Nous reproduisons ci-dessous l’éditorial de Christian Castillo, député de la province de Buenos Aires, paru jeudi 10 juillet dans La verdad obrera N° 577, le journal du PTS. Nous avons récemment écrit sur la lutte de Lear, lutte à laquelle il fait référence. D’autres articles ont également été écrits tout au long de l’année pour expliquer la situation dans le pays et de la lutte des classes telle qu’elle s’y manifeste [1].
Cette semaine, dans la rue ou au boulot, on ne peut pas nous empêcher de discuter du fait que la sélection argentine soit en finale de la Coupe du Monde. Le foot, un sport regardé par des millions de personnes, est mercantilisé par la société capitaliste, de même que tant d’autres spectacles. Et, comme avec toute passion populaire, les gouvernements ont toujours essayé de l’utiliser au service de « l’unité nationale » où on efface la distinction entre exploiteurs et exploités. La dictature en 78 a utilisé l’esprit "national" du mondial, Alfonsin a voulu faire la même chose en 86. Aujourd’hui le gouvernement kirchneriste a l’espoir d’un succès sportif qui pourrait cacher la crise à laquelle il doit faire face ainsi que l’austérité qu’il a choisi comme réponse ã cette dernière.
Ainsi, pendant que la propagande gouvernementale veut nous faire croire qu’ils « portent le maillot [argentin] », le vice-président, corrompu et libéral, Amado Boudou, est le principal orateur dans le meeting de Tucuman en commémoration de l’indépendance ; le ministre de l’économie, Axel Kicillof part et repart ã New York pour jurer qu’il va payer chaque centime de la dette frauduleuse et illégitime. En même temps, le gouvernement envoie les gendarmes en tant que « ligne défensive » pour réprimer les travailleurs de Lear qui luttent contre les licenciements orchestrés par les patrons voyous américains.
Le gouvernement est du côté des patrons voyous impérialistes
On a beaucoup ã apprendre de la lutte de Lear. Ceci est non seulement vrai pour ces travailleurs, mais aussi pour les milliers qui ont pu suivre le conflit ces derniers jours à la télé. La journée nationale de lutte du mardi 8 a montré un Front Uni des travailleurs en lutte avec des courants de l’extrême gauche, qui se sont mobilisés contre les licenciements. Le blocage de l’autoroute Panaméricaine, le Pont Pueyrredón, ã Rosario, Tucumán, Mendoza, Jujuy, Bahía Blanca et Córdoba, à l’angle de Callao y Corrientes (Buenos Aires), ont brisé le huis-clos médiatique sur une énorme lutte qui dure depuis quelques semaines. Des Commissions Internes (syndicats de boîte) combatives, des activistes de dizaines d’usines, des militants et des étudiants se sont unis en soutien aux ouvriers licenciés. Cette solidarité montre ã quel point Lear est devenu symbolique. D’un côté, cela montre le comportement des patrons voyous, dans ce cas celui d’une entreprise américaine, qui licencie et met au chômage technique plus de 100 travailleurs et qui, en plus, interdit aux délégués syndicaux l’accès à l’usine. D’un autre côté, cette lutte montre la complicité du Ministère du Travail, qui lui permet d’agir en dehors de la légalité. C’est la confirmation, au cas où quelqu’un gardait des doutes, du rôle traître de la bureaucratie syndicale du SMATA, un soldat au service des multinationales.
De plus, Lear est symbolique parce qu’elle montre le vrai visage de la politique du gouvernement. Ce mardi 8, face aux revendications des travailleurs (rien d’autre que la réincorporation des travailleurs licenciés et l’arrêt par la direction de ses mesures illégales), le gouvernement a décidé de porter « le maillot des multinationales ». Commandés par l’ancien militaire Sergio Berni (aujourd’hui ministre de la « sécurité »), des centaines de gendarmes, des canons ã eau et des chiens ont chargé contre des femmes et des travailleurs. D’abord ils ont frappé nos camarades Charly Platkowski et Victoria Moyano, filles de militants disparus pendant la dictature, et après ont lancé la chasse aux travailleurs et aux organisations qui participaient à la mobilisation. Des dizaines ont reçu des coups, plusieurs ont fini à l’hôpital et cinq camarades ont été arrêtés.
Contre l’extrême gauche et les travailleurs
Le kirchnerisme perd ã chaque fois son masque. Les « défenseurs de l’emploi », ceux qui « n’allaient jamais réprimer le mouvement social », « le gouvernement des droits de l’homme », « les défenseurs des intérêts nationaux et populaires » sont de fiers gendarmes des patrons voyous. La réalité a brisé le mythe : l’image de la semaine a été la sauvage répression des travailleurs qui défendent leurs postes de travail. Face ã un futur économique incertain, le gouvernement joue son rôle en tant que « parti de maintien de l’ordre », c’est-à-dire que dans ce début de crise économique qui met en danger l’emploi, le kirchnerisme veut imposer l’ordre dans les rues et dans les entreprises. Il l’a montré avec la répression, les attaques contre les députés d’extrême-gauche et finalement en réessayant de faire adopter la loi contre les blocages de rues.
Pour cela, dans son équipe, Cristina Kirchner a confié ã Berni le soin de mener l’attaque : « Ce sont des délinquants – a dit l’ancien militaire – qu’est-ce que l’extrême-gauche vient faire dans les blocages ? Je ne comprends pas comment on laisse passer cela au Parlement ». L’ex-militaire qui s’est soulevé dans le passé pour obtenir l’impunité contre les génocides de la dernière dictature, maintenant ordonne la répression contre les travailleurs en lutte et veut aussi des sanctions contre les parlementaires du Front de l’extrême gauche et des travailleurs (FIT). A nouveau, il a attaqué les députés présents dans les blocages de la même façon que les parlementaires du FIT sont attaqués ã Salta, Mendoza et Córdoba. L’objectif est clair : ils chargent sur l’extrême-gauche et les militants lutte de classes, parce qu’ils ne veulent pas la généralisation de la lutte dans un contexte de crise économique.
Mais arrivés ã ce point là , le mythe kirchneriste commence ã s’ébranler pas seulement chez les travailleurs qui avaient l’espoir de « garder les acquis », mais aussi dans quelques secteurs qui soutenaient jusqu’à présent le gouvernement. Même le CELS, l’association des droits de l’homme présidé par Horacio Verbitsky, un des journalistes défenseurs du gouvernement, a critiqué la répression. De même, des syndicats pro-gouvernementaux comme le syndicat des enseignants (UTE) et celui du métro de Buenos Aires se sont solidarisés des travailleurs en lutte.
Il faut gagner
Ces attaques font face à la résistance des travailleurs, des étudiants qui les soutiennent et de l’extrême-gauche. La journée du 8, dans laquelle notre parti a joué un rôle important, a démontré qu’il y a les forces, qu’il y a le moral, pour affronter les attaques, même si la lutte est très difficile. Elle a montré aussi que nous sommes des milliers ã vouloir lutter jusqu’au bout, qu’on veut « gagner le match » de Lear, et tout ce qui est en jeu ã Donnelley, Emfer, Tatsa, Visteo et dans d’autres entreprises. Le rejet des licenciements et de la répression a créé une solidarité ouvrière et populaire. On a pu le voir dans les centaines de déclarations de solidarité, dans les insultes aux gendarmes qui réprimaient à la Panaméricaine, dans les gestes des médecins qui soignaient les blessés, dans la solidarité des voisins qui amenaient de l’eau ou des médicaments pour les blessés.
Mais pour arrêter l’alliance entre les patrons, le gouvernement et la bureaucratie syndicale, il en faut beaucoup plus. Comme on l’a dit ã plusieurs reprises, il faut fédérer les forces de ceux et celles avec qui nous nous sommes réunis lors de la Rencontre Syndicale Combative d’Atlanta, le Parti Ouvrier et tous les militants lutte de classe du pays. Entre autres choses, il nous faut exiger de la CGT présidée par Hugo Moyano des actions concrètes en soutien aux travailleurs en lutte. Cette semaine il a publié une déclaration importante en exigeant la réintégration des travailleurs et travailleuses licencié-e-s chez Lear et chez Emfer. Mais cela n’est pas suffisant : maintenant il doit appeler ã des actions plus déterminées en soutien à la lutte de Lear et préparer ainsi une grève générale active de 36 h.
Non aux licenciements et au chômage technique.
Répartition des heures de travail dans les usines en crise sans baisse de salaire.
Non au payement de la dette, et satisfactions de toutes les revendications des travailleurs.
10-07-2014
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