Scandale. Après un procès émaillé d’irrégularités, la justice argentine vient de condamner à la perpétuité trois travailleurs du pétrole et quatre autres ã cinq ans de prison ferme. Les faits remontent ã 2006. A l’époque les ouvriers sont en grève et leur mouvement se transforme en un soulèvement populaire dans la petite ville de Las Heras, dans l’extrême Sud du pays, en Patagonie. Le 6 février 2006 au matin, les forces anti-émeute répriment durement les grévistes. Au cours des échauffourées qui s’ensuivent, un policier est tué. C’est pour la mort du flic que les grévistes ont été condamnés jeudi 12 décembre.
En 2006, l’Argentine est en pleine croissance économique, une croissance basée sur l’effort des travailleurs qui ont payé le gros de la crise économique de 2001. Le chômage est à la baisse mais les salaires sont généralement très bas, notamment au sein d’une couche de plus en plus nombreuse de travailleurs précarisés travaillant en intérim, en CDD ou directement au noir, sans contrat. Pour ce qui est des ouvriers du pétrole qui travaillent sur les champs d’extraction dans le Sud du pays, la paie est plus importante mais ils travaillent dans des conditions très difficiles, isolés, au beau milieu d’étendues désertes battues par le vent. Sur les campements ou dans les petites villes, tout coûte plus cher et les conditions climatiques en hiver font du coût du chauffage l’une des dépenses centrales pour les foyers. A leurs côtés, on retrouve également des travailleurs en intérim ou embauchés dans le cadre d’une convention collective bien moins favorable que celle du pétrole, généralement la convention du BTP, une façon pour les patrons de faire pression à la baisse sur les salaires.
La grève de février 2006 et l’explosion de colère ã Las Heras
Cette situation, favorable aux multinationales du pétrole est légalisée par l’État, défendue par la justice, le gouvernement, ses ministres et, comme si cela ne suffisait pas, par la bureaucratie syndicale.
C’est pour lutter pour des conditions de vie meilleures que la grève éclate, soutenue par la population de Las Heras. Le 5 février, à la suite de l’organisation d’un barrage routier, Mario Navarro, l’un des leaders de la mobilisation, est arrêté. Les grévistes et la population exigent sa libération immédiate et c’est ã ce moment-là que la grève se transforme en véritable soulèvement généralisé. C’est au cours d’affrontements entre grévistes, travailleurs et flics que Jorge Sayago est tué.
Les dix accusés, dont l’un était mineur au moment des faits et deux ont été acquittés par le tribunal, ont passé jusqu’à trois ans derrière les barreaux avant leur procès. Au cours de leur détention, ils ont été torturés, ce qui a été justifié par le procureur Ariel Candia Cortés qui n’a pas hésité ã affirmer que « parfois pour connaître la vérité il faut s’éloigner de la légalité ». En l’occurrence, la lumière n’a jamais été faite sur ce qui est advenu le matin du 6 février 2006 et le tribunal a été incapable de statuer sur les circonstances exactes de la mort du policier.
Une condamnation pour l’exemple
Cette condamnation arrive ã point nommé, au moment où prennent fin les mutineries de différentes forces provinciales de police pour des hausses de salaire. Le gouvernement de Cristina Kirchner, qui ne cesse de se dire « de gauche » tout en menant une politique de droite est en train d’accentuer sa politique de répression et antipopulaire. D’un côté, Kirchner essaye de fixer un plafond maximal aux augmentations qui pourraient se décider dans les discussions annuelles de branche obligatoires en Argentine [« paritarias »]. De l’autre, le gouvernement a fini par céder aux revendications des flics mutinés en leur accordant des augmentations conséquentes et alors même que l’on connaît les collusions de cette police mafieuse, qui réprime les travailleurs, avec les réseaux de trafic de drogue et de proxénétisme. Et le comble, bien entendu, c’est la sentence du tribunal de Caleta Olivia de condamnation ã perpétuité de trois anciens grévistes pour des faits qui n’ont jamais été élucidés. C’est cela la politique de Kirchner : l’impunité pour les flics, la prison ã perpétuité pour les travailleurs.
Sur place, devant le tribunal, une première manifestation a été organisée. Plusieurs délégations ouvrières se sont rendues sur place en solidarité mais la police n’a pas laissé entrer dans la salle d’audience les deux députés du Front de Gauche et des Travailleurs (FIT), Nicolás del Caño (PTS) et Néstor Pitrola (PO). « Pour le tribunal, il s’agit de faire un exemple pour empêcher que les travailleurs continuent à lutter pour ce qui leur est dû », a déclaré Pitrola en marge du procès. « Cette sentence marque une aggravation de l’acharnement judiciaire contre les travailleurs en lutte puisqu’il s’agit de la condamnation la plus lourde depuis 1983 [la fin de la dictature militaire]. Pour la comprendre, il faut bien entendu penser au climat actuel de chantage policier. C’est la brigade policière de Santa Cruz et les entreprises pétrolières qui demandaient une condamnation exemplaire », a rajouté Charly Pltaowsky, membre de la direction nationale du PTS et responsable syndical dans l’aéronautique.
Hugo González, Inocencio Cortés et José Rosales, condamnés ã perpétuité, ainsi que Darío Catrihuala, Juan Pablo Bilbao, Alexis Peres, Rubén Bach et Daniel et Néstor Aguilar, condamnés, eux, ã cinq années de réclusion, n’ont pas été incarcérés à l’issue du procès. L’avocate a annoncé qu’elle fera appel du jugement et l’ensemble des organisations présentes en solidarité avec les accusés se sont engagées ã tout mettre en œuvre pour obtenir leur acquittement. Ce sera une des revendications centrales de la manifestation de commémoration du soulèvement argentin de 2001, le 20 décembre, au même titre que la levée des poursuites qui pèsent sur plus de 5.000 militants politiques, syndicaux et populaires. Le combat pour la libération des 7 de Las Heras continue !
13/12/13
Pour aller plus loin : Un article de Christian Castillo
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