Depuis plusieurs semaines, le Venezuela est agité par des manifestations massives contre le gouvernement de Nicolás Maduro. Le bilan pour l’heure, est de dix-huit morts, des blessés par dizaines et des centaines d’arrestations dans les rangs de l’opposition. Mais la situation est beaucoup plus complexe que ne le présente les médias internationaux : volonté putschiste d’une droite radicalisée, immixtion de l’impérialisme étasunien ; face ã ces deux éléments, on a aussi un gouvernement « de gauche » répressif qui recherche le soutien du patronat. Les écueils sont multiples pour le monde du travail, la jeunesse et les classes populaires du Venezuela.
Depuis le 2 février, une partie de l’opposition manifeste avec des cortèges d’étudiants contre le gouvernement de Nicolás Maduro. Les premières protestations n’ont regroupé que quelques dizaines d’activistes qui se sont radicalisé, essentiellement ã Caracas et dans les villes proches de la frontière colombienne. Le 12 février, le phénomène devient national et fat la une des médias internationaux à la suite de la mort d’un étudiant d’opposition, Basil da Costa, mais également d’un militant chaviste, Juan Montoya. Au fil des semaines, le bilan s’est alourdi, on compte aujourd’hui 14 morts.
Le gouvernement a d’emblée accusé l’opposition d’être à l’origine des violences pour promouvoir un coup d’Etat. Pourtant, le journal plutôt favorable au gouvernement, Últimas Noticias, a révélé que c’était des fonctionnaires du SEBIN, le service d’intelligence de l’Etat qui étaient à l’origine des premiers tirs mortels. Plusieurs de ces agents ont d’ailleurs été arrêtés depuis. Mais la question fondamentale est savoir comment des manifestations orchestrées par la droite ont pu grossir ã tel point, s’étendre à l’ensemble du pays et recruter au-delà du bassin traditionnel de l’opposition antichaviste la pus dure.
Une opposition réactionnaire
Certaines revendications défendues dans ces mobilisations sont légitimes : l’inflation a atteint plus de 56 % durant la seule année 2013, grevant ainsi le pouvoir d’achat des travailleurs vénézuéliens. La monnaie nationale a été dévaluée de 46,5 % en février 2013 et l’ajustement de celle-ci à l’égard des taux de change internationaux conduit ã une dépréciation encore plus élevée. Les pénuries atteignent en janvier 2014 un indice de 28 % (26,2 % pour le seul secteur alimentaire). Outre la situation économique, le niveau d’insécurité qui a toujours été important au Venezuela, déjà avant la première victoire de Chávez en 1998, suscite une inquiétude et un mécontentement qui déborde largement les classes moyennes urbaines.
Ceux qui se sont hissés à la tête de ces mobilisations sont néanmoins des ennemis mortels des classes populaires vénézuéliennes. Le motif initial de la mobilisation, « sortir » le gouvernement Maduro, dénote d’une franche volonté putschiste. Les leaders politiques que l’ont retrouve à la tête des mobilisations sont issus de la droite vénézuélienne la plus dure. Leopoldo López, ancien maire d’un des arrondissements les plus aisés de Caracas, dirigeant du parti de droite Voluntad Popular, est aujourd’hui incarcéré, accusé par le gouvernement d’être l’instigateur des violences. Son acolyte, la députée María Corina Machado, est la porte-parole de l’ONG Sumate dont le financement par des officines du gouvernement étasunien est avéré. Le caractère séditieux de ce groupe peut être mesurée à l’aune du comportement du général à la retraite Ángel Vivas, menacé d’être interpellé qui déclare aux journalistes présents ã son domicile, fusil à la main, qu’il se défendra contre les forces de l’ordre et appelle les manifestants ã se maintenir près de chez lui pour empêcher son arrestation.
Cette volonté putschiste affichée n’est le fait que d’un secteur de l’opposition. La Mesa de Unidad Democrática (MUD, Table ronde de l’Unité Démocratique, coalition rassemblant la plupart des partis d’opposition) n’est pas à l’origine de ces rassemblements. Le candidat de la MUD aux élections présidentielles contre Hugo Chávez en octobre 2012 et Nicolás Maduro en avril 2013, Henrique Capriles Radonski, appelle ã ne pas manifester et préfère attendre les prochaines échéances électorales pour espérer l’emporter légalement en profitant de l’impopularité de la politique économique du gouvernement.
Ce secteur, légaliste par opportunisme politique, n’en est pas moins putschiste « par essence ». En avril 2002, l’ensemble de l’opposition avait tenté de réaliser un coup d’Etat contre Hugo Chávez avec le soutien des Etats-Unis et des grands médias de communication. Le président de Fedecámaras, la principale organisation du patronat vénézuélien était même devenu durant 48 heures chef de l’Etat en poussant Hugo Chávez à l’exil avant que celui-ci ne soit rappelé par les classes populaires et des secteurs de l’armée. Henrique Capriles Radonski avait alors activement participé au coup de force et était parti à l’assaut de l’ambassade de Cuba. Aujourd’hui encore, Henrique Capriles Radonski demande la libération d’un ex-commissaire, Iván Simonovis, au rôle protagonique lors de ce coup d’Etat avorté.
Un gouvernement conciliant avec le patronat
Si l’opposition est résolument pro-patronale et pro-impérialiste, le gouvernement est responsable de la situation économique et politique catastrophique que connaît le Venezuela. Lorsqu’à l’automne dernier, les travailleurs de SIDOR, une entreprise sidérurgique publique, ont été en grève durant trois semaines pour le simple paiement de primes promises dans leur convention collective, le gouvernement a refusé de satisfaire leurs revendications, les a accusés de retarder les programmes sociaux en bloquant la production, a menacé de « militariser » le conflit et a accusé les travailleurs d’être manipulés, pêle-mêle, par des anarcho-syndicalistes, la droite vénézuélienne ou des diplomates étasuniens.
Plus récemment, ces dernières semaines, en pleine vague de manifestations de l’opposition, au lieu de mobiliser sa base sociale, le gouvernement a arrêté durant 48 heures une dizaine de militants syndicaux du secteur pétrolier qui protestaient contre le non-renouvellement des conventions collectives. Il y a deux semaines, en pleine polémique autour de la répression des manifestations étudiantes, l’UNT, la centrale syndicale chaviste critique, a été délogée des locaux qu’elle occupait depuis plus de dix ans. Ces épisodes de répression n’ont pas eu droit aux couvertures médiatiques dont Leopoldo López a bénéficié. Quelle que soit la latitude, un ouvrier est, aux yeux des grands médias, bien moins télégénique qu’un politicien réactionnaire. Plus généralement, on estime autour de 200 le nombre de dirigeants syndicaux poursuivis, d’une façon ou d’une autre, pour des faits liés ã des mouvements sociaux.
Les solutions proposées par le gouvernement de Nicolás Maduro sont l’exact opposé de ce qui pourrait relancer un processus politique d’émancipation dans l’impasse. Le président vénézuélien a lancé une Conférence Nationale de Paix à laquelle il a invité le secrétaire général de la MUD et Henrique Capriles Radonski. Tous deux ont décliné la proposition pour ne pas apparaître trop indulgent avec le gouvernement aux yeux de leur électorat. Pourtant on pouvait remarquer parmi les personnes présentes ã cette initiative le président de Fedecámaras, le PDG du conglomérat agro-alimentaire, Empresas Polar, ou encore les dirigeants de deux chaînes de télévision privées. Ces secteurs économiques puissants demeurent les réels maîtres du Venezuela. Entre 1998, date d’accession au pouvoir d’Hugo Chávez et 2008, la part du secteur public dans le PIB a diminué de 34,8 ã 29,1 % en contradiction totale avec les objectifs déclarés du gouvernement bolivarien [1]. Fedecámaras, autrefois putschiste, préfère aujourd’hui échanger sa prétention ã gouverner contre celle de réaliser des profits toujours plus énormes. Le gouvernement a accordé en mai dernier à l’entreprise Polar des exemptions de TVA contre la promesse d’approvisionnement. Les promesses n’engagent bien évidemment que ceux qui y croient. La présence de deux dirigeants de chaînes de télévision pourrait étonner. Ces deux canaux avaient participé activement au coup d’Etat d’avril 2002, appelant aux mobilisations de l’opposition, truquant les images pour susciter un climat favorable aux putschistes, imposant un black-out d’informations durant les manœuvres politiques pour écarter Hugo Chávez. En juin 2004, le président du conglomérat médiatique dont les deux chaînes font partie, un des plus puissants d’Amérique latine, Gustavo Cisneros, et Hugo Chávez avait scellé un pacte de non-agression. On est passés, avec Maduro, ã un niveau ultérieur de la conciliation de classe au nom du « Socialisme du XXIème siècle ».
Cette institutionnalisation du gouvernement chaviste mène le Venezuela dans une situation différente de celle d’avril 2002. Nicolás Maduro dispose du soutien fidèle de l’armée, d’un contrôle complet de l’entreprise pétrolière publique, PDVSA, qui gratifie l’Etat d’une juteuse rente pétrolière. Il est toutefois peu probable qu’une fraction substantielle de la population soit prête ã risquer sa vie, cette fois-ci, pour défendre le gouvernement. Ce dernier compense sa perte de popularité par son poids dans les institutions tandis-qu’une partie de l’opposition maintient ses objectifs putschistes sans avoir les moyens de sa politique, ce qui ne veut pas dire que le flot des manifestants qu’elle mobilise ne se tarisse.
Une voie étroite qui doit être indépendante de la droite revancharde et d’un gouvernement aux abois
Face ã ces dangers, la voie pour les travailleurs est étroite. Si certaines des revendications des manifestants sont légitimes, la volonté putschiste de leurs représentants politiques est celle d’une droite assoiffée de revanche sociale contre le gouvernement chaviste qui, ã ses yeux, a trop redistribué les richesses aux classes populaires. Le gouvernement de Nicolás Maduro est faible mais , sa stratégie hasardeuse ouvre la voie ã un retour de la droite au pouvoir. Les Etats-Unis profitent eux aussi de ces événements pour critiquer, selon les mots de Barack Obama, les « violences inacceptables ». La politique gouvernementale est cependant le principal pourvoyeur de vocations pour cette opposition, par son inefficacité économique et par la répression exercée. En poursuivant sa politique conciliatrice à l’égard du patronat, le gouvernement se coupe d’une potentielle mobilisation des classes populaires. Comme le défend la Ligue des Travailleurs Socialistes du Venezuela celles-ci ont plus que jamais tout intérêt ã s’organiser de manière indépendante, sans pour autant faire le jeu de l’opposition en cas de tentative de putsch, mais sans aucune complaisance vis-à-vis de toutes les compromissions du gouvernement vénézuélien et du chavisme avec la bourgeoisie.
28/02/14
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