Daniela Cobet [1]
La crise politique dans laquelle se trouve plongée le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) depuis maintenant plusieurs années n’est pas un scoop. Année après année, congrès après congrès elle n’a fait que s’aggraver, jusqu’à devenir chronique. Non seulement les effectifs du parti se sont effondrés jusqu’à des seuils inférieurs ã ceux de l’ancienne LCR, mais ce qui le caractérise de façon prédominante, c’est un état de paralysie impuissante.
Le refus obstiné du noyau de direction de tirer la moindre leçon de l’échec du projet de départ du NPA et d’opérer la moindre clarification y est pour beaucoup. Pris dans une logique d’occupation d’espaces électoraux plutôt que de construction prioritaire au sein de la classe ouvrière, le NPA s’est d’abord fait marginaliser par la dynamique initiale du Front de Gauche en 2009 – celui-ci s’étant emparé de l’espace électoral à la gauche du PS que la direction de la LCR avait aspiré ã occuper en lançant le NPA suite aux bons scores d’Olivier Besancenot. Il est resté incapable de capitaliser la crise ultérieure de ce même Front de Gauche, et de l’ensemble des médiations réformistes aspirées par la crise et le discrédit croissants de la gauche au pouvoir.
Une défaite pour l’ancienne direction, mais pas d’orientation alternative
Cette impasse a conduit le noyau central de l’ancienne direction (François Sabado, Olivier Besancenot, etc.), regroupé dans la Plateforme 1 (P1) ã un échec lors du troisième Congrès du NPA qui s’est tenu ã Paris les 30-31 janvier et 1er février dernier, et ã une position minoritaire, ne recueillant que 35% des voix et s’étant vu imposer une motion sur les prochaines échéances électorales contraire ã sa politique de listes communes avec des composantes du Front de Gauche. Il s’agit d’un véritable désaveu de la politique menée par la majorité sortante.
Néanmoins, aucune plateforme n’étant sortie du congrès en position majoritaire, la situation qui s’est ouverte dans le parti est celle d’un vide d’orientation qui ne fait qu’aggraver les éléments de paralysie et accentue les tendances centrifuges dans un contexte de coexistence de projets stratégiques bien distincts.
Un des éléments qui expliquent le recul de la direction sortante a été la rupture d’une partie de ses militants et dirigeants, dont Alain Krivine, qui ont constitué avec une rupture antérieure du courant Anticapitalisme et Révolution (AR) la Plateforme 2 (P2) qui a recueilli 26% des suffrages. Ces camarades, tout en adressant des critiques partielles justes à la politique de l’ancienne majorité et défendant une politique davantage indépendante de la gauche réformiste, continuent cependant de se situer dans le cadre du projet fondateur du NPA (et donc des partis larges) et se présentent comme une sorte de centre rassembleur d’un parti profondément divisé.
Le pari de la Plateforme 3
Depuis sa création, en 2011, le CCR a avancé l’idée que seule une refondation stratégique du NPA sur des bases de classe et révolutionnaires pouvait offrir une porte de sortie à la crise de projet du parti et le mettre sur les rails d’une intervention capable d’offrir une perspective ã des milliers de travailleurs et de jeunes qui se sont battus contre les effets de la crise capitaliste et qui, désillusionnés par la gauche institutionnelle, deviennent de plus en plus perméables ã une multitude d’idées réactionnaires se présentant comme antisystème ou sombrent dans la plupart des cas dans une grande apathie.
C’est autour de cette idée, ainsi que de la bataille pour une politique d’indépendance de classe et donnant la priorité à l’implantation et à l’intervention ouvrières, que s’est constituée la P3. Malgré notre proposition de rassembler la gauche du parti autour de ces objectifs, aussi bien les camarades de la fraction l’Etincelle que ceux de la Tendance Claire (TC) ont fait le choix du repli et ont ainsi constitué respectivement les plateformes 4 et 5, faisant chacune environ 7%.
La première a dédouané la direction sortante de toute sa responsabilité dans la crise du parti en invoquant uniquement les fameuses « raisons objectives » et en présentant une sorte de « mode d’emploi » sur l’intervention ouvrière comme l’alpha et l’oméga de la réorientation du parti sans jamais discuter du programme ou de la stratégie du parti que nous voulons. La P5 quant ã elle a fait le « calcul électoral » de chercher ã capter une partie de l’espace politique de l’ancienne plateforme W en s’adaptant ã des éléments libertaires ou post-modernes, en rupture avec les perspectives que nous avons pu défendre ensemble lors des congrès de 2011 et 2013.
La P3, qui a obtenu 22% des voix au Congrès, a été ainsi le résultat d’un regroupement du CCR et d’AR, à la suite d’un processus intense de débats, d’homogénéisation politique et d’interventions communes face aux principaux phénomènes politiques et de la lutte de classes (attentats de janvier, grèves à la Poste et à la SNCF, etc.). C’est ce processus qui a permis de garder une cohérence sur le fond pendant tout le Congrès et de s’attaquer au cœur des questions stratégiques et d’orientation, tout en s’adressant aux autres plateformes pour contribuer ã faire avancer, même partiellement, le parti dans son ensemble.
La situation en Grèce, pierre angulaire des divergences stratégiques du NPA
C’est principalement au travers de la discussion sur la situation grecque que les vrais débats se sont invités ã ce Congrès. Comme nous l’avons expliqué dans une explication de vote à la suite du dernier Conseil Politique National (CPN) :
« Notamment parce qu’elle [la situation grecque] réactualise les débats autour de notre hypothèse de pouvoir en tant qu’anticapitalistes et révolutionnaires. "Gouvernement anti-austérité" ? "Gouvernement anticapitaliste soutenu par des mobilisations" ? Quels rapports entre les institutions et la lutte extra-parlementaire ? Sous quelles conditions cela peut-il se justifier de participer ã un gouvernement élu dans le cadre des institutions actuelles ? Quelle attitude des révolutionnaires face ã des formations politiques telles que Syriza et Podemos, que certain-e-s ici ont choisi de désigner par la formule de "nouveaux réformismes" ? […] »
« Les camarades de la P1 nous expliquaient à l’époque [du Congrès] que l’on ne pouvait pas soutenir le peuple grec sans soutenir Syriza et Tsipras, et ont fait presque un casus belli du refus majoritaire au sein du CE de participer au meeting de la salle Japy [2]. Ces mêmes camarades affirmaient également que l’élection de Tsipras allait encourager les luttes, que son élection était une bouffée d’air frais pour les peuples de toute l’Europe et (en paraphrasant un célèbre passage du Programme de Transition) qu’on ne pouvait pas exclure que la direction réformiste de Syriza soit poussée par les évènements ã aller plus loin que ce qu’elle aurait voulu dans sa rupture avec le capitalisme. Certains se sont même lancés sur des généralisations expliquant qu’il était très probable que les prochains processus révolutionnaires soient déclenchés par des victoires électorales. Il nous semble que le moins qu’on puisse dire aujourd’hui c’est que la réalité a réfuté sans appel l’ensemble de ces positions. ».
Il s’agit donc bien, du côté des camarades de la P1, d’une clarification à l’égard des ambiguïtés du projet de départ du NPA : mais dans un sens inverse ã celui que nous défendons, c’est-à-dire dans le sens d’une adaptation plus ouverte ã des courants réformistes qui, sous un visage renouvelé, affichent très vite leur adhésion ã une bien vieille politique, celle de la conciliation de classes : en Grèce au travers du gouvernement de coalition avec les bourgeois xénophobes de l’ANEL, et dans l’Etat Espagnol, même si c’est de façon moins frontale pour l’instant, la couleur est cependant annoncée par Pablo Iglesias qui commence maintenant ã s’adresser explicitement aux « riches honnêtes » et aux grandes entreprises.
La plateforme 2 : « frondeurs » du NPA ou réelle opposition ?
Dans ce contexte, et au-delà des divergences importantes qui nous séparent des camarades de la P2, il était évident pour nous qu’il fallait faire front contre cette orientation liquidationniste du NPA et acter sa mise en minorité par l’adoption de quelques axes d’orientation majoritaires chez les militants (indépendance à l’égard du Front de Gauche, renforcement de l’intervention en direction de la classe ouvrière). C’était le sens de notre proposition d’une déclaration commune de fin de congrès.
Mais prétendant refuser une soi-disant logique de« bloc contre bloc », les camarades de la P2 ont fait le choix délibéré de rester au milieu du gué. A l’image des frondeurs du PS qui, tout en s’opposant ã certaines mesures du gouvernement, refusent de lui retirer leur confiance, ces camarades sont allés jusqu’à ce positionnement absurde ayant consisté ã ne pas voter un texte présenté par eux-mêmes aux délégués… car il risquait d’être majoritaire !
Nous le regrettons sincèrement car il était possible de faire avancer le parti malgré nos désaccords et d’imposer des limites plus claires à l’orientation de la P1. Nous sommes obligés de constater qu’à force de vouloir rester dans une position équidistante entre la P1 et la P3, le rôle principal de la P2 a fini par être celui d’un obstacle à l’émergence de la gauche du parti.
Depuis, la Plateforme 2 s’est dissoute sous prétexte de ne pas renforcer les divisions du parti. Mais en réalité c’est avant tout en raison des inconsistances internes qui l’empêchent de formuler la moindre orientation cohérente face aux principaux évènements de la situation politique. Néanmoins le virage proposé par la P1 et la pression qu’elle exerce sont tels, que malgré toute la bonne volonté des camarades de la P2, les bases pour la reconstitution d’un bloc majoritaire avec la P1 ne semblent pas données pour le moment, au-delà de quelques accords de façade au niveau du CPN.
Une situation instable et des défis pour la gauche du parti
Mais la politique a horreur du vide, on le sait bien. Cette situation ne pourra pas durer longtemps et tôt ou tard une des deux orientations qui existent aujourd’hui au sein du parti, chacune défendant un projet stratégique fondamental, devra s’imposer sur l’autre. Si ce n’est pas la gauche du parti, dans son expression la plus conséquente lors de ce Congrès qu’a été la P3, ce sera le projet de la P1 avec les conséquences catastrophiques que cela impliquerait. Ainsi, l’absence actuelle de majorité prépare objectivement une bataille pour l’orientation et la direction du parti.
C’est pourquoi la bataille politique qui a été menée par la P3 contre l’orientation de la P1 reste plus que jamais d’actualité. C’est en ce sens que nous étions partisans de son maintien et de sa constitution en tendance. Malheureusement, les camarades d’AR ne sont pas pour l’instant de cet avis et font le choix de privilégier la construction de leur propre courant, même si nous maintenons et espérons approfondir le cadre de collaboration et d’expérience commune construit au cours des dernier mois.
Dans ce contexte le CCR continuera donc sur la voie qui a été la sienne depuis sa création, celle de la lutte pour doter le NPA d’une stratégie et d’un programme révolutionnaires, de l’intervention audacieuse dans les principaux processus de la lutte de classes, de la défense des idées marxistes révolutionnaires, et de la perspective d’un regroupement ã gauche qui pose les jalons d’une direction alternative pour le NPA et plus largement fasse bouger les lignes au sein de l’extrême-gauche, laquelle, dans son ensemble, n’est aucunement aujourd’hui à la hauteur des défis qui lui sont posés.
30/03/2015
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