Il y avait comme un air de déjà -vu qui planait sur Athènes, mercredi. A la Vouli, le parlement grec, on a voté, comme au temps des cabinets pro-Troïka, un plan de « sauvetage » fait de coupes budgétaires et de contre-réformes. Cette fois, cependant, c’est le gouvernement Syriza-Anel qui conduisait l’opération, après la capitulation complète de Tsipras et l’engagement du Premier ministre grec ã mettre en œuvre le programme néocolonial imposé dimanche par les créanciers du pays. Dans la soirée, sur la Place Syntagma, en face du Parlement, alors que prenait fin la manifestation de plusieurs milliers de personnes (15.000, selon certaines sources), dans le cadre de l’appel à la grève générale du secteur public et des transports, la première depuis l’arrivée la victoire de Syriza, l’air se chargeait de gaz lacrymogènes, comme lors des grandes manifestations de 2012, alors que le MAT, la police anti-émeutes grecque, chargeait les remontées de manifestants. A l’époque, c’était la droite qui était au pouvoir. Avec le vote de mercredi, Tsipras réussit ã passer le premier tour du marathon parlementaire, grâce aux voix de l’opposition, et ce en dépit de la défection d’une partie des parlementaires de son propre parti.
Un nouveau paquet de mesures austéritaires
L’appui de la Vouli permet ã Tsipras de faire face aux engagements du pays et de débloquer des fonds destinés au remboursement, lundi, de deux nouvelles échéances de la dette contractée auprès de la BCE (3,5 milliards) et du FMI (2 milliards). En « contrepartie », une série de nouvelles attaques devaient être votées avant minuit, heure-butoir fixée par les « partenaires » européens de la Grèce, nouveaux maîtres du pays : l’augmentation de la TVA ã 6%, pour les médicaments, ã 13% pour les produits de base, l’énergie et l’eau, et de 13 ã 23% pour le reste ; le passage ã 67 ans de l’âge de départ à la retraite, pour 2022, l’augmentation des prélèvements sociaux pour l’assurance maladie et l’élimination progressive des subventions pour les pensions les plus basses ; la création, enfin, d’un « conseil indépendant de contrôle » sur l’Institut Grec de Statistiques pour veiller ã ce que le pays réponde à l’intégralité de ses engagements « sans frauder », comme si les autres pays de la zone euro n’avaient pas, eux, dépassé depuis longtemps les critères de Maastricht qu’ils s’étaient eux-mêmes fixés, Allemagne et France en tête.
Chantage de Tsipras, « opposition » de Syriza
« Soit vous êtes avec moi, soit je ne suis plus Premier ministre ». Voilà l’ultimatum lancé par Tsipras ã ses « frondeurs » ayant menacé de faire défection, le Premier ministre n’assistant même pas à la votation, dans la soirée. Plus tôt, dans la journée, une courte majorité du Comité Central de son propre parti, qui ne contrôle plus rien tant l’équipe resserrée autour du Premier ministre s’est autonomisée, avait voté ã 107 voix sur 201, contre le plan soumis aux députés.
Mais peu de personnalités de premier plan de Syriza ont préféré démissionner plutôt que d’être soumis au chantage de Tsipras. Nadia Valavani, vice-ministre de l’Economie, à l’origine du programme économique du parti et « amie de trente ans » de Tsipras, a fait un pas de côté, de même que trois sous-secrétaires d’Etat. La présidente du Parlement, Zoé Konstantopoulou, qui s’était également prononcée contre le Mémorandum et qui est l’objet d’attaques extrêmement violentes de la droite du parti et de la presse, tentait de faire déborder le débat au-delà de minuit.
Le plan est adopté grâce à l’opposition et le gouvernement reste en place grâce aux Grecs Indépendants
Le plan est passé avec 229 « oui », dont les 106 voix de Nouvelle Démocratie, du Pasok et de To-Potami. Du côté du « non », en plus des voix du KKE, le PC grec et de l’extrême droite d’Aube Dorée, il y a eu celles de 32 parlementaires de Syriza, parmi elles celle de l’ex-ministre de l’Economie Yanis Varoufakis, qui essaie de faire oublier ses reculades pendant cinq mois de négociations, et celle de Panagiotis Lafazanis, encore ministre, lui, ainsi que celle des députés répondant à l’aile gauche du parti.
Selon la Constitution grecque, il fallait, ã Tsipras 120 voix de l’actuelle majorité parlementaire Syriza-Anel pour éviter que son gouvernement ne tombe. Grâce à la discipline de vote d’une bonne partie des parlementaires de Syriza, ayant préféré obéir au Premier ministre plutôt qu’au Comité Central de leur parti, ainsi que les 13 voix du parti de droite nationaliste Anel, Tsipras a réussi ã réunir 123 voix de la majorité sur son texte.
Pour l’heure, sans que les pressions ne cessent du côté de Bruxelles et des puissances impérialistes européennes pour que le gouvernement soit profondément remanié avec l’entrée de l’opposition en son sein, Tsipras entend continuer ã constituer des majorités ad hoc au cours des prochaines semaines pour faire approuver le reste des mesures exigées par la Troïka. Il va être contraint de remanier, en interne, son gouvernement, pour faire face aux démissions, mais reste en place, sans que cela ne garantisse que des élections anticipées ne soient pas organisées cet automne.
15.000 personnes dans les rues d’Athènes contre la trahison de Tsipras
Alors que dans la rue, les travailleurs du secteur public et des transports, en grève, à l’appel d’ADEDY et du PAME, le courant syndical du KKE, manifestaient dans les principales villes du pays, avec 15.000 personnes ã Athènes, la « gauche » de Syriza ainsi qu’un certain nombre de dissidents continuaient ã pratiquer la politique de l’équilibriste : les « frondeurs » ont souligné, ã plusieurs reprises, qu’ils votaient contre les réformes, mais qu’ils continuaient ã soutenir le gouvernement.
La Plateforme de Gauche de Syriza, dirigée par Lafazanis, qui reste accroché ã son maroquin ministériel, prévoit d’organiser, avec les dirigeants syndicaux qui lui répondent, un rassemblement, dans la capitale, lundi 20 juillet. Enième « koloutoumba » et preuve ultérieure de leur pusillanimité, il s’agit d’un temps précieux concédé à l’exécutif alors que les secteurs les plus combatifs au sein du monde du travail et de la jeunesse souhaitent en découdre avec le gouvernement qui a trahi le mandat du 5 juillet, lorsque 61% de l’électorat grec a dit « non » à l’austérité.
Afin d’éviter que ne se répètent des scènes d’affrontements, comme en 2012, au moment où la droite était au pouvoir et la direction de Syriza et Tsipras soutenaient activement les mobilisations contre la Troïka, plusieurs milliers de policiers avaient été déployé autour du Parlement, épaulés par des dizaines de blindés. Après que les colonnes du PAME, dont la direction continue ã opter, en bonne logique stalinienne, pour mobiliser de son côté, sans chercher ã construire un front unique des organisations du monde du travail et de la jeunesse opposés au Plan Tsipras, les forces de répression ont chargé les manifestants ã plusieurs reprises dès le début des échauffourées, symbole de l’énième trahison du Premier ministre, qui avait assuré que les rues de la capitale ne seraient plus militarisées pendant les mobilisations. Une cinquantaine de manifestants, militants et syndicalistes ont été interpellés dans la foulée.
Tsipras remporte la première manche, mais les manifestants n’ont pas dit leur dernier mot
Tsipras essaye de s’appuyer sur une majorité de Grecs qui, selon les sondages, soutiendrait, en dernière instance, la mise en place du nouveau Mémorandum, craignant le « Grexit ». Les hommes du Premier ministre ont pris le relais des médias de droite dans la campagne de terreur qui a été lancée avant le référendum : « Tsipras a mené une bataille pour laquelle il avait quasiment aucune chance de gagner, mais il a gagné. Il a évité la fermeture des banques et la mort subite de l’économie ». C’est avec un ton dramatique que Giogios Katrougalos, vice-ministre de l’Intérieur, a défini la votation de mercredi soir, pour justifier la mise sous tutelle du pays.
Mais si la classe ouvrière grecque et la jeunesse manquent aujourd’hui d’une boussole, pour mener, eux, la bataille contre un gouvernement qui précipite le pays dans la catastrophe (et la Plateforme de Gauche de Syriza continue ã contribuer ã cette confusion, par ses zigzags et ses volte-face qui servent objectivement, en dernière instance, Tsipras), ils n’ont pas été défaits. La journée de grève de mercredi en atteste. Elle montre l’expérience que font les travailleurs et la jeunesse avec ce gouvernement de « gauche radicale » et indique que ses forces n’ont pas été entamées pour poursuivre le combat, dans la rue, les quartiers et surtout les lieux de travail, du public comme du privé, pour faire reculer le gouvernement, prêt ã tout pour faire appliquer une austérité renforcée. C’est la seule issue qu’il leur reste pour éviter la déflation ou un Grexit catastrophique appliqué dans le cadre du capitalisme.
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