Après l’attentat du 20 juillet qui a coûté la vie ã 32 jeunes militants de la gauche turque et kurde ã Suruç, dans le Sud de la Turquie, Ankara a donné son accord à l’utilisation par la Coalition Internationale contre l’Etat Islamique de ses bases aérienne. Le gouvernement a donné l’ordre de bombarder plusieurs positions de Daech en territoire syrien, mais a surtout lancé son armée et sa police contre les militants de la gauche turque et kurde ainsi que contre les bases du parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK). On savait le président Erdogan partisan de la méthode forte, mais la brutalité d’Ankara, ces derniers jours, est sans commune mesure avec ce ã quoi le gouvernement islamo-conservateur de l’AKP avait orchestré, ces dernières années.
Dans un courrier adressé à l’ONU, la Turquie a justifié ses bombardements sur la région d’Izaz, en Syrie, au nom du fait que le régime de Bachar al Assad « ne serait pas capable ou n’aurait pas la volonté » de combattre les groupes terroristes islamistes… que le gouvernement islamo-conservateur de Recep Tayyuip Erdogan a appuyé en sous-main depuis 2011.
Reprise des bombardements contre le PKK
Côté états-unien, à la tête de la Coalition, Washington a déclaré respecter « pleinement le droit de notre allié turc à l’autodéfense », ã savoir contre Daech mais, surtout, contre le PKK. Le Département d’Etat a ainsi condamné les récentes « attaques terroristes » de l’organisation kurde, notamment des prises d’otages dans la province de Sirnak et ã Diyarbakir, la capitale du Kurdistan turc, ainsi que l’exécution de trois policiers dans l’Est du pays. Le parti d’Abdullah Ocalan répondait ainsi à la rupture de la trêve unilatérale officialisée par le PKK et Ankara le 28 février dernier, à l’attentat de Suruç ainsi qu’à l’intensification des bombardements contre huit de ses bases dans les montagnes du Kurdistan turc et iraquien, dans les zones de Qandil, Xahurke et Enze, au cours desquels de nombreux civils ont perdu la vie, ainsi que Servan Onder, l’un des responsables militaires du parti.
Soit dit au passage, l’aviation militaire iranienne a participé aux frappes, Téhéran ne perdant jamais une occasion pour appuyer toute les actions anti-kurdes et, spécifiquement, à donner des gages de bonne conduite ã Washington, avec qui le régime des mollahs a signé un accord historique sur le nucléaire. La manœuvre, côté Ankara est tellement grossière, que Brett McGurk, l’adjoint à l’émissaire spécial de Barack Obama auprès de la Coalition Internationale contre Daech, a déclaré samedi soir qu’il n’y avait « aucun lien entre ces frappes aériennes contre le PKK et les accords récents pour intensifier la coopération américano-turque contre l’EI ».
Rafles et arrestations contre la gauche turque et kurde
Mais Erdogan ne s’est pas seulement contentés d’instrumentaliser l’attentat de lundi pour reprendre son offensive contre le PKK. Ebranlé par des mouvements de contestation ã répétition et en raison de sa défaite électorale de juin, Erdogan entend reprendre la main en faisant le choix de militariser le pays, en essayant, au passage, de marginaliser le HDP, le parti pro-kurde autour duquel s’est fédéré une bonne partie de la gauche turque et qui a fait 13% au dernier scrutin.
Dans les principales villes du pays, des rafles visant les sympathisants de Daech ont été menées… conduites surtout contre des militants du PKK et de l’extrême gauche, mais également des syndicalistes et des activistes de gauche. Ainsi, sur les 590 « terroristes présumés » incarcérés depuis samedi, 180 sont des militants du HDP. Au cours de la veillée du corps de Gunay Ozarlsan, militante de l’organisation clandestine d’extrême gauche DHKP-C tuée de 32 balles au cours de l’opération anti-PKK de jeudi 23, la police n’a pas hésité ã dévaster la maison de prière alévi où était recueillis ses proches.
L’offensive a également été mené sur le front médiatique et démocratique, attestant du virage d’Erdogan, avec la censure ou la fermeture pure et simple de plusieurs journaux de gauche à l’instar de Ozgur Gundem et Evrensel ou des sites Yuksekovahaber et Cizrepostasi. Pour « raisons de sécurité », la manifestation de dimanche appelée en hommage aux victimes de Suruç a été interdite. Elle était pourtant convoquée par un front large de partis et d’organisations constituant la Plateforme pour la Paix dont font partie les kémalistes du CHP ainsi que le HDP.
Stratégie de la tension et solidarité en France
En militarisant le pays, en faisant le pari de la stratégie de la tension et en jouant la partition de la « Turquie en guerre sur trois fronts contre les terroristes islamistes, le PKK et la Syrie », Erdogan joue gros. Le mouvement ouvrier et la jeunesse de Turquie sont, pour l’instant, comme assommés, après l’attentat de Suruç, la reprise des combats contre le PKK, la violence de la répression lancée contre la gauche et l’opposition en général, le tout justifié par la rhétorique de la lutte cotre le « terrorisme ». Cependant, il n’est pas sûr que le fait de s’être replacé pleinement dans le giron américain après sa brouille prolongée avec Washington soit, pour Erdogan, une garantie, si la situation commençait à lui échapper des mains, tant les tensions dans le pays, notamment ã sa frontière Sud, sont explosives.
Dans l’Hexagone, plusieurs manifestations ont rassemblé des milliers de personnes, notamment ã Paris, Toulouse ou encore Mulhouse et Strasbourg, en hommage aux militants tués ã Suruç et pour protester contre stratégie militaire et policière d’Erdogan. La jeunesse et le mouvement ouvrier de Turquie ainsi que le peuple kurde ont besoin, en effet, de tout notre soutien.
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