint-Français, ã Saint-Brieux, sorte de « Lip » finistérien, qui tient en haleine toute la région pendant huit semaines de grève au terme desquelles la direction de la Compagnie Générale d’Electricité finit par céder.

Et puis, très tôt, il y a les luttes contre les grands projets, inutiles et polluants, militaro-industriels, dans une région dont le littoral a souvent été considéré comme une chasse-gardée par l’Armée et la Marine nationale. là encore, c’est avec détermination, et avec les moyens du bord, que l’on a fait reculer l’Etat, avec « des pierres contre les fusils », pour reprendre le titre du film de Nicole Le Garrec au sujet de la lutte contre la construction de la centrale nucléaire de Plogoff entre 1978 et 1981.

C’est dans ce cadre que la Bretagne a subi très brutalement une compression de l’activité que le patronat a répercutée immédiatement au niveau de l’emploi, avec un bond du chômage qui est passé en un an de 8 ã 10%. Il s’agit, certes, d’un chiffre situé en-dessous de la moyenne nationale mais une telle progression ne s’était jamais vue depuis trois décennies dans la région. Les cas les plus emblématiques de menaces de fermetures et de licenciements sont ceux qui ont touché le secteur agroalimentaire, aujourd’hui sous le feu des projecteurs. Dans certains cantons les plus éloignés des principaux pôles économiques, industriels et tertiaires, comme Nantes, Rennes ou Brest, la fermeture de tel ou tel abattoir, la réduction d’effectifs dans les serres, les licenciements dans les conserveries signifient un arrêt de mort virtuel pour certains bourgs et petites villes. C’est toute l’économie locale qui en pâtit, du commerce en passant par les services publics et les salariés touchés sont bien dans l’impossibilité de « rebondir », comme leur promet Pôle-emploi, lorsque ce sont parfois des couples avec des traites sur un logement ou des familles entières qui travaillent dans une même entreprises qui ferme, avec à la clef des dizaines de kilomètres ã parcourir, en voiture et avec un prix des carburants qui flambe, pour trouver un boulot précaire ou un CDD sur un autre site.

Les plans sociaux les plus durs, qui sont sur toutes les lèvres dans le Finistère et qui ont été au cœur de la mobilisation de Quimper, sont ceux qui visent les salariés des abattoirs Gad ã Lampaul-Guilmiliau, propriété de la « coopérative » agricole vannetaise CECAB, ceux des abattoirs du gros volailler Tilly-Sabco ã Guerlesquin (122 millions de chiffre d’affaire en 2013) et ceux de Marine Harvest ã Poullaouen, propriété du leader mondial de la salmoniculture. Et ã chaque fois, ã ces charrettes de licenciements, il faut rajouter les emplois induits, puisque si 200 des 340 salariés des abattoirs de Guerlesquin par exemple étaient menacés jusqu’à il y a quelques jours, ce sont plus de 1.000 emplois qui en dépendent en dernière instance sur l’ensemble de la filière, de la production à l’acheminement vers l’export depuis le port de Brest. Et avant cette séquence particulièrement difficile pour l’emploi, il y avait eu la liquidation de 971 emplois chez le groupe Doux en 2012 et les menaces qui pèsent sur la conserverie Nicolas Boutet de Rosporden (contrôlée par la CECAB toujours) ou, pour ce qui est de l’Ille-et-Vilaine, sur le site de l’équipementier télécom Alcatel-Lucent de Rennes, sur PSA La Janais prés de la capitale bretonne ou encore sur la conserverie Marine Harvest de Châteaugiron.

Exaspération, ras-le-bol, affrontements

La situation a abouti ã une coalition de colères d’autant plus dur que la région, classée ã gauche, a massivement voté Hollande à la présidentielle et que l’ensemble des rouages institutionnels locaux, départementaux et régionaux sont aux mains des socialistes et de leurs alliés. La baisse annoncée des restitutions, ã savoir les subventions bruxelloises destinées ã soutenir les exportations agroalimentaires entrée de gamme dans le cadre de la réforme de la Politique Agricole Commune (PAC), et surtout l’entrée en vigueur de l’écotaxe sur les transports, dans une région historiquement enclavée et très dépendante du réseau routier a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, transformant l’exaspération en ras-le-bol, et la colère en mobilisation.

Trois éléments cependant pour analyser la réaction du bloc social qui s’est constitué et a manifesté ã Quimper à l’appel, à l’origine, du Comité pour l’emploi de Carhaix réuni en meeting de solidarité avec les travailleurs de Marine Harvest, le 18 octobre. Les patrons des abattoirs et de l’agroalimentaire en général, plutôt classés ã droite historiquement dans la région, ont peut-être attendu l’élection de Hollande pour annoncer les licenciements comme les en accuse certains élus socialistes finistériens. Il serait en revanche erroné de nier le fait que certains segments du secteur est en crise réelle alors que d’autres en profitent pour restructurer pour se positionner en situation de force face à la concurrence européenne et extra-européenne. En tout état de cause, ce n’est pas aux travailleurs de l’agroalimentaire de payer le coût des restructurations, mais il faut dans ce cas défendre un programme qui soit à la hauteur de la crise de la filière, ce que les élus socialistes locaux et leurs alliés écologistes et régionalistes ne veulent faire. Pas question pour eux d’affronter, autrement qu’en paroles, les grands patrons de l’agroalimentaire et de l’agriculture productiviste, même si ces derniers se sont avérés particulièrement peu reconnaissants dernièrement [3].

De ce point de vue, d’ailleurs, il serait erroné de cacher qu’avec ce début de débordement de colère, des secteurs du patronat, du Medef local, de la CGPME, des gros syndicats agricoles historiquement liés aux réseaux gaullistes, et bien entendu la droite bretonne, suivie de tout un cortège de cul-bénis comme la région sait en produire, ont essayé de s’engouffrer dans la brèche et de chevaucher le mouvement, avec deux objectifs. A très court terme, l’idée était de faire reculer le gouvernement sur l’écotaxe, non pas tant pour protéger « les petits », mais pour les profits des gros : grandes « coopératives » agricoles de production, grande distribution, etc. Le second objectif consiste ã essayer de tirer tout le parti possible du mécontentement et des déceptions encaissés par un électorat de gauche faisant face ã une cascade de licenciements pour tailler un peu plus en pièces les élus de la majorité en vue du prochain scrutin municipal et des élections européennes.

Troisième élément, ã ce niveau : même si le mouvement breton n’est pas « révolutionnaire et prolétaire à l’état pur » (mais quel mouvement l’est ?), le réduire simplement ã un mouvement de droite piloté en sous-main par les notables de l’agroalimentaire et sponsorisé par Armor Lux, le comparer ã une sorte de « Tea-party » régional, c’est à la fois méconnaître sa dynamique, ses potentialités et faire preuve d’une condescendance assez crasse. Du côté de ceux qui, comme Mélenchon, ont raillé les « esclaves qui manifestaient aux côtés de leurs maîtres », ce mépris n’a aucunement contribué ã clarifier les enjeux politiques et ã renforcer un pôle combatif des travailleurs et de la jeunesse dans le mouvement contre les licenciements en Bretagne. Au contraire, c’est ce qui a conduit ã être à l’initiative le 2 novembre d’une manifestation ã Carhaix, ã quelque 70 km de la préfecture du Finistère, qui a regroupé surtout des responsables syndicaux de la CGT, FSU et Solidaires (une partie de la base de ces syndicats étant, eux, ã Quimper). Dans le meilleur, il s’agissait d’une mobilisation qui peut être considérée comme une manif bis, ou alors, dans le pire des scénarios, comme une manif de quasi soutien au gouvernement à laquelle ont appelé tous les notables socialistes de la région, ã commencer par l’ancien maire de Quimper, conseiller spécial de l’Elysée et le Monsieur-anti-mariage-pour-tous de la majorité, Bernard Poignant.

Pacte d’avenir pour la Bretagne ou construire dans les mobilisations un bloc de classe indépendant et un plan d’urgence ouvrier et populaire ?

La radicalité de la réaction bretonne a mis ã mal la stratégie hollandiste de négociation-dialogue-table-ronde-concertation mise en œuvre depuis plus d’un an maintenant pour mieux asséner les coups que la droite n’a pas pu décocher avant lui. Face à la violence des accrochages, on a demandé ã Valls de ne pas jeter davantage d’huile sur le feu pour l’instant, tout en menaçant de poursuites les « fauteurs de trouble », comme si à l’origine il n’y avait pas le rouleau-compresseur des licenciements qui menace des milliers de familles. Dans un second temps, devant l’aggravation des tensions et Bretagne et face au risque de contagion sérieusement envisagée par certains conseillers élyséens, le gouvernement a préféré faire un pas de côté, suspendre l’application de l’écotaxe puis rouvrir, ã Rennes, ã deux cents km du théâtre des opérations, des négociations « avec les acteurs locaux », d’abord avec le préfet de région le 6 octobre puis avec les ministres en charge du dossier le 8.

L’opération, dans le plus pur style élyséen, consiste ã faire venir s’asseoir à la même table les licencieurs et les licenciés, les syndicats de patrons et les directions des syndicats de salariés, la gauche et la droite, les maires de tout bord. Cette confusion de genre, avant tout, est entretenue par ceux qui pilotent le collectif « Vivre, décider et travailler en Bretagne ». Le gouvernement a tôt fait de la mettre ã son profit en voulant notamment accélérer la signature d’un soi-disant pacte d’avenir pour la Bretagne et un Plan d’avenir de l’agroalimentaire dans l’intention de lier les mains de toutes les parties. Le gouvernement a donc promis, d’une part, pour essayer de désamorcer les conflits les plus explosifs, 4 millions d’euros pour le site de Guerlesquin de façon ã éviter le licenciement de 200 salariés de Tilly-Sabco ainsi que le reclassement des 320 salariés du site Gad de Lampaul-Guimiliau dans la filière laitière notamment. Mais la question de l’attitude ã adopter devant Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, et Guillaume Garot, ministre délégué à l’agroalimentaire, venus présenter le « Pacte » reste posée. Car, d’un côté, il y a les patrons des différentes filières qui viennent demander plus de subventions et dégrèvements pour continuer ã engranger du profit, de l’autre les directions syndicales à l’image de la CFDT qui sont là pour faire le jeu du gouvernement en assurant qu’elles assisteront ã toutes les séances, ou encore celles qui, à l’image de FO et CGT, pressées par leur base, refusent de faire les potiches autour d’une table et menacent de nouvelles actions.

Une journée de mobilisation a d’ailleurs été annoncée pour le 30 novembre dans le Finistère. D’ici-là , même s’il est peu probable que de nouveaux sinistres sociaux soient annoncés, il y a fort ã parier que la colère ne sera pas retombée. De ce point de vue, l’enjeu est double : poursuivre le rapport de force et élever le niveau de l’affrontement pour faire plier patrons et gouvernement mais également éviter que ce soit la droite voire même l’extrême droite, marginale jusqu’à présent dans les manifestations et qui n’a pas les moyens de se mettre en avant, qui soit en mesure de capitaliser le ras-le-bol breton. D’est en ce sens qu’il faut continuer ã œuvrer à la construction du pôle ouvrier le plus fort possible, comme l’a fait le NPA Kreiz-Breizh au cours des dernières semaines et encore une fois lors de la mobilisation de Quimper.

Face ã des discussions ã Rennes qui visent ã éteindre l’incendie ou en tout cas circonscrire la grogne et l’isoler, un pôle ouvrier et populaire breton, à la fois autonome du Medef, de la CGPME et de la FDSEA et de la FNSEA et, bien entendu, du gouvernement et ses alliés, serait une arme décisive pour faire avancer l’intérêt des travailleurs en lutte et, plus largement de l’ensemble des salariés. Pour ce faire, trois points centraux d’un programme d’urgence ouvrier et populaire pour la région pourraient être mis en avant et défendus pour donner une perspective réelle face aux fausses-promesses d’un « Plan Orsec » pour la Bretagne, comme le réclame la droite, ou l’appel creux ã ce que « l’ensemble des acteurs socioéconomiques bretons contribuent, avec les pouvoirs publics et les élus bretons, à la réussite de ces chantiers » comme l’a demandé le président du Conseil général du Finistère à l’issue d’une réunion avec Jean-Marc Ayrault ã Matignon fin octobre.
Face aux menaces sur l’emploi, nationalisations des entreprises qui ferment ou licencient !

Sur la question de l’emploi, il va de soit que l’extrême gauche doit soutenir, quelle que soit leurs modes d’action et leur horizon revendicatif, l’ensemble des travailleurs qui se battent pour sauver leur emploi. Cela ne doit pas empêcher de pointer du doigt, pour la Bretagne en général et le Finistère en particulier, qu’une solution de fond ne peut qu’impliquer l’interdiction des licenciements, la réquisition et la nationalisation des entreprises qui ferment ou licencient, sous le contrôle des travailleurs.

Cela se pose avant tout par rapport à la question de la réforme de la Politique Agricole Commune (PAC) et de la fin des restitutions qui ont jusqu’à présent soutenu les exportations de viande de volaille. Les ouvriers de Tilly-Sabco ont demandé ã ce qu’elles soient maintenues « pour sauver les emplois ». Mais les patrons, qui réclament leur maintien ã cors et ã cris, étaient parfaitement au courant qu’elles arrivaient ã échéance tout comme les directions syndicales qui n’ont rien fait pour préparer le combat de l’emploi qui était déjà annoncé dans la presse régionale depuis 2012. Ces aides ont servi depuis des années, comme la PAC d’ailleurs, les gros bonnets de l’agroalimentaire ã siphonner leurs concurrents locaux, plus petits, ã concentrer un peu plus encore la production, comme auparavant la PAC ã ses débuts a servi ã expulser les métayers et ã prendre à la gorge les paysans pour mieux concentrer les terres et à les remembrer. Ces aides sont même utilisées par ces patrons pour investir dans l’agroalimentaire à l’étranger, parfois même au Brésil, histoire d’organiser et de contrôler eux-mêmes la concurrence et leurs propres pertes pour mieux justifier les pressions sur le travail, la précarisation des emplois et les licenciements. Ces aides, jamais complètement traçables dans leur utilisation, ont sans doute également servi ã ce qu’ils s’en mettent plein les poches. En témoignent certaines villas des grandes familles de l’agroalimentaire qui aujourd’hui crient misère, construites sur le domaine maritime, ã Bénodet ou ailleurs.

C’est aussi pour cela que la seule solution à long terme doit passer par l’ouverture des livres de comptes pour voir où sont passées les aides, par l’expropriation des grosses entreprises, élevages, serres, abattoirs et conserveries, qui licencient, qu’elles fassent ou non des profits, sous contrôle des paysans et de tous salariés de la filière. Car les emplois menacés, ce ne sont pas seulement ceux des travailleurs en CDI. Dans les abattoirs bretons, après les équipes du soir, ce sont des centaines de travailleurs précaires, souvent immigrés, qui nettoient les lignes entre minuit et cinq heures du matin. Au vu des cadeaux faits aux patrons et aux banques, il est plus que légitime d’exiger qu’une entreprise qui ferme soit réquisitionnée. Dans le cadre de l’agroalimentaire breton, par ailleurs, on peut estimer qu’une filière nationalisée serait socialement plus utile et servirait les collectivités locales, le service public d’éducation et de santé régional et national. Enfin, ce serait la seule façon pour que, démocratiquement, il soit possible de reconsidérer le modèle productiviste capitaliste dominant au profit d’une agriculture contrôlée par les travailleurs, au service de la population et respectueuse de l’environnement. Une telle solution, pour pouvoir être conduite jusqu’au bout, impliquerait une révolution, non seulement en Bretagne mais également au niveau hexagonal, avec d’énormes répercussions en Europe.

A bas l’écotaxe, non à l’augmentation annoncée de la TVA, taxer les hauts revenus et les revenus du capital !

Décidée sous Sarkozy, votée à l’unanimité par la droite et par la gauche, « affermée » ã une société privée dans le meilleur style Ancien-Régime et un gouvernement de gauche qui s’apprêtait à la mettre en place : c’est le plus parfait exemple de la continuité gestionnaire et politique SarkHollande. L’écotaxe, et c’est un secret de polichinelle, c’est avant tout un impôt indirect qui va frapper les régions enclavées plus que les autres, en l’occurrence la Bretagne, sans résoudre quoi que ce soit du point de vue de l’écologie.

Faire passer la revendication de sa suppression définitive par-dessus la question de l’emploi, c’est encore une fois faire le jeu de ceux qui veulent brouiller les cartes de la mobilisation. Mais de maintenir le combat pour l’emploi, avec ã sa tête les salariés concernés et l’ensemble des travailleurs et de la population solidaire, c’est aussi exiger l’abrogation pure et simple de la loi et du contrat passé avec EcoMouv tout exiger le recul sur le passage annoncé de la TVA de 7 ã 10% en 2014. La seule imposition qui vaille, c’est une fiscalité directe et très fortement progressive sur les hauts revenus et surtout sur les revenus du capital. Délaisser le terrain fiscal aux organisations patronales, petites ou grosses, c’est faire le jeu de l’extrême droite. Le défendre, c’est aussi souder la possibilité d’une alliance réelle, qui devrait prendre corps dans les prochaines semaines, entre les travailleurs et les petits paysans, les artisans routiers et les marins-pêcheurs.

Défendre la culture et la spécificité bretonnes, c’est lutter contre l’austérité imposée par Paris !

Sur la question de la Bretagne, enfin, il est clair que la république bourgeoise jacobine, telle qu’on la connaît, s’est construite concrètement et idéologiquement et continue ã se construire sur la relégation ou, au mieux, le mépris et la condescendance vis-à-vis de sa banlieue et de ses populations, qu’il s’agisse d’une banlieue urbaine et immédiatement périphérique dans le cas de Paris, Lyon ou Marseille, ou d’une « banlieue régionale », y compris sur le territoire hexagonale, comme dans le cas de la Bretagne. Mais là encore, la seule façon de poser effectivement la possibilité d’une défense d’une culture et d’un patrimoine bretons spécifiques, ce n’est pas en se plaçant aux côtés des Leclerc, des Bolloré, des Doux et des Le Floc’h (Armor Lux), tous patrons bretons mais surtout requins du profit et de l’exploitation. Pour ce faire, il faudrait défendre une réelle politique publique culturelle et éducative en Bretagne, y compris en langue bretonne, avec pouvoir décisionnaire des travailleurs de la culture et de l’Education. Et cela implique de bloquer, dans sa globalité, la machine austéritaire de Paris.

Bevañ ha labourat er Vro ?

« Vivre et travailler au pays ! », « Bevañ ha labourat er Vro ! ». C’était le slogan des Comités d’Action Breton dans les années 1970. Issus de la mouvance autogestionnaire et indépendantiste de gauche, les Comités défendaient la possibilité, pour les jeunes bretons, de ne pas être forcés ã aller chercher du travail ailleurs, faisaient le lien entre le combat indépendantiste, la défense de la culture et de l’identité bretonnes, le soutien aux détenus politiques et les luttes sociales dont la région est le théâtre à l’époque, comme la grève du lait de Pédernec ou celle du Joint. Pour les militants des Comités, le patronat breton, les petits potentats locaux, ne valaient pas mieux que leur équivalent hexagonal.

Dernièrement, Christian Troadec et Thierry Merret ont lancé le Collectif vivre, décider et travailler en Bretagne qui essaie de prendre le relais des mobilisations sur l’emploi et qui a fait de l’écotaxe un enjeu central. Avoir repris le slogan et rajouté « décider » n’est pas anodin. Le contenu qu’ils entendent lui donner, c’est pour mieux le vider de son contenu et en faire un fourre-tout bien commode à leurs ambitions respectives. Troadec, en plus d’être le maire de Carhaix et à l’origine du Festival des Vieilles Charrues est aussi chef d’entreprise. Merret, lui, est le patron du syndicat agricole FDSEA, très marqué ã droite et Edouard Morvan et les six autres paysans du Finistère emprisonnés lors de la guerre du lait dans les années 1970 préféreraient sans doute lui cracher au visage que de figurer ã ses côtés. Mais le mélange des genres, au nom « des intérêts de la Bretagne en général », c’est une spécialité de Troadec.

S’il y a bien quelque chose que la gauche radicale bretonne des années 1970 peut nous enseigner, par delà les choix politiques parfois erronés qu’elle a pu faire, c’est que les travailleurs de Bretagne n’ont rien ã partager avec leurs patrons, même lorsque ceux-ci font semblant d’être de leur côté « contre Paris ». Quand Leclerc, Hénaff, Le Floch’h ou Merret parlent de produire en Bretagne, de produire breton, de défendre la Bretagne, c’est leurs intérêts ã faire des profits qu’ils défendent. Pour que vivre en Bretagne et y travailler retrouve son sens originel et ne soit pas galvaudé par des patrons petits et gros et des politiciens prêts ã tout pour faire carrière, il faudra prendre nos affaires en main, prendre sur leurs profits et leur reprendre le contrôle de l’appareil de production.

Une victoire en Bretagne pourrait ouvrir la voie ã un mouvement d’ensemble ?

Construire un tel pôle et défendre un tel programme permettrait de faire des pas en avant au niveau de la coordination des luttes dont on a besoin aujourd’hui, en Bretagne comme ailleurs. Ce serait un pas en avant pour construire la résistance nécessaire pour s’opposer à l’offensive et aux agressions que l’on subit au quotidien, dans le public comme dans le privé, chez les travailleurs comme chez les étudiants ou dans la jeunesse et, plus globalement, les classes populaires.

Pour l’instant, le pic des 2188 plans sociaux de 2009, au tout début de la crise, au moment des luttes des Contis, Freescale, Molex, Caterpillar et Sony, n’est pas encore atteint. Cependant, tous les indicateurs laissent ã penser qu’avec 12.800 faillites au troisième trimestre 2013, soit une hausse de 7,5% sur un an, avec des grosses PME qui sont maintenant touchées, « 150 ã 180.000 emplois de trop en France » selon les calculs des « experts » au service du patronat, nous sommes rentrés dans une séquence clairement déflationniste de l’économie c’est-à-dire de crise profonde, que l’une ou l’autre des classes fondamentales qui composent la société aura ã payer tôt ou tard.

Être à la hauteur de la situation, pour les révolutionnaires, c’est être en capacité de proposer un programme aussi radicalement alternatif à la crise, du point de vue du salariat, que ne l’est, ã droite, le FN, qui joue sur le désespoir et la démagogie populistes pour mieux diviser le monde du travail et les classes populaires. Il faut également être en capacité d’analyser la période pour ce qu’elle est : une période de préparation des combats ã venir qui sont d’ailleurs peut-être plus proches de nous que nous ne le pensons et que le mouvement breton préfigure, voire même peut-être inaugure. Pour cela aussi, nous sommes résolument aux côté des travailleurs et de la jeunesse en lutte en Bretagne.

09/11/13

 

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