Dimanche 28 septembre le syndicat majoritaire chez les pilotes d’Air France, le SNPL (70%), mettait « inexplicablement » fin à la grève exemplaire qui durait depuis 14 jours (la plus longue depuis 1993) contre la précarisation des conditions de travail et la délocalisation. Cette fin de grève est d’autant plus incompréhensible que la direction venait de là¢cher son plan de développement de Transavia Europe, qu’elle semblait déstabilisée face à la ténacité des pilotes et qu’il n’y a pas encore d’accord de « sortie de crise ». Le syndicat minoritaire, le SPAF (20%), a quant à lui décidé de maintenir le préavis de grève au moins jusqu’au 30 septembre. Malgré l’obtention partielle de leurs revendications, il est difficile de ne pas ressentir un certain gout amer quand une victoire importante semblait possible et proche.
En effet, depuis la semaine dernière la direction d’Air France faisait des propositions aux pilotes pour essayer de mettre un terme à la grève. D’abord elle a proposé de « suspendre » le projet de développement de Transavia Europe jusqu’à décembre ; ensuite elle annonçait l’abandon total de ce projet sans pour autant que cela signifie qu’elle allait stopper également le développement de Transavia France, bien au contraire.
Alors que tout le monde pensait que cela serait suffisant pour finir avec la grève des pilotes qui commençait ã coûter beaucoup à l’entreprise, les pilotes ne là¢chaient pas. Une fois qu’Alexandre de Juniac s’est vu obligé d’abandonner son projet plus « ambitieux » de délocalisation, les pilotes voulaient discuter des conditions de développement de la filiale low cost en France.
C’est autour de la question des conditions de travail et de la sauvegarde des acquis de la catégorie que les négociations se poursuivaient. Mais la direction ne voulait rien savoir de céder sur la question du « contrat uniquede pilote du groupe » que les grévistes revendiquaient. Et cela malgré le fait que le SNPL faisait des concessions à la direction depuis plusieurs jours acceptant que les pilotes qui aillent voler chez Transavia le fassent aux conditions de la low cost. Autrement dit, ils acceptaient de travailler plus et d’avoir des conditions de travail plus « flexibles » mais ã condition que l’on préserve leur statut de pilotes d’Air France.
Le SNPL a cédé à la pression de la direction et du gouvernement
Les négociations se trouvaient bloquées ã ce point quand le SNPL a décidé de mettre fin incroyablement à la grève. Joint par Les Echos, un porte-parole du SNPL expliquait : « La direction campe sur ses positions, mais nous avons jugé qu’il serait suicidaire de continuer (…) Nous avons donc pris nos responsabilités en décidant d’arrêter le mouvement ».
Le syndicat, cédant au discours véhiculé par la direction d’Air France, la presse et le gouvernement, a estimé que la grève « mettait en danger » l’entreprise. En effet, le SNPL considérait que « la direction s’était préparée à la grève en provisionnant 200 millions d’euros. Mais après deux semaines de conflit, le coût de la grève approcherait aujourd’hui les 280 millions d’euros. Sans parler du coup considérable mais difficile ã chiffrer porté à l’image de la compagnie… » (Les Echos, 28/9).
Mais si la direction avait une « réserve » 200 millions d’euros, cela ne voulait pas dire qu’elle s’attendait ã une lutte dure avec les pilotes ? D’ailleurs, comme révèle Le Monde : « [De Juniac] il y a deux ans, alors que la restructuration d’Air France battait son plein, (…) confié ã ses proches : "Je n’ai pas fait le plus dur, le plus dur ce sera les pilotes" » (Le Monde, 26/9). Cela veut dire qu’il était probable que si la grève continuait encore quelques jours, les pilotes auraient pu obtenir une victoire très importante sur la direction : aussi bien en l’obligeant ã annuler son plan de délocalisation que sur la question du contrat unique.
Ainsi, la direction et le gouvernement ont du mal ã cacher leur joie d’avoir évité ce scénario cauchemardesque pour eux. Et cela d’autant plus que le nombre de gréviste ne faiblissait pas et que leurs représentants laissaient comprendre qu’ils ne faisaient plus confiance à la direction pour négocier.
En ce sens, Valls, essayant de s’acheter la sympathie de l’électoral le plus réactionnaire et antigrève, s’est félicité de la soi-disant « ligne de fermeté du gouvernement » lors de la grève. D’ailleurs, cette « fermeté de dernière minute » n’est prise au sérieux par aucun secteur du patronat : c’est le gouvernement lui-même qui a obligé Air France ã abandonner le projet Transavia Europe de peur que la grève ne se durcisse. Cette intromission dans les affaires de l’entreprise est jugé insupportable par le patronat. C’est d’ailleurs ce qui exprime Luc Chatel, le secrétaire général de l’UMP, selon lequel : « L’entreprise Air France a un conseil d’administration, elle a 89% d’actionnaires qui ne sont pas M. Vidalies [secrétaire d’Etat aux transports – l’Etat possède en réalité près de 16% des actions], ce n’est pas ã M. Vidalies d’aller annoncer sur les chaînes de télévision si le projet est retiré ou non. Il a fait beaucoup de mal à l’entreprise ».
Les pilotes n’ont pas su créer des alliances stratégiques avec les autres catégories
Evidement, Valls exagère le vrai rôle du gouvernement quand il parle de « fermeté ». Ce gouvernement complètement discrédité et sans autorité ne fait peur ã personne. D’ailleurs, de par son niveau d’exposition lors de la grève on peut se demander ã quel point un recul plus important de la direction d’Air France aurait eu des conséquences sur lui ? Car depuis le début de la grève ce que l’on a pu voir c’est avant tout un alignement complet du PS avec la direction de l’entreprise et une position ouvertement brise-grève.
Cela montre qu’aussi bien Air France que le gouvernement et le patronat étaient conscients des enjeux plus généraux. En effet, comme nous l’affirmons depuis le début de la grève, elle avait une importance pour l’ensemble de la classe ouvrière car elle s’opposait ã un plan de précarisation des conditions de travail et ã un plan de délocalisation d’une des principales entreprises françaises d’uns secteur stratégique. Le tout sous prétexte de retrouver la « compétitivité » et de la sauvegarde d’une « entreprise national »… sous le dos des salariés évidemment ! Autrement dit, cette lutte avait tout pour devenir un point d’appui et une source d’inspiration pour d’autres salariés qui subissent les mêmes attaques, ã commencer par ceux et celles des autres catégories du secteur aéronautique et des transports.
Mais justement le point faible de cette grève a été que la direction SNPL n’a jamais cherché ã élargir le mouvement ã d’autres catégories, notamment au sein du groupe. Et pour cela il ne manquait pas de possibilités. Le 22 septembre dernier par exemple, huit organisations syndicales (après avoir adopté une position « abstentionniste », comme la CGT qui ne s’opposait pas à la grève mais ne la soutenait pas non plus) de toutes les catégories signaient un tract commun exigeant le retrait du plan Transavia Europe. Cela exprimait sans doute de la sympathie avec ce mouvement de la part de travailleurs et travailleuses au sol et parmi le personnel navigant. En effet, le plan était perçu comme une attaque contre toutes les catégories, ce que l’on a pu constater en voyant la satisfaction qu’ont exprimé tous les salariés du groupe après le retrait du projet Transavia Europe. Comme on voit les conditions pour une lutte commune étaient réunies.
Cela aurait représenté la meilleure politique des pilotes pour isoler les briseurs de grèves professionnels à la solde du patronat comme les dirigeants de la CFDT qui reprenaient à leur compte les discours sur les « privilèges » des pilotes pour laisser imposer la précarité à l’ENSEMBLE du personnel.
Une telle alliance aurait rendu possible une victoire éclatante contre ce plan qui vise à la dégradation des conditions de travail de l’ensemble des salariés de cette puissante entreprise. En même temps cela aurait rendu plus pérennes les victoires obtenues au cours de la grève. Aussi, une telle lutte aurait poussé des travailleurs d’autres compagnies ã suivre l’exemple d’Air France. D’ailleurs, on ne peut pas écarter que d’autres grève semblables éclatent dans le secteur.
Une victoire partielle mais importante !
Malgré le fait que les pilotes auraient pu avoir plus que ce qu’ils ont gagné au cours de cette grève, nous ne pouvons pas négliger le fait qu’ils ont fait reculer (au moins momentanément) la direction sur son plan plus ambitieux : Transavia Europe.
En effet, si l’on peut imaginer que la direction d’Air France pouvait envisager une certaine forme de résistance de la part des pilotes, le passé récent avec le plan « Transform 2015 » qui avait impliqué 8000 suppressions d’emplois, lui donnait une certaine marge de confiance.
Mais la grève des pilotes a jeté bas cette « arrogance ». Le cadre de « confiance », comme l’expriment les pilotes eux-mêmes, s’est rompu. Fini le temps de la « cogestion » comme affirme la direction. D’ailleurs, si la grève continuait, il n’est pas exclu qu’elle aurait pu avoir la tête de Alexandre de Juniac, le PDG du groupe.
Même si le gouvernement et l’entreprise ont réussi, pour le moment, ã éviter le « pire » (de leur point de vue), la grève des pilotes d’Air France a été un avertissement qui s’ajoute ã celui des cheminots en juin. Il n’y a pas eu d’accord de fin de conflit, ce qui implique qu’il pourrait y avoir de nouveaux mouvements parmi les pilotes mais aussi chez d’autres catégories, comme certains le craignent. Peu ã peu, les travailleurs et travailleuses du secteur stratégique du transport commencent ã montrer la voie de la résistance à l’ensemble du prolétariat.
29/9/2014.
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