Jeudi 28 août l’Argentine a connu sa troisième grève générale de 24h en moins d’un an. La « fin de cycle » du gouvernement kirchneriste est marquée par la rupture de la base sociale historique du péronisme, la classe ouvrière. Cette troisième grève générale a été un succès et montre le ras-le-bol des travailleurs. Il n’y a pas que l’avant-garde ouvrière qui est en lutte, notamment chez Lear, Emfer, Honda et Donnelley, mais c’est l’ensemble de travailleurs qui veulent montrer son mécontentement.
Le précèdent de la grève du 10 avril
Face à la réussite de la grève du 10 avril (Voir « Le trotskysme sur le devant de la scène »), le gouvernement avait fait l’autruche. Il avait nié la force et la massivité de la grève, en expliquant la paralysie totale du pays uniquement par la grève des transports et les blocages de rues menés par l’extrême-gauche. En réalité, ces éléments, effectivement importants en eux-mêmes, avaient notamment permis ã des millions de travailleurs précaires et au noir de faire grève, contribuant ã ce que ce soit l’ensemble des travailleurs qui protestent contre le gouvernement, « leur gouvernement ».
Les manœuvres du gouvernement
La politique du gouvernement, pour répondre à l’appel à la grève de jeudi dernier, a consisté ã faire en sorte que celle-ci ne se fasse pas remarquer, ã essayer de montrer que le pays allait fonctionner normalement. Pour cela il a approfondi le discours droitier et répressif contre les blocages. Berni, le secrétaire ã de la sécurité au plan national, un ancien militaire, s’est transformé en porte-parole du gouvernement, s’attaquant tous les jours dans les médias à l’extrême-gauche et menaçant de répression, dans le prolongement d’attaques antérieures déjà très concrètes contre les travailleurs de Lear et Donneley (Voir « LEAR : 5ème journée de lutte nationale et quatre camarades arrêtés pour s’être solidarisés des travailleurs en lutte contre les licenciements ! »). Mais le plus important a été pour lui d’éviter la grève des transports, surtout celle des chauffeurs de bus. Pour cela, il a tout simplement acheté les bureaucrates du syndicat, l’UTA. Il leur a offert un bâtiment pour le syndicat et des aides à leur patrons en prétendant qu’elles seraient destinées ã des augmentations de salaires. Au dernier moment l’UTA a ainsi décidé de ne pas appeler à la grève avec l’excuse qu’il n’y avait pas de « plan d’action ».
« Un pays qui fonctionne normalement »... comme si c’était un dimanche
Les manœuvres ont permis au gouvernement de dire que 75 % des travailleurs avaient décidé de travailler. Seulement personne n’y a cru. Les bus ont fonctionné, mais pas les trains ni une partie des lignes de métro. D’autre part les bus étaient presque vides, comme les dimanches. Une image qui est très éloignée des trains bondés tous le jours, ou des longues files d’attente dans les arrêts de bus lorsqu’une ligne de métro ne fonctionne pas. Ça c’est le fonctionnement « normal » de l’Argentine. Le gouvernement ne veut pas accepter cette réalité : les travailleurs ont décidé de faire grève ! La plupart de ceux qui ne l’ont pas fait sont les travailleurs précaires, qui sont menacés de licenciement s’ils protestent. Et là on voit le rôle des bureaucrates syndicaux alliés au gouvernement, comme Pignarelli, qui a dit, la veille de la grève, que tout se passait bien, que dans sa branche les licenciements (ceux de Lear et Gestamp entre autres) étaient des licenciements justifiés par des fautes lourdes. Mais ce qu’il oublie de dire est que par « fautes lourdes », il vise les luttes contre les licenciements et le chômage technique, le fait d’être d’extrême-gauche, de s’opposer ã son contrôle bureaucratique et maffieux.
La combinaison des grèves et des blocages de rues
L’extrême-gauche et les syndicats combatifs ont été présents et ont changé la donne comme lors de la grève du 10 avril. Au lieu d’une grève, comme le veulent les bureaucrates syndicaux, ou personne ne bouge, même pour se manifester, les blocages de rues ont donné une autre ambiance. Avec ces derniers se sont exprimés les travailleurs combatifs qui avaient préparé la grève avec des Ags, en votant la grève même dans des branches où le syndicat n’y appelait pas. De ce point de vue les acquis d’organisation et de combativité de la grève du 10 avril ont été maintenus. Même Donnelley qui depuis quelques semaines produit sous contrôle ouvrier, a arrêté sa production.
Contre le discours répressif du gouvernement, contre la bureaucratie syndicale qui s’oppose ouvertement ã « ces méthodes de lutte », les travailleurs et des étudiants combatifs ont réussi ã bloquer les principaux accès de la capitale. Pour le faire ils ont dû tromper et manœuvrer contre les forces répressives, notamment au « Puente Pueyrredon », l’accès Sud de la ville. Ces blocages ont été soutenues par les députés du Front d’[extrême] gauche et des travailleurs (FIT), qui y étaient présents au premier rang.
La « fin de cycle » s’approfondit
Même les médias bourgeois sont d’accord pour dire que le gouvernement n’a pas réussi ã invisibiliser la grève. Bien que dans certaines régions la journée ait été « assez normale », dans l’ensemble du pays et surtout dans les secteurs stratégiques, elle a été très importante. Presque aussi importante que le 10 avril, quand il n’y avait même pas de bus. Et la politique de l’UTA a affaibli le front de la bureaucratie syndicale qui, cette fois, a dû avoir un discours plus modéré par rapport aux blocages.
Mi-avril nous disions que le trotskysme était au-devant de la scène, que les travailleurs commençaient ã rompre avec « leur gouvernement », que la bureaucratie syndicale avait de moins en moins de contrôle sur les travailleurs. Cette nouvelle journée de grève générale le confirme plus avant, confortant un processus potentiellement capable d’élargir ce qu’une succession de luttes ouvrières importantes a rendu récemment possible dans la zone nord de Buenos Aires, lors du grand meeting de convergence du 16 août dernier : dans la perspective d’une fusion progressive des avant-gardes ouvrières les plus à l’offensive et du militantisme révolutionnaire, la construction des bases d’une coordination plus ample et plus pérenne des secteurs en lutte, qu’ils soient sur des batailles défensives (lutte contre les licenciements ã Lear) ou plus offensives (contrôle ouvrier ã Donnelley), coordination qui serait capable du même mouvement d’offrir des perspectives politiques et un programme d’action ã plus large échelle, et donc ã impulser le surgissement de nouveaux cadres d’auto-organisation des travailleurs dans d’autres usines.
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