Podemos a occupé les gros-titres de la presse le week-end des 18 et 19 octobre. Plus de 10.000 de personnes, provenant de l’ensemble de l’Etat espagnol, ont participé à l’assemblée citoyenne « ¡Si se puede ! » [« C’est possible ! »] qui s’est tenue ã Madrid, alors que des dizaines de milliers d’autres suivaient l’événement en streaming ou sur les réseaux sociaux. Un peu plus de cent résolutions, portant sur trois questions (éthique, organisation et politique), étaient proposées aux militants présents qui devaient en choisir cinq. Ce sont elles qui seront soumises au vote électronique de plus de 130.000 adhérents de Podemos jusqu’au 26 octobre. L’assemblée a été l’occasion, également, de faire le point sur les contradictions internes du nouveau parti.
Iglesias applaudi… mais aussi critiqué
Plusieurs dizaines d’interventions ont illustré les différents documents éthiques, organisationnels et politiques qui étaient proposés. Malgré la quantité de textes avancés, deux positions ont dominé les débats. Au centre de la discussion se trouve la question du modèle d’organisation pour le parti, Pablo Iglesias et son équipe (« Claro que Podemos ») s’opposant ã « Sumando Podemos », la plateforme soutenue par Pablo Echenique et Teresa Rodríguez, tous deux eurodéputés, et membre de Izquierda Anticapitalista(IA), le courant frère du NPA dans l’Etat espagnol, dans le cas de Rodríguez.
Iglesias défend l’idée d’un leadership unique et centralisé. C’est, pour lui, la solution la plus efficace pour des raisons électorales. « Trois secrétaires généraux pour Podemos ne peuvent pas gagner contre Mariano Rajoy [l’actuel Premier ministre de droite] ou contre Pedro Sánchez [leader de l’opposition socialiste], un seul, oui ». Teresa Rodríguez lui a répliqué que « pour gagner des élections, ce n’est pas une question de un, trois ou cent secrétaires généraux. Pour gagner des élections, il faut avoir les gens avec soi ». Dans la proposition organisationnelle défendue par Rodríguez, il y aurait trois porte-paroles, un système de tirage au sort pour élire une partie de la direction, dans la lignée de ce que suggère un secteur militant issu du mouvement des Indignés, ainsi qu’un espace plus large pour les cercles locaux du parti.
Pendant deux jours, les milliers de participants à l’assemblée ont tour-à-tour ovationné Iglesias et les membres de son équipe mais également les prises de parole les plus critiques de la direction actuelle, montrant une certaine défiance ã son égard. Le mécontentement est monté d’un cran dans plusieurs cercles lorsque Iglesias a déclaré que si sa proposition organisationnelle n’était pas ratifiée, il ferait « un pas de côté », imposant une sorte de chantage au « tout ou rien » qu’il a réitérée en affirmant que si Echenique perdait les votes, il serait bon qu’il se retire. Dans la presse espagnole, nombreux sont ceux qui ont comparé cette attitude ã celle de l’ancien Premier ministre espagnol, Felipe González, lors du Congrès socialiste de septembre 1979. C’est en menaçant de démissionner en effet que celui qui n’était alors que secrétaire général du Parti Socialiste s’est maintenu contre toute attente à la direction du parti lors de ce Congrès extraordinaire et a imposé l’abandon de toute référence au marxisme et renforcé le virage ã droite du PSOE.
Echenique a essayé de temporiser en soulignant qu’Iglesias devait continuer ã être « le principal porte-parole de Podemos ». Cependant, ses efforts en vue d’arriver ã un accord, qui avaient déjà fait choux-blanc une semaine auparavant, ont été balayés d’un revers de la main par l’équipe d’Iglesias devant des milliers de personnes. C’est Juan Carlos Monedero, l’un des bras-droits d’Iglesias, qui a été chargé de faire passer le message lors de la session du dimanche : « le consensus ne marche pas tout le temps, a déclaré Monedero, et parfois certaines propositions sont incompatibles ».
L’équipe d’Iglesias avait préparé l’offensive au cours des jours précédant l’assemblée avec la clause contre la double appartenance, dirigée avant tout contre Izquierda Anticapitalista [1] Teresa Rodríguez a vivement critiqué la proposition en indiquant combien il serait absurde qu’elle-même, en tant que militante d’IA, soit empêchée de participer aux prises de décision concernant son propre mandat de députée, puisqu’elle est élue ã Bruxelles depuis le printemps dernier.
Populisme 2.0 : le leader et « les gens »
Iglesias et Monedero n’ont jamais caché leur admiration pour le chavisme vénézuélien, très axé sur un leadership personnaliste et centraliste situé ã des années lumière de « l’esprit » du Mouvement du 15 Mai et des Indignés. Cependant, Iglesias a réitéré son attachement ã ce genre de modèle plébiscitaire dans une version « 2.0 », avec un système de votation par internet et un programme social-démocratisant plus semblable ã celui de Felipe González dans les années 1980 qu’au modèle populiste bourgeoise du « commandant Chávez ».
Quid, donc, de la « démocratie par en bas » dont Iglesias avait fait sa marque de fabrique ? Qu’en est-il du « nouveau modèle politique » défendu par Podemos ã sa naissance ? « Il faut que l’on soit efficace », a répondu inlassablement Iglesias ã ces critiques. Le modèle qu’il propose consoliderait le rapport entre un leader hyper-médiatisé et « les gens » qui voteraient par internet. Dans ce type d’organisations, c’est bien entendu le « spectacle médiatique » qui est au centre de tout. La politique devient marketing et Podemos une marque. C’est d’ailleurs ce qu’affirme Iglesias dans son document et c’est ce qu’a répété Monedero au cours des deux journées d’assemblée citoyenne.
Occuper « le centre de l’échiquier politique »
Dans un de ses discours, Iglesias a souligné qu’il ne pouvait se contenter des cinq eurodéputés de Podemos et que le parti avait été créé « pour gagner ». Pour atteindre cet objectif, Iglesias a répété son discours sur « la majorité sociale » qui est appelée ã occuper « le centre de l’échiquier politique » de façon ã « gagner les élections » et arriver ã « un gouvernement des gens ». Iñigo Errejón, l’une des éminences grises d’Iglesias, a réaffirmé que Podemos n’avait pas été créé pour occuper « les marges, ã gauche, de la scène politique espagnole » mais bien pour remporter les élections. Et pour éviter d’être confinés « sur un coin, ã gauche », Iglesias et son équipe proposent de renoncer ã toute référence à la gauche et aux travailleurs, et de modérer, à l’inverse, et le programme, et le discours.
La philosophie politique d’Iglesias est comme une sorte de synthèse du pragmatisme absolu : l’objectif électoral prime sur tout, et les moyens pour y arriver (l’organisation interne du parti, le programme et la politique) doivent s’y adapter. La rhétorique de la « démocratie par en bas », chère ã Podemos ã sa naissance, finit par être phagocytée par la logique du leadership « par en haut ».
Renoncer ã quelque chose d’aussi élémentaire que « la démocratie interne » alors que Podemos n’a pas encore de responsabilités importantes laisse mal augurer de l’avenir. Lorsque la pression de la « gestion politique » se fera plus forte, on peut s’imaginer ce en quoi pourrait se transformer le pragmatisme d’Iglesias et de ses partisans.
Dernier coup de force
Au dernier moment, Iglesias a défini de « nouvelles règles du jeu » pour garantir le contrôle du processus électoral qui devrait être rendu public après une semaine de votations, le lundi 27 octobre.
Bien qu’Iglesias soit très populaire chez les « adhérents internet » de Podemos, son équipe souhaite éviter toute mauvaise surprise. Au dernier moment, les partisans d’Iglesias ont proposé que l’on puisse voter « en bloc » les textes soumis aux adhérents. Cela favoriserait objectivement les plateformes ayant présenté trois documents, ã commencer par « Claro que podemos », le courant d’Iglesias.
Ce dernier a redit que s’il ne gagnait pas, il ferait « un pas de côté » alors que les partisans du document alternatif soutenu par Echenique et Rodríguez ont réitéré leur soutien ã Iglesias comme principal porte-parole, renforçant objectivement ce dernier. Les débats du week-end montrent en tout cas qu’Iglesias se prépare davantage pour le Palais de la Moncloa, le siège du gouvernement espagnol, qu’à redescendre dans la rue et ã reprendre la Puerta del Sol, la place de Madrid occupée par les Indignés au printemps 2011.
21/10/14
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