Dimanche 25 mai dernier a eu lieu une triple élection en Grèce (européennes, municipales et régionales). Celles-ci impliquaient des enjeux politiques importants concernant notamment le futur du gouvernement Nouvelle Démocratie-PASOK. Avec près de 27% des voix, Syriza arrive en tête pour la première fois dans une élection nationale et gagne clairement les européennes (ND ne recueille que 23% des voix) [1]. Cependant, cette victoire fêtée et mise en avant par plusieurs courants politiques, y compris d’extrême-gauche, au niveau international doit être relativisée. En effet, bien que la formation dirigée par Alexis Tsipras réussi ã gagner la région d’Attique, la plus peuplée du pays, les partis de la coalition au pouvoir gagnent 9 des 13 régions grecques [2]. Sur le plan des municipalités, Syriza a été incapable de gagner au moins une des grandes villes du pays (Athènes et Thessalonique étant acquises par des candidats dits « indépendants » mais soutenus par le gouvernement).
Le gouvernement survit malgré la défaite
Tsipras et la direction de Syriza avaient fait de cette triple échéance électorale un véritable référendum pour le gouvernement : si la victoire de Syriza sur les partis de la coalition était assez importante ils s’arrogeraient le droit d’exiger des élections anticipées et prétendre arriver ã diriger le pays. Mais rien de cela n’a eu lieu. En effet, sans vouloir minimiser l’évènement important que constitue la première victoire de Syriza dans une élection nationale et le fait que pour la première fois dans l’histoire la région de l’Attique sera dirigée par un parti de gauche, les résultats électoraux n’ont pas été à la hauteur des ambitions de cette formation. C’est pour cela que le journal conservateur Kathimerini affirme que « si Syriza avait réussi ã gagner la plus grande région du pays et sa capitale [Athènes], cela aurait eu un plus grand impact. Maintenant, sans augmenter son pourcentage de voix au niveau national, Syriza ne peut pas exiger que le résultat bouleverse l’ordre politique » [3]
Ainsi, le gouvernement limite la casse. La défaite a été moins importante que prévu. Certes, il a dû procéder ã un remaniement ministériel, mais l’essentiel est qu’il a survécu. Les résultats révèlent une « stabilisation » (certes très précaire) d’une base électorale du gouvernement qui désire en quelque sorte la fin des « bouleversements » politiques, économiques et sociaux. Ce sentiment est alimenté par la propagande gouvernementale qui, en mettant en avant quelques chiffres macroéconomiques relativement positifs, essaye de démontrer que la Grèce se trouve « sur le bon chemin ». Evidemment, ces discours sont en complète contradiction avec la réalité des classes populaires. En effet, 35% de la population ne peut pas subvenir ã ses besoins et le taux de chômage officiel est de près de 27% (57% parmi les jeunes) et les perspectives ne semblent pas aller dans le sens d’une diminution de celui-ci.
Quoi qu’il en soit, les marchés ont très bien su interpréter les résultats électoraux par rapport à leurs intérêts. Ainsi, « les résultats semblent avoir donné aux marchés un sentiment de stabilité politique (…) Cela parce que Syriza a été incapable de capitaliser le mécontentement populaire et n’a pas progressé dans le pourcentage de voix depuis les élections de 2012 » [4].
Tsipras l’ami des patrons ?
« Il y a deux conditions pour attirer les investisseurs : qu’ils se sentent en sécurité ã propos de la zone euro et des perspectives de l’économie grecque et qu’ils voient de sérieux investissements publics ». Cette phrase n’a été prononcée par aucun ministre du gouvernement grec mais par Alexis Tsipras lui-même. En effet, dans les jours qui ont suivi les élections Tsipras a multiplié les déclarations ã caractère « amical » à l’égard du patronat, prenant la pose d’un « homme d’Etat », d’un « possible et crédible » premier ministre œuvrant « pour le bien de la nation toute entière ».
Il est loin le Tsipras qui faisait semblant d’être « radical » sur la forme, tout en restant très modéré sur le fond. On avait noté depuis longtemps un virage progressif ã droite, un recentrage du discours et même du programme déjà très réformiste et timoré de Syriza. En effet, cette stratégie de « radicalité verbale » a marché un moment « mais pour que Tsipras et Syriza puissent aller plus loin, il est en train de se positionner comme étant plus ouvert au monde des affaires et ã travailler avec les investisseurs et l’industrie pour retrouver la croissance qu’il croit fondamentale pour la récupération du pays et pour prendre la place du premier ministre Antonis Samaras (…) lors des prochaines élections. (…) Le nouveau Tsipras parle maintenant d’attirer des capitaux pour relancer l’économie, en s’engageant ã maintenir un régime fiscal stable pour les entreprises et en proposant de coopérer avec les partis de la gauche traditionnelle européenne » [5]. Ni plus ni moins.
Cette attitude s’inscrit tout droit dans la stratégie politique défendue par cette formation depuis le début : l’adaptation toujours plus grande au cadre légal bourgeois, y compris dans les moments où le régime se trouve le plus remis en question. Aujourd’hui la direction de Syriza veut mener cette logique jusqu’au bout et dévoile ouvertement son projet de conciliation de classes. Elle essaye de prendre la pose de « parti responsable » capable de gouverner. Or, dans l’état actuel des choses Syriza serait incapable de gouverner vraiment tout seul, il lui faut des alliés. Et d’après les déclarations de ses représentants on voit que c’est du côté du « centre politique » que l’on cherche ces dits « alliés ».
Pour un parti résolument du côté du prolétariat et des masses opprimées et pour la révolution !
On ne cesse de le répéter : la Grèce est un laboratoire politique, économique et social en temps de crise. Et cela non seulement pour la bourgeoisie. Les exploités et opprimés de toute l’Europe doivent tirer des leçons de la situation grecque. Il y en a encore pour nous berser des douces illusions sur l’importance de soutenir Syriza pour développer les luttes, y compris au sein de l’extrême-gauche. Or, depuis l’explosion du phénomène électoral Syriza, c’est tout le contraire que l’on a vu : Tsipras et sa formation ne sont nullement un instrument des luttes. Bien au contraire, Syriza est en train de dégénérer en « parti gestionnaire » ã une vitesse vertigineuse.
Mais le problème pour les masses de Grèce c’est qu’après des mois de résistance héroïque aux attaques des gouvernements locaux et de la Troïka, le niveau de lutte se trouve actuellement très en-deçà de ce qu’exige la situation. Les bureaucraties syndicales avec leur stratégie d’usure en sont sans doute les principales responsables. Mais les directions des partis et regroupements réformistes ont aussi leur part de responsabilité. Les uns en divisant le mouvement ouvrier dans un délire autoproclamatoire, comme c’est le cas du KKE ; les autres en semant des illusions sur la possibilité de pouvoir renverser la situation désastreuse des masses en restant dans le cadre de la démocratie bourgeoise, ses lois, etc. C’est le cas notamment de Syriza qui aujourd’hui flirte avec le patronat grec et les dirigeants impérialistes – ce qui est la meilleure façon de préparer le terrain pour la progression des courants néofascistes comme Aube Dorée lequel se pose en « victime du régime » et seul parti véritablement en mesure de le contester.
Pour résoudre ce dilemme dans lequel se trouvent les masses il faut que les travailleurs se dotent d’un parti qui soit résolument du côté des exploités, luttant pour l’indépendance de classe, contre le capitalisme et offrant la perspective d’une société débarrassée de l’oppression et de l’exploitation. Une telle société ne pourrait pas avoir lieu dans le cadre restreint des frontières nationales. C’est pourquoi ce parti s’inscrirait dans la lutte révolutionnaire pour la perspective des Etats Unis Socialistes d’Europe. C’est pour cet objectif stratégique que nous nous battonsaussi !
5/6/2014.
|