Ce vendredi 20 juin ã Bercy, Arnaud Montebourg annonçait grandiloquent « la position du gouvernement de la République dans le dossier Alstom ». L’Etat aurait finalement eu le dernier mot dans l’affaire Alstom : il décide d’entrer ã 20% dans le capital d’Alstom et accorde sa préférence à l’offre de General Electric (GE) au détriment de l’alliance Siemens-Mitsubishi. Montebourg aurait donc eu le dernier mot d’un feuilleton de près de deux mois d’intrigues et de manigances entre deux protagonistes capitalistes pour obtenir la peau d’un autre, Alstom dont Bouygues, principal actionnaire, veux revendre les parts. Derrière ces effets d’annonces, la réalité est tout autre… et les résultats de ce rachat seront tout autres pour les travailleurs !
Les détails d’un accord « Gagnant / Perdant » : Gagnant pour la bourgeoisie et Perdantpour les travailleurs !
Patrick Kron s’est exprimé sur Europe 1 pour expliquer que « Tout le monde y trouve son compte » que ce soit « General Electric, Alstom et le gouvernement dont les préoccupations ont été prises en compte ». Le PDG d’Alstom synthétise clairement la position de la bourgeoisie, ce « deal » comme on l’appelle dans le monde des affaires permet de contenter l’ensemble des acteurs bourgeois du feuilleton : Entre le conglomérat capitaliste industriel General Electric qui souhaite avaler un de ses concurrents dans l’énergie au meilleur prix, le dirigeant d’Alstom qui prépare sa reconversion dans les meilleures conditions, l’Etat qui fait mine d’arbitrer un conflit entre capitalistes pour protéger son joyau industriel de l’énergie et Bouygues qui veut vendre ses parts dans Alstom au plus offrant.
Il reste que dans la réalité et contrairement ã ce qu’exprime le gouvernement, General Electric achètera bien l’ensemble de la branche Energie d’Alstom pour 12,35 milliards d’euros comme prévu. Alstom devra ensuite réinvestir 2,5 milliards du résultat de la vente dans trois coentreprises détenues ã « parité » avec GE dans les turbines ã vapeur (qui équipent les réacteurs des centrales nucléaires d’EDF), réseaux et énergies renouvelables. Cette parité est toute relative car ces coentreprises seront contrôlées par GE et n’apparaitront même pas dans les comptes d’Alstom. L’accord prévoit pour Alstom des possibilités de sortie de ces coentreprises via par exemple des introductions en Bourse. Autant dire que sur le long terme, Alstom se concentrant sur le transport (en rachetant la branche de signalisation ferroviaire de GE) aura tout intérêt ã vendre chèrement ses parts ã General Electric.
Ce rachat d’Alstom par GE est le rachat d’un capitaliste par un autre, cette perspective ne peut en aucun cas nous être profitable, il signera le retour d’un vocable bien connu des travailleurs : « synergie », de « restructuration des activités » ou encore « d’efficience » et « économie d’échelle ». La prise de participation de l’Etat ne peut elle aussi en aucun cas être prise pour un sauvetage ! Il suffit d’évoquer l’exemple récent de la nationalisation partielle de PSA qui n’a pas pour autant stoppé l’ANI, ni encore les plans séniors, les suppressions de postes et les restructurations.
L’« indépendance énergétique » : un intérêt de la France impérialiste et de la bourgeoisie française !
L’enjeu que met en avant principalement le gouvernement dans cette affaire concerne l’indépendance énergétique de la France. Montebourg l’exprime de cette façon : « Il en va de la souveraineté. Nous avons demandé ã General Electric de laisser en France ce qui nous permet de garder notre indépendance énergétique. » Ainsi dans l’accord conclu avec GE, la coentreprise sur les activités nucléaires (turbines ã vapeur), permettrait à l’Etat français de disposer d’une action préférentielle lui accordant des droits de veto ainsi que des droits de gouvernance. C’est cet accord spécifique qui garantirait selon Montebourg « l’indépendance énergétique de la France » et « la souveraineté française sur le nucléaire ». Que de grands mots pour le gouvernement qui crie victoire, il aurait assuré la sécurité d’approvisionnement en turbine ã vapeur pour les 58 réacteurs nucléaires d’EDF, centrale nucléaire qu’il faut bien sûr équiper de turbines (moyen de production) mais aussi alimenter en matière première l’uranium. En suivant cette logique, il faudrait donc aussi « sécuriser » les approvisionnements en uranium ! François Hollande, chef d’Etat de la France impérialiste, y a déjà pensé en lançant fin 2013 l’opération militaire « Sangaris » en Centrafrique pour « éviter un génocide entre chrétiens et musulmans » [1] ou encore l’intervention Française au Nord Mali début 2013 pour « la lutte contre le terrorisme » et la protection d’un « pays ami » [2].
D’un autre côté, c’est cette même production d’Energie qu’il ne cesse de privatiser et de libéraliser avec comme pour la réforme du ferroviaire la séparation entre production et réseau. EDF (détenue ã 85% par l’Etat) organise en ce moment même des plans d’économies qui atteignent 3,5 milliards d’ici ã 2015 visant ã augmenter les cadences, baisser les coûts, externaliser et précariser la maintenance des centrales nucléaires et en augmenter la durée de vie au-delà du raisonnable ; tout cela au détriment de la sécurité de ces centrales nucléaires, pour les travailleurs qui y travaillent directement et pour les usagers qui risquent une catastrophe de type « Tepco » au Japon.
Sous couvert de défendre l’intérêt des Français et de la France ã travers le mot d’ordre d’« indépendance énergétique », le gouvernement défend tout d’abord les intérêts de la bourgeoisie française et de la France impérialiste qui espère, en cas de guerre, garantir son indépendance énergétique et est même prête ã intervenir militairement dans tout pays qui pourrait nuire ã cette indépendance ! La « sécurité énergétique » pour les travailleurs, c’est l’organisation et le contrôle par les travailleurs eux-mêmes des moyens de la production énergétique.
Du côté des confédérations syndicales : du syndicat jaune à la revendication de nationalisation avec indemnité et rachatcomme en 2004 !
Du côté des « partenaires sociaux » avec lesquelles le gouvernement a négocié les attaques contre les travailleurs avec l’ANI, la contre-réforme des retraites, le pacte de responsabilité, le budget de l’Etat, la majorité des syndicats se positionnaient contre l’achat par un autre groupe capitaliste étranger mais revendiquaient la nationalisation.
La CFE-CGC nous expliquait que « la pire des solutions serait celle de Siemens parce que c’est un concurrent et que, de fait, il y aurait des doublons ». La solution du moins pire, on connait déjà , donner la préférence ã un capitaliste ou un autre donne le même résultat pour les travailleurs : synergie, licenciement, autant dire que la CFE-CGC est un syndicat jaune !
Pour la CGT, Thierry Lepaon estimait que « l’État français doit prendre ses responsabilités en entrant majoritairement dans le capital de l’entreprise ». De même pour Laurent Berger, numéro un de la CFDT, qui évoquait « une nationalisation » mais temporaire cette fois-ci ! Et cela pour garantir « emplois et indépendance technologique de la France ». Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, affirmait lui ne pas être « effarouché par la nationalisation, y compris si elle doit avoir un caractère temporaire ».
L’histoire récente d’Alstom a pourtant démontré que la nationalisation par Sarkozy en 2004 n’a rien arrangé pour les travailleurs mis ã part arranger les affaires des actionnaireset de la famille Bouygues. Elle n’est qu’une fuite en avant, celle-ci est même déjà intégrée par la CFDT et FO, assortissant le caractère « temporaire » de la nationalisation à leurs revendications. Temporaire, le temps que les affaires aillent mieux, pour ensuite revendre ã un capitaliste français qui veuille bien d’Alstom. Tandis que les bureaucraties syndicales chantent en chœur l’hymne français de la nationalisation, nous nous devons de combattre cette fausse solution qui n’arrange que la bourgeoisie !
La nécessité d’affirmer nos intérêts qui sont contraires ã ceux de la bourgeoisie !
Pour les capitalistes industrieux Kron, GE, Siemens et compagnie, la concurrence serait une loi « naturelle » que les travailleurs seraient incapables de comprendre et qu’elle seule, très consciente de ses intérêts, aurait comprise ! Le profit naissant de l’exploitation des travailleurs est une loi tout aussi « naturelle » qui n’est pas, elle, criée sur tous les toits ! Le gouvernement, très affaibli, veut quant à lui, redorer son blason et clame haut et fort avoir sauvé l’indépendance énergétique de la France, le savoir-faire français ou encore avoir choisi la meilleure solution pour l’emploiétant donné la complémentarité des deux entreprises ! Bouygues, le « méchant » actionnaire, qui rêve de vendre Alstom depuis fin 2012, prêche pour sa paroisse : il faut négocier sec pour rentabiliser son investissement dans Alstom mais ne pas se fâcher avec l’Etat et avoir droit ã un « retour d’ascenseur » dans d’autres affaires en cours (gratuité de LCI, rachat de Bouygues Telecom par Free et Orange dont l’état est actionnaire).
On dirait presque que du point de vue dominant, celui de la bourgeoisie, la fameuse « loi de la main invisible » a encore frappé ! Le marché libre capitaliste aurait permis à l’ensemble des intérêts particuliers de contribuer à la richesse et au bien-être de tous. Les intérêts particuliers des capitalistes General Electric et Alstom sont sains et saufs, ils ont obtenu ce qu’ils souhaitaient déjà avant que l’affaire n’éclate devant les médias, les intérêts financiers de l’actionnaire Bouygues sont intacts : Bouygues n’a pas cédé sur le prix de vente de ses actions Alstom à l’Etat. L’Etat a fait mine de coordonner une affaire de fusion acquisition qu’il ne maîtrise plus pour éviter qu’un fleuron de l’industrie capitaliste français ne soit avalé par un capitaliste américain. Il a permis d’assurer qu’aucun des acteurs bourgeois français ne soit lésé et tenté de retrouver son rôle de « régulateur » de l’économie capitaliste en France, il a donc défendu les intérêts particuliers de la France impérialiste et de la bourgeoisie française ! Du côté des travailleurs, les syndicats, censés défendre les intérêts particuliers des travailleurs, ont chanté en chœur la nationalisation temporaire d’Alstom comme Sarkozy et Guéant l’ont demandé. Il y a de quoi se poser des questions lorsque les « partenaires sociaux » défendent les mêmes positions que la droite réactionnaire !
Face aux revendications sans cesse plus droitières des syndicats, nous nous devons de revendiquer nos intérêts : l’expropriation sans indemnité ni rachat des actionnaires et la nationalisation sous contrôle des travailleurs eux-mêmes. Bien que le rapprochement soit acté par nos adversaires (la bourgeoisie dans son ensemble, le gouvernement et les capitalistes particuliers) sur leur terrain de prédilection, celui de la finance et des conseils d’administration, nous nous devons de nous préparer et de lutter sur notre terrain celui de la lutte de classe contre l’application concrète de ce rachat entreprise par entreprise aussi bien en France qui représente un cinquième des employés que dans les autres pays où est implanté Alstom. La branche Transport d’Alstom n’est pas en restecar elle subit déjà 1480 suppressions de postes annoncées en novembre dernier. Quant à la branche Energie, il est clair qu’elle va subir ce rachat de plein fouet avec par exemple les travailleurs du site de Belfort en France qui partagent tous les jours la même cantine que les salariés de GE dont l’usine jouxte celle d’Alstom. Les travailleurs de GE seront eux aussi en première ligne et subiront les mêmes attaques contre leurs conditions de travail que les travailleurs d’Alstom, il n’y a pas de barrières d’entreprise qui tiennent mais l’intérêt de l’ensemble des travailleurs exploités par des capitalistes particuliers qui partagent une claire vision des intérêts de leur classe lorsqu’il faut faire payer aux travailleurs les crises du mode de production capitaliste avec pour soutien un allié et un instrument de poids, l’Etat bourgeois.
1/6/2014.
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