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Rajouter un « volet social » au « Pacte pour l’avenir pour la Bretagne », c’est ça la perspective ?
par : Eliane Le Floch , Jean-Patrick Clech

25 Nov 2013 | Samedi 23 novembre, c’était ã nouveau journée de mobilisation en Armorique. Bien moins nourries que le 2 novembre ã Quimper, les manifestations ont regroupé 8.000 personnes qui ont défilé à l’appel de l’Intersyndicale bretonne.
Rajouter un « volet social » au « Pacte pour l’avenir pour la Bretagne », c’est ça la perspective ?

Samedi 23 novembre, c’était ã nouveau journée de mobilisation en Armorique. Bien moins nourries que le 2 novembre ã Quimper, les manifestations ont regroupé 8.000 personnes qui ont défilé à l’appel de l’Intersyndicale bretonne. Retour sur les raisons de cette mobilisation et les perspectives ã venir, non pas tant pour rajouter un volet soi-disant socialau « Pacte d’avenir pour la Bretagne » (et ses patrons, surtout), mais pour bloquer une bonne fois pour toutes la machine à licencier, l’austérité et les mauvais coups.

Samedi 23 novembre quatre manifestations simultanées organisées par l’intersyndicale CGT, CFDT, CFTC, CFE-CGC, UNSA, SUD, FSU ont rassemblé environ 8000 personnes avec un peu moins d’un millier de personnes ã St-Brieuc, 1500 ã Lorient, 2500 ã Rennes et surtout 3000 ã Morlaix, sous-préfecture du Finistère, le département le plus saigné par la vague de licenciements et de fermetures de ces derniers mois.

Il y a trois semaines, la manifestation des Bonnets Rouges (et pas seulement) ã Quimper posait la question de l’écotaxe qui était venue se surajouter ã celle des licenciements. Une partie des directions syndicales, dont la CGT, la FSU et Sud, ainsi que le Front de Gauche avaient déserté et appelé le même jour ã une manifestation ã Carhaix, unemobilisation qui dans le meilleur des cas pouvait être considérée « comme une manif bis, ou alors, dans le pire des scénarios, comme une manif de quasi soutien au gouvernement » [1].

La date du 23 aurait pu être l’occasion, en tout cas, de battre le fer tant qu’il est chaud, et de donner une suite aux mobilisations du 2 novembre, notamment celle de Quimper. Las.

Quatre manifestations atomisées…

La manifestation devait être au départ régionale et concentrée sur Rennes. Elle a été par la suite segmentée en quatre mobilisations, sur quatre villes différentes, pour soi-disant permettre au maximum de personnes d’y participer. Ce que visaient les directions syndicales, au vu du caractère explosif de la situation bretonne, c’était surtout d’éviter tout « débordement » dont elles n’auraient pas la maitrise, comme lors de la grève des marins-pêcheurs en 1994 et leur passage ã Rennes. Un scenario susceptible de se répéter dans le contexte actuel breton si l’on a en tête les affrontements de Pont-de-Buis du 26 octobre, le ras-le-bol exprimé largement ã Quimper la semaine suivante ou le fait que les portiques écotaxes encore debout dans la région sont passés de 15… ã 9. Tout cela avait de quoi inquiéter les majorités PS et leurs alliés du Conseil régional, des Conseils généraux et de la mairie de Rennes. On comprend que les centrales syndicales aient fait un geste.

Qui évitaient soigneusement de poser la question de l’interdiction des licenciements…

Le gouvernement s’était empressé, après le 2 novembre, de rameuter les « partenaires sociaux » ã Rennes pour discuter du lancement de son « Plan d’avenir pour la Bretagne ». Les directions syndicales, qui sont accourues, se sont contentées de demander l’ajout d’un « volet social » ã ce plan d’aide au patronat. Elles ont donc également utilisé la manifestation du 23 pour relayer leur stratégie de « dialogue ». Alors que les plans sociaux sont encore sur la table, l’Intersyndicale exigeait seulement une rallonge de 15 millions au « Pacte d’avenir », le fameux « volet social », ne disant rien sur le contrôle de ces fonds qui, s’ils sont débloqués, iront directement dans les poches du patronat.Rien non plus sur l’interdiction des licenciements, que l’appel de l’Intersyndicale décrit comme « inévitables », alors que c’était précisément ce qui est ressorti des prises de position les plus radicalisés des ouvriers en lutte du secteur agroalimentaire ces dernières semaines.

De son côté, FO, dont l’appareil est fortement influencé par le POI dans plusieurs départements bretons et qui ne réclamait jusqu’à présent qu’une suspension des licenciements jusqu’en janvier, faisait partie de l’Intersyndicale dans un premier temps. Elle s’en est par la suite retirée, face à la faiblesse de l’appel. Au niveau départemental ã Rennes, FO était tout de même présente, ayant déclaré manifester non pas en soutien au gouvernement ã travers le Pacte d’Avenir (sous-entendu comme l’Intersyndicale) mais « uniquement contre les licenciements ».

Ce qui explique les raisons d’une mobilisation qui aurait pu être bien supérieure

Autant dire qu’une telle atomisation, à la fois géographique et des organisations de salariés, était donc loin de motiver quiconque. Ce que l’on a pu observer dans les manifs du 23, du coup, c’était plutôt la tactique du « un militant, un drapeau »… ce qui donne une mobilisation très colorée mais n’empêche pas les chômeurs et futurs chômeurs de broyer du noir.

Pas étonnant ã ce niveau que l’on ait pu compter sur les doigts d’une main les cortèges des ouvriers en lutte ou qui ont été en lutte ces dernières semaines. Aucun de chez Tilly-Sabco, Gad ou Marine Harvest. A Rennes seuls des ouvriers de Zeiss, Parker et PSA étaient présents. A Morlaix, un salarié de Tilly-Sabco déguisé en poulet était l’unique représentant des boites mobilisées.

L’objectif, pour les directions syndicales, était précisément de reprendre la main par rapport à la colère ouvrière et populaire et canaliser le tout vers une logique de « dialogue » qui a eu les conséquences catastrophiques que l’on sait avec l’Accord National Interprofessionnel au printemps et la réforme des retraites de cet automne. C’est cette logique qui a joué ã plein, et non celle de donner des perspectives de mobilisation pour répondre, du point de vue des salariés, des classes populaires et de la jeunesse, à la situation que vit la région.

Et les « Bonnets rouges » dans tout ça ? L’accord de Troadec dans le dos des travailleurs

Nous sommes déjà revenus, dans l’article tirant un premier bilan des affrontements et des mobilisations de Pont-de-Buis et Quimper [2], sur le Comité pour la défense de l’emploi en Bretagne mis sur pied ã Carhaix qui a notamment soutenu les salariés de Marine Harvest lors de leur grève. Christian Troadec, maire de gauche de Carhaix, avait alors passé un accord sur un coin de table avec Thierry Merret, président de la branche finistérienne de la FNSEA, le syndicat patronal des exploitants agricoles pour créer le collectif « Vivre, décider et travailler en Bretagne » a pris corps.

Prenant de court le comité déjà actif sur la question de l’emploi, l’accord Troadec-Merret a permis de faire passer en première ligne de la manifestation du 2 novembre ã Quimper la question de l’écotaxe au détriment de celle des licenciements. Les « bonnets rouges », « généreusement » distribués par le patron d’Armor Lux ã Pont-de-Buis, permettaient de donner une unité ã ce collectif interclassiste et aux objectifs politiques flous même si ce sont surtout les secteurs ouvriers, populaires et de la jenesse qui ont utilisé le symbole dans le Finistère pour dire leur colère sociale et politique.

C’est donc dans le dos des travailleurs et pour ses intérêts de boutique que Troadec, figure de proue du courant réformiste régionaliste Mouvement Bretagne et Progrès, maire de Carhaix et seul conseiller général de gauche ã se situer en dehors de la majorité PS-Verts-UdB qui siège ã Quimper, a donc conclu cet accord avec Merret . Il a aussi pu constater comment une telle orientation permettait à la droite bretonne de faire ses choux gras du mouvement et ã certains secteurs patronaux d’en tirer profit pour faire oublier leur responsabilité directe dans la vague de licenciements.

Aujourd’hui, l’application de l’écotaxe ayant été suspendue, Troadec assure à la radio que c’est ã nouveau le thème du maintien de l’emploi qui sera au cœur de la mobilisation appelée ã Carhaix le 30 novembre. Enième volte-face du personnage.

La Bretagne, c’est l’Hexagone… Imposer, contre le dialogue social avec le gouvernement, un mouvement d’ensemble !

La situation dans l’Ouest de la France et particulièrement dans le Finistère est assez symptomatique de l’explosivité de la situation sociale hexagonale mais aussi des premières difficultés des directions syndicales ã canaliser la colère comme elles l’ont fait au cours des luttes les plus importantes des deux dernières décennies. Ayant perdu la main pendant quelques semaines, elles essayent aujourd’hui de la récupérer en rejouant le jeu de la concertation que le gouvernement met en œuvre depuis son élection et qui mène les salariés dans l’impasse.

De plus, Hollande et Ayrault ont besoin de relancer le dialogue avec les syndicats pour épauler leur nouveau « grand chantier fiscal », destiné ã faire oublier tous les mauvais coups qui ont été distribués jusqu’à présent en essayant de mettre en place une concertation qui a au moins le grand mérite, à leurs yeux, de faire gagner du temps.

Il existe, en Bretagne, un écueil dédoublé par rapport ã ce qui se joue au niveau national. Plus spécifiquement, si nous voulons avancer contre le rouleau-compresseur des licenciements et de l’austérité, il faut que le mouvement ouvrier soit en capacité de s’imposer comme la force motrice des mobilisations, en parfaite indépendance des syndicats patronaux locaux, qu’il s’agisse de la FNSEA, du Medef et de la CGPME. C’est la condition pour proposer des perspectives pour l’ensemble de la population laborieuse, que les coups assénés par le gouvernement et la crise prennent à la gorge, que ce soit du côté des petits artisans, des patrons-pêcheurs, des petits commerçants et des paysans.

Plus généralement, en Bretagne comme ailleurs, il faut que les secteurs en lutte et ceux qui les appuient soient en mesure d’imposer dans les mobilisations un agenda radicalement alternatif ã celui de la concertation et du dialogue que prônent les directions syndicales et qui ne visent qu’à négocier les conditions dans lesquelles le Medef et le gouvernement veulent nous faire payer la crise.

Le patronat continue ã faire tomber ses plans sociaux et la situation de l’emploi est de plus en plus dure. Il suffit de songer la situation que vivent les salariés deFagorbrandt, La Redoute, Goodyear, Kem One, TNT Express, PSA, EADS, Michelin ou encore de Mory-Ducros, la plus grosse faillite depuis douze ans.Mais du côté des salariés, le ras-le-bol et la colère sont aussi là . Si l’on ne veut pas que cette situation fasse le lit du repli et de la résignation pour le monde du travail, voire pire, que les classes populaires et la jeunesse soit instrumentalisée par l’extrême-droite, alors il faut que l’extrême-gauche prenne se responsabilités et soit en capacité de proposer et de construire une politique de coordination des luttes, pour l’interdiction des licenciements, pour le partage du travail entre tous et la nationalisation sous contrôle des travailleurs des entreprises qui licencient, un programme que ni « la gauche de la gauche » et encore moins les directions syndicales ne veulent défendre.

 

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