Dans le mouvement actuel de contestation en Ukraine, on peut voir des secteurs des classes populaires descendre dans la rue pour soutenir des projets politiques bourgeois comme l’intégration de l’Ukraine au sein de l’UE. Malheureusement ce n’est pas la première fois que les masses d’Ukraine, par manque d’une alternative politique qui défende réellement leurs intérêts, soutiennent des projets bourgeois. De ce point de vue, le cas le plus dramatique est celui des mineurs du Donbass, région la plus industrialisée du pays, majoritairement russophone.
Dans cette région, face à la dégradation de leurs conditions de vie, les mineurs avaient déclenché des grèves très importantes à la fin des années 1980 contre « Moscou ». Ils sont par la suite devenus l’un des piliers de la lutte pour l’indépendance de l’Ukraine, mais aussi de celle pour l’établissement d’un régime de démocratie bourgeoise et l’ouverture au marché capitaliste : « le premier et le deuxième congrès du syndicat des mineurs, tenus ã Donetsk en juin et octobre 1990, sont devenus des événements bien plus politiques que syndicaux. Les résolutions adoptées accusaient le Parti Communiste et le gouvernement central de bloquer la transition vers l’économie de marché et la démocratie » [1].
Pour autant, l’espoir porté par les mineurs derrière ces revendications n’étaient nullement les mêmes que celles des bureaucrates et de « l’intelligentsia » cherchant ã s’enrichir et devenir la nouvelle classe dominante au niveau national : « les objectifs des mineurs et des autres groupes d’opposition en Ukraine qui s’opposaient à l’Etat soviétique et à la ‘bureaucratie de Moscou’ étaient presque identiques. Cependant, cette similarité était basée sur des croyances différentes. (…) Lors du premier congrès du Rukh [principal groupe d’opposition bourgeois], la motion proposant de promouvoir ‘la démocratisation et l’extension de la glasnost’ a été appuyée par 75% des délégués ; 73% des délégués a défendu ‘le développement de la langue et de la culture ukrainiennes’, et seulement 46% a donné la priorité à la ‘résolution des problèmes économiques pressants’. Au contraire de l’intelligentsia, les travailleurs ont soutenu l’indépendance de l’Ukraine car ils pensaient que cela pourrait permettre d’améliorer leur situation matérielle » [2].
Au milieu des années 1990, les mineurs du Donbass constatant les effets désastreux de l’application des réformes pro-marché, se sont affrontés aux nouvelles autorités ukrainiennes. Mais malheureusement, une fois encore ils se sont associés ã des projets bourgeois « alternatifs », cette fois-ci celui des nouvelles « élites » régionales, en soutenant le Parti des Régions du président Ianoukovitch dans cette partie du pays. L’auteur de l’article cité ci-dessus résume ainsi en deux phases les luttes des mineurs : « [durant la première phase] les opportunités politiques créées par l’action commune des mineurs du Donbass et des intellectuels de Kiev ont été finalement saisies par l’ancienne nomenklatura et par les nouvelles élites. Pendant la seconde phase, le soutien apporté antérieurement par l’intelligentsia nationale avait disparu. Les managers, les groupes régionaux clientélistes, les élites affairistes et de larges segments de la population russophone locale sont devenus les nouveaux alliés des mineurs » [3]. Vers la fin des années 1990, les luttes des mineurs pour l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail avaient nettement diminué et une certaine démoralisation avait gagné les rangs des travailleurs. Cela pourrait expliquer, en partie, leur attitude de méfiance, voire de soutien au gouvernement, face au mouvement de contestation actuel.
Tirer les leçons tragiques de la période stalinienne ainsi que celles de la restauration capitaliste, est une question de vie ou de mort pour que le prolétariat d’Ukraine se présente comme une force indépendante et puisse imprimer un caractère progressiste aux événements ã venir.
10/2/2014.
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