Ce jeudi 20 novembre, auditionné par la commission parlementaire sur les 35 heures, Emmanuel Macron, ministre de l’Economie, a livré « son bilan » des 35h et de sa mise en application, seize années après sa mise en œuvre par Martine Aubry et le gouvernement de la Gauche Plurielle. « On peut défendre les 35 heures sans les mettre sur un piédestal », a résumé Macron. Qu’il se rassure : nous non plus, nous ne mettons pas « la réforme Aubry » sur un piédestal.
Qu’en est-il réellement de la Réforme Aubry ?
Les 35 heures ont été appliquées sur la base de l’annualisation du temps de travail, ã savoir comme une brèche en direction de la flexibilité généralisée, et de la perte de salaire. De ce point de vue, les patrons sont parfaitement au courant des bons et loyaux services rendus par l’actuelle « première opposante » ã Valls. Mais lorsque l’ancien banquier d’affaires et actuel ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, parle de détricoter les 35 heures, on l’aura compris, ce n’est pas pour aller dans le sens de plus de justice sociale. C’est un énième ballon d’essai qu’il lance pour rallonger la durée légale du travail, tout en maintenant, voire en aggravant, les conditions actuelles de flexibilité et de précarité.
La réforme des 35h aurait eu, selon Macron, « un effet bénéfique sur l’emploi ». Elle aurait créé, en quatre ans, près de 350000 emplois selon l’INSEE. Il faut comprendre en filigrane que l’annualisation du temps de travail et les baisses de salaires associées aux 35h ont permis pour un temps au patronat de rétablir leur profits tout en faisant passer le « package » des 35h pour un progrès social. Un progrès en demi-teinte pour les salariés, puisque s’il y avait bien réduction du temps de travail (ou plutôt RTT), elle était associée ã une réorganisation du travail pour le patronat.
Mais Hollande veut aller plus loin aujourd’hui. Car si c’est Macron qui parle, si le magazine allemand Der Spiegel publie en avant-première des extraits de document de travail officiels où des économistes français font état de la nécessité de « geler les salaires pour trois ans » et d’assouplir les 35 heures, c’est bien que l’Elysée est derrière tout cela. Les 35 heures, donc, auraient envoyé, selon Macron, « un signal négatif pour les entreprises étrangères qui voulaient investir en France », donnant l’impression « que les Français ne voulaient plus travailler ». Il précise alors que la durée effective de travail en France est aujourd’hui supérieure ã 39 heures par semaine, proche des standards européens. Le problème pour Macron, ne serait donc pas le temps de travail hebdomadaire effectif équivalent aux autres pays impérialistes européens, mais le fait que ces heures payées au-delà des 35h soient réglées en heures supplémentaires majoré ã 25%. Le gouvernement et le patronat attaque les 35h non pour augmenter la durée effective du travail mais pour une baisse généralisée de nos salaires !
Généralisation des accords de compétitivité pour détricoter les 35 heures
Selon le ministre de l’économie, les 35h ne correspondraient donc plus à la réalité de la durée du travail en France. Il insiste alors sur le « dialogue social » à l’intérieur des entreprises pour d’éventuels aménagements, en précisant que « le cadre légal n’est pas suffisant parce que les salariés, comme les entreprises, ont besoin de plus de souplesse. Qui serions-nous pour dire ã quelqu’un qui souhaite travailler plus que c’est impossible ? ».
L’accord national interprofessionnel (ANI), signé en juin 2013 par les confédérations syndicales les plus proches du gouvernement comme la CFDT, la CFTC et la CGC a permis au patronat de légaliser des accords dit « de maintien de l’emploi » : en échange d’une baisse des salaires des travailleurs et de l’augmentation du temps de travail, les patrons s’engageaient alors ã soi-disant maintenir l’emploi pendant 2 ans.
Aussitôt voté, l’ANI a été aussitôt contourné. Trouvant cet accord bien trop contraignant, les patrons lui ont préférés les bons vieux accords de « compétitivité » qui ne demandent aucune contrepartie pour l’employeur mis ã part un « dialogue social » entreprise par entreprise.
« Divide et impera »
Voilà donc l’objectif du gouvernement et du patronat : au lieu de prendre de front les travailleurs ã travers une loi abrogeant directement les 35 h, risquant alors de déclencher un coup de sang chez les salariés, Hollande et le Medef choisissent de « diviser pour mieux régner ». C’est ce qui existe déjà en Allemagne depuis les réformes votées sous le gouvernement du social-démocrate Schröder : une négociation entreprise par entreprise ou branche par branche. Renault et PSA ont montré le chemin des accords de compétitivité. Pour le gouvernement et le patronat, il s’agit maintenant de légaliser et généraliser ces pratiques pour une casse des 35h et une baisse généralisée des salaires des travailleurs pour toujours plus engraisser les profits !
Mais que font les directions syndicales ?
Macron n’en est pas ã son premier ballon d’essai. En août, déjà , avant même sa prise de fonction, il avait évoqué la possibilité de « déroger aux 35h », faisant pousser aux syndicats des cris d’orfraie. Est-ce que, depuis, les directions syndicales ont adopté une quelconque mesure préventive ? Aucunement ! Ils se sont contenté, comme cette semaine encore, des dénégations de responsables gouvernementaux disant parler au nom de Hollande. Macron aurait en fait un peu trop anticipé le calendrier des négociations avec les « partenaires sociaux » sur les « aménagements des 35h » acté par l’ANI. « C’est un peu gênant d’en parler publiquement » disent des proches de l’Elysée. Mais, fondamentalement, ballon d’essai, calendrier des déclarations et commission d’enquête parlementaire, sont autant de tactiques pour « préparer » les négociations avec les centrales syndicales.
Elles dialoguent… ou s’apprêtent ã reprendre langue
La CGT n’a pas formellement signé l’ANI mais ne s’y est guère opposée : des manifestations pour dire « non », certes, mais une participation ã toutes les discussions préparatoires et aucun plan de bataille réel pour que, dans les entreprises, les usines et les bureaux, les collègues s’emparent de la question et expriment leur ras-le-bol. Aujourd’hui, la direction de Montreuil souhaite renouer avec la méthode du « dialogue social ». C’est la raison pour laquelle la CGT a proposé, le 21 novembre, de supprimer l’obligation d’organiser des élections de délégués du personnel (DP) lorsque le seuil des 11 salariés est franchi. Face à la méthode du dialogue social prônée par le gouvernement et le patronat que les directions syndicales acceptent sans broncher, il faut, à la base, que les équipes militantes opposent leurs propres revendications : nous devons opposer nos propres revendications, pour un partage du temps de travail entre tous les travailleurs, sans baisse de salaire et pour la CDIsation de tous les travailleurs précaires et l’interdiction des licenciements.
En Italie et en Belgique, les deux principales confédérations, la CGIL et la FGTB, dont il y aurait pourtant beaucoup ã redire, ont été forcée d’organiser un calendrier d’action contre les mesures austéritaires et les réformes du marché du travail. En France, c’est un calendrier de table-rondes qu’on nous propose, après les élections professionnelles. Face ã ce gouvernement assassin et ce patronat qui ne désarment pas, ce n’est pas un programme de négociation qu’il nous faut, c’est un programme de lutte !
23/11/14
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