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Brésil. Les manifestations du 15 mars et la nécessité d’une politique indépendante
par : Iuri Tonelo

17 Mar 2015 | Ce dimanche 15 mars a marqué une journée importante dans la vie politique brésilienne : des centaines de milliers de personnes ont battu le pavé dans des nombreuses villes du pays pour réclamer la démission du gouvernement de Dilma Roussef et pour manifester contre le PT et la corruption. Mais un regard attentif permettait d’identifier facilement le (...)
Brésil. Les manifestations du 15 mars et la nécessité d’une politique indépendante

Ce dimanche 15 mars a marqué une journée importante dans la vie politique brésilienne : des centaines de milliers de personnes ont battu le pavé dans des nombreuses villes du pays pour réclamer la démission du gouvernement de Dilma Roussef et pour manifester contre le PT et la corruption. Mais un regard attentif permettait d’identifier facilement le contenu réel de ces mobilisations. Il ne s’agissait pas d’une expression des travailleurs et des couches populaires, par ailleurs mécontents, également, de la politique menée par le gouvernement, mais plutôt de la classe moyenne, entraînée par les partis de la droite, en particulier par le PSDB, et par les grands médias comme le groupe Globo, même si ceux-ci ont été en partie dépassés en cours de route. L’analyse précise de ce qu’expriment ces manifestations est fondamentale pour tous ceux qui aspirent ã apporter une réponse de fond et du point de vue des travailleurs à la légitime colère populaire.

La composition des manifestations

Il s’agissait majoritairement de la classe moyenne, entendue non pas comme les couches supérieures du salariat, mais plutôt des secteurs de la petite-bourgeoisie (les médias interviewaient surtout des commerçants). Dans des régions où l’énorme majorité de la population est noire, cela était particulièrement visible et choquant, avec une quasi-totalité de blancs dans les manifestations.

Et même là où les manifestations ont exercé un pouvoir d’attraction sur des secteurs de travailleurs dans le contexte d’un mécontentement croissant, la dynamique était clairement du côté des classes moyennes, alors que les travailleurs ont dans le meilleur des cas accompagné passivement avec une certaine expectative de voir si cette journée du 15 mars allait apporter une réponse à la crise politique que traverse le pays.

Ce que ces manifestations expriment

Le contenu de ces manifestations était en général confus et exprimait des éléments de conservatisme, de telle sorte que le mécontentement à l’égard du gouvernement et de la corruption était en définitive canalisé par l’opposition de droite, ce qui implique un énorme problème. Cette journée témoigne aussi d’un phénomène plus global de crise de représentativité, où des représentants des partis de la droite qui s’y sont rendus étaient eux-aussi hués, comme cela a été le cas de Paulinho (président de la centrale syndicale pro-patronal Força Sindical et député) ã São Paulo ou de la principale figure de la droite dure, Jair Bolsonaro, ã Rio. Aucun des deux n’a pu prendre la parole lors des manifestations.

Le cri de colère entendu lors de ces manifestations est l’expression d’un pays qui était déjà polarisée à la suite de la très courte victoire de Dilma Roussef face ã Aécio Neves du PSDB, mais aussi d’un début de désillusion des électeurs de Roussef eux-mêmes suite aux scandales de corruption dans lesquels la présidente et son gouvernement se voient impliqués. Une frange, pour l’instant minoritaire commence ã voir aussi que le gouvernement est en train de mener une politique à l’opposé de ses promesses de campagne.

Malheureusement, très loin d’une réponse qui conteste les institutions profondément pourries et ouvre la voie ã un véritable changement, ce qui ne pourrait venir que d’une alliance entre des secteurs des classes moyennes avec les travailleurs et les couches populaires, c’est l’opposition de droite qui se renforce, notamment le PSDB, ainsi que des variantes encore plus ã droite.
Néanmoins, on ne peut comprendre l’ampleur de ces manifestations sans le rôle joué par les grands médias, ã commencer par le groupe Globo qui a très fortement encouragé cette journée pour ensuite en assurer une couverture spectaculaire, en cohérence avec sa volonté de voir surgir au Brésil non seulement un gouvernement qui attaque les travailleurs (comme de fait le fait déjà le gouvernement Roussef), mais qui soit ouvertement de droite.

C’est dans ce contexte qu’on a pu voir apparaître en toute impunité l’expression des aspirations les plus réactionnaires, réclamant un “coup d’état”, ainsi que la participation de groupes ouvertement fascistes. Certes, ces secteurs étaient très minoritaires, mais le seul fait que leur présence n’ait pas été en générale combattue témoigne de l’état d’esprit des mobilisations.

Le 15 mars, le gouvernement, l’opposition et le régime

Si l’on compare la journée du 15 mars avec celle du 13, appelée par le gouvernement, on constate facilement que c’est l’opposition qui l’a emporté et qui sort renforcée. La vague de protestation met le gouvernement dans une position encore plus délicate, ce qui explique l’annonce par la présidente Roussef ,le jour même, d’une série de mesures contre la corruption (dont le contenu reste peu clair), ainsi que la possibilité d’un remaniement ministériel.

La contradiction de la situation réside en ce que parallèlement ã une polarisation croissante dans le pays, les principaux partis du régime (PT, PSDB et PMDB) semblent envisager dans les coulisses la possibilité d’une sorte de pacte dynamique, car ils comprennent tous que le mécontentement populaire et la crise de représentation croissants, combinés ã une certaine politisation, pourraient donner lieu ã des tendances moins contrôlables qui entraineraient une plus forte instabilité du régime, ce qui n’arrangerait aucun de ces partis.

Il semblerait en ce sens que l’opposition cherche ã affaiblir et ã déstabiliser le gouvernement, tout en bridant les secteurs les plus radicaux. C’est ainsi qu’il faut comprendre les propos d’Aécio Neves qui, même après les manifestations, s’est tenu clairement à l’écart de toute demande de démission du gouvernement et a proposé un « agenda positif » matérialisé par une « réforme politique » et un grand pacte pour une réforme de la fiscalité, avec à l’évidence un œil sur les prochaines élections.

Au fond, en effet, l’ensemble des partis du régime partagent le but de faire payer la crise économique aux travailleurs et, au-delà de leur jeu politicien, tous soutiennent sans faille les mesures austéritaires appliquées par le gouvernement Roussef.

Pour une riposte indépendante aussi bien du PT que de l’opposition de droite

Face à la crise politique, une issue favorable aux travailleurs ne pourra venir ni des manifestations du 15 mars, ni di gouvernement du PT. Il faudra construire une alternative, indépendante, ã partir des luttes et des organisations des travailleurs tels que les syndicats, dont ils doivent reprendre la direction, en en débarquant la bureaucratie qui les paralyse.

Cette issue ne pourra venir que d’un programme qui s’oppose à la corruption de tous les partis du régime, en imposant la mise en place de commissions indépendante contrôlées par les syndicats, associations et organisations de défense des droits de l’homme, afin d’enquêter, punir et confisquer les biens de tous les responsables, ce que ne font jamais les commissions parlementaires.

Il faudra également en finir avec les énormes privilèges d’une caste politique dont le train de vie et les intérêts n’ont rien ã voir avec ceux des travailleurs et des couches populaires, en imposant que tout élu touche le salaire moyen d’un travailleur et qu’il soit révocable lorsqu’il ne respecte pas ses promesses. Il faut en finir aussi avec le Senat qui est l’expression paradigmatique de cette caste, pour mettre en place un régime ã chambre unique.

A l’évidence, aucune réforme politique n’imposera de telles mesures. C’est pour cela que les travailleurs devront imposer, par leur mobilisation et au travers leurs organisations, la convocation d’une véritable Assemblée Constituante, libre et souveraine, pour changer radicalement les choses. Il s’agirait d’une constituante qui mettrait fin ã ce régime où seuls les riches et les puissants participent réellement à la vie politique, qui abrogerait les lois contraires aux intérêts des travailleurs, punirait réellement les responsables de la corruption, qui en en finirait avec la politique d’austérité et le paiement de la dette pour investir dans la santé, l’éducation, le logement et en particulier le transport, qui a été l’étincelle des manifestations de juin 2013 et devrait être étatisé sous contrôle des travailleurs et des usagers.

17/03/15

 

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