La réforme du marché du travail de 2012, menée tambour battant par le gouvernement de droite du parti Populaire de Mariano Rajoy, a permis au patronat espagnol de mener une offensive en règle contre la classe ouvrière : chantage à la réduction des salaires, à la précarisation et à la flexibilisation sinon, c’est les licenciements. Ces attaques concernent non seulement des PME mais également des entreprises et des groupes emblématiques du tissu économique et industriel espagnol, à l’instar de Coca Cola, qui a déclaré vouloir fermer quatre usines sur l’ensemble du territoire, ou encore de Panrico-Donuts, leader espagnol de la boulangerie industrielle. Dans les deux cas néanmoins, le patronat fait face ã des résistances extrêmement dures. L’une des bagarres les plus déterminées est celle menée par les travailleurs et travailleuses Panrico de l’usine de Santa Perpetua de la Mogoda où sont employés 250 ouvrier-e-s. La grève, qui dure depuis cinq mois, s’est transformée en un emblème de lutte et de résistance dans tout le pays.
Depuis le début, zéro licenciement, zéro réduction de salaire !
Le patronat n’aurait jamais cru que les travailleuses et travailleurs de Panrico résisteraient aussi longtemps. Pas moins de 5 mois de grève. Depuis le début, ils et elles ont décidé d’affronter le PSE proposé par l’entreprise en se déclarant en grève illimitée et en s’organisant en AG. Ils avaient déjà appris la leçon en 2012. A cette époque ils étaient sur le point de commencer un mouvement contre les baisses de salaires de 25% que voulait imposer l’entreprise. Mais finalement la direction de Commissions Ouvrières, CCOO, l’une des deux confédérations syndicales espagnoles avec l’UGT, plus proche du PS, avait entravé la grève en faisant cause commune avec l’entreprise et à la Généralité de Catalogne qui gouverne cette région autonome de l’Etat espagnol. Au bout du compte, la compression salariale a bien eu lieu.
En septembre 2013 en revanche l’entreprise passe au niveau supérieur et annonce 2000 licenciements et une baisse de salaire allant de 30 ã 40% pour celles et ceux qui auraient « la chance » de rester. Pour augmenter la pression, le salaire du mois en cours n’est pas versé et Panrico menace de déposer le bilan. Face au chantage, les travailleurs de Santa Perpètua répondent par la grève. Leur mot d’ordre, « O,O », ã savoir « zéro licenciement, zéro réduction de salaire ! », présenté sous la forme de deux donuts, commence ã faire le tour du pays.
Face à la trahison de la bureaucratie syndicale, la grève se durcit
La première semaine de grève en octobre 2013 est marquée par la répression policière. Les Mosos de Esquadra, la police de la Généralité, ont pour ordre de laisser entrer les briseurs de grève et de permettre de vider le stock et les machines. Au cours de cette semaine difficile, la Fédération Agroalimentaire de CCOO fait tout son possible pour qu’aucune autre usine du groupe, qui en compte six dans tout l’Etat espagnol, ne rentre en grève. Pire encore, CCOO permet que la production et les heures supplémentaires des autres sites couvrent les ruptures de stock du marché catalan.
Malgré tout cela, les travailleurs de Santa Perpètua résistent. Dès le début, ils organisent une caisse de grève qu’ils font d’abord tourner sur les marchés, dans les facs et auprès d’autres boites en lutte en Catalogne. Ils montent par la suite des délégations de solidarité en direction d’autres entreprises en conflit dans la région ou en direction de mouvements sociaux, comme la PAH, qui défend les familles qui ne peuvent faire face à leurs traites et qui sont menacées d’expulsion.
Ce n’est qu’en novembre qu’arrive la trahison définitive de la bureaucratie syndicale. Au sein de la Commission de Négociation nationale chargée de discuter du PSE, tous les représentants de l’UGT et trois délégués de CCOO acceptent la proposition de Panrico prévoyant, au final, 745 licenciements dans les six usines du groupe et une réduction des salaires de 15% pour ceux qui réchappent aux suppressions.
A Santa Perpètua, la direction du syndicat et une partie de la section syndicale d’entreprise [« Comité de Empresa »] essayent de lever la grève, arguant du fait qu’elle pourrait être considérée comme illégale puisque un accord vient d’être signé. Les travailleurs et travailleuses sont évidemment plus convaincus que jamais qu’ils auront à lutter jusqu’au bout pour rejeter les licenciements et les baisses de salaire, d’autant plus que l’accord de novembre sanctionne tout particulièrement le positionnement combatif des grévistes de Santa Perpètua avec 154 licenciements pour le seul site catalan, un chiffre bien supérieur aux 30 initialement prévus.
C’est ã ce moment-là qu’un nouveau cap est franchi par la lutte, sur plusieurs fronts. Les grévistes mettent en place des piquets mobiles pour bloquer l’acheminement par route et par voie maritime de produits Panrico en provenance des autres usines. Ils ne cantonnent pas néanmoins le conflit à l’usine. Ils continuent ã aller vers d’autres entreprises pour populariser le conflit. C’est ainsi qu’ils se rendent aux portes d’autres boites en lutte comme Coca-Cola ou Alstom, en multipliant les réunions publiques, en organisant des marchés solidaires et des manifestations.
C’est ainsi que né l’idée d’organiser la première Rencontre des entreprises en lutte et de solidarité avec Panrico ainsi que celle de parcourir le pays pour rentrer en contact avec d’autres entreprises en lutte comme Tenneco->http://clasecontraclase.org/La-luch...], dans les Asturies ou Coca-Cola Fuenlabrada.
Solidaires de la grève : « nous sommes tou-te-s des Panrico ! »
Parallèlement, un Groupe de soutien à la lutte de Panrico se met en place. Constitué par différentes associations de quartiers, mouvements sociaux et organisations politiques et syndicales, il permet de se faire le relais du combat des Panrico. Les travailleurs et travailleuses ont ainsi réussi ã créer autour d’eux un grand mouvement d’appui et de sympathie qui s’est matérialisé lors de la manifestation du 7 février ã Sabadell et qui a permis d’organiser la mobilisation du premier mars ã Barcelone. Les Panrico se sont également mobilisé aux côtés d’autres mouvements en participant notamment aux manifestations contre la réforme Gallardón de l’IVG, tissant ainsi un lien étroit avec d’autres secteurs en lutte. Le mouvement de soutien et d’appui est particulièrement fort dans la zone du Vallès où la devise « nous sommes tou-te-s des Panrico ! » est particulièrement prégnante.
Les oscillations de la direction de CCOO qui tente d’isoler le conflit
Tout ceci n’a pas empêché la direction de CCOO d’adopter une orientation qui est loin d’être à la hauteur des enjeux du conflit. Le mouvement de sympathie reçue, la caisse de grève qui a permis de collecter plus de 60.000€, la baisse des ventes de Panrico en Catalogne, tout ceci est ã mettre au crédit de la lutte des travailleurs eux-mêmes qui n’ont pas pu compter sur l’appui du syndicat. Après l’échec de ses manœuvres pour lever la grève en signant un accord ã Madrid, le syndicat mise maintenant sur l’épuisement de cette lutte emblématique. Comment expliquer, sinon, que CCOO n’ait strictement rien fait pour renforcer la caisse de grève, impulser des actions de solidarité en direction d’autres entreprises de Vallès ou du secteur de l’alimentation ou organiser la coordination avec le reste des entreprises en lutte et où CCOO joue un rôle dirigeant ?
La réalité, c’est que la lutte des Panrico de Santa Perpètua bat en brèche le discours que relaie la direction de CCOO selon laquelle il n’y aurait pas grand-chose ã faire face aux licenciements. C’est ce qui sous-tend la politique de CCOO consistant ã faire valider des PSE et des accords anti-sociaux sans même organiser la moindre résistance. Le programme avec lequel se battent les Panrico, le fameux « 0,0 ! », met ã mal cette logique consistant ã faire accepter les licenciements en échange d’indemnités de départ ou, à l’inverse, consistant ã négocier une réduction des licenciements avec en contrepartie des baisses de salaire chez ceux qui restent. La lutte des Panrico est également un exemple d’auto-organisation, avec une AG qui décide de l’orientation de la lutte, la section syndicale d’entreprise [« Comité de empresa »] et les dirigeants syndicaux étant contrôlés par l’AG. Depuis le début, c’est l’AG des grévistes qui a impulsé le mouvement, a empêché que la grève ne soit levée et ã imposer l’idée, que pour obtenir le « 0,0 », il faut continuer la lutte, l’étendre et essayer de la lier ã d’autres secteurs ouvriers et populaires. De même, au cours des dernières semaines, les travailleurs ont réussi ã imposer que soient tenues des AG hebdomadaires pour discuter des perspectives de la grève et que les militants solidaires soient également partie-prenante des réunions de la section syndicale d’entreprise.
C’est tout ceci qui explique l’opposition croissante des ouvriers, majoritairement encartés ã CCOO, vis-à-vis de leur direction syndicale. C’est la crainte que ces critiques puissent s’étendre et trouver un écho chez d’autres secteurs mécontents de la base qui a forcé la direction ã revoir son attitude vis-à-vis de la grève. Néanmoins, il est indispensable de continuer ã exiger de CCOO que ses prises de position se traduisent concrètement, dans la pratique.
La Généralité continue ã faire cause commune avec Panrico
Le Gouvernement de la Généralité, contrôlé par la droite indépendantiste d’Artur Mas, continue ã jouer un double-jeu. D’un côté la Généralité se présente comme un médiateur attaché à la pérennité de l’entreprise et au tissu industriel catalan, mais dans la pratique tout ce qui a été mis en œuvre sert les intérêts de la direction de Panrico. Il y a d’abord eu la mise ã disposition des Mossos de Esquadra pour réprimer les grévistes. La Généralité a par la suite rejeté le rapport de l’Inspection du travail qui déclarait qu’en convoyant en Catalogne des produits d’autres usines, Panrico violait le droit de grève. La Généralité s’est contentée d’exiger une amende de 6.200€ à la direction du groupe.
Artur Mas parle de défense des intérêts de la Catalogne mais sa fidélité de classe l’amène ã être le laquais d’une entreprise possédée par un Fonds d’investissement dirigé par un requin sans scrupule comme Carlos Gila. Il faut dénoncer ce double discours, faire payer à la Généralité son rôle dans le conflit et la forcer ã prendre des mesures, ã commencer par sanctionner comme il se doit chaque camion utilisé par l’entreprise en Catalogne pour briser la grève.
Un conflit qui peut et qui mérite de triompher
Plusieurs fronts sont ouverts. Sur le plan judicaire, le 13 février devait avoir lieu le procès sur le caractère légal ou non de la grève : tout porte ã croire qu’il aurait pu être favorable aux travailleurs mais il a finalement été repoussé a une date ultérieure. C’est le 20 mars, à l’Audience Nationale, la plus haute instance judiciaire espagnole, que sera rendu le jugement autour de la validité du PSE, en dépit de toutes les démarches faites par l’entreprise et la Généralité pour faire retirer la plainte déposée par les travailleurs.
La clé du conflit se joue néanmoins sur le terrain de la lutte. L’enjeu est de rester mobilisé et de réfléchir ã comment renforcer la grève. La devise « nous sommes tou-te-s des Panrico » doit être repris par tous ceux qui font face ã des attaques similaires dans d’autres entreprises et qui revendiquent que ce n’est pas aux travailleurs et aux classes populaires de payer cette crise.
D’un côté, il faut continuer ã alimenter la caisse de grève avec des actions et des collectes parmi travailleurs et les secteurs en lutte, en exigeant de tous les syndicats et partis qu’ils fassent également des apports significatifs. De l’autre, il est important de continuer ã renforcer le courant de soutien ã Panrico, pour que la grève reste forte et qu’elle pousse les directions de CCOO ã prendre des mesures efficaces de soutien à la lutte, comme une grève de solidarité dans le secteur de l’alimentation ou dans le Vallès.
De cette manière, la lutte de Panrico pourrait non seulement être victorieuse mais également se transformer en un pôle de coordination pour les autres luttes en cours, en Catalogne comme dans le reste de l’Etat espagnol. La solidarité et les actions communes qui existent déjà entre Panrico et Coca-Cola Fuenlabrada sont un grand pas dans cette direction. Nous avons toutes et tous ã gagner que les Panrico remportent une victoire !
24/02/13
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