Entre la peur et l’émotion produites par la brutalité des attentats du 13 novembre à Paris et au Stade de France, par les opérations anti-terroristes à Saint Denis et l’offensive menée par Hollande pour avancer dans la politique du « tout sécuritaire » sur le plan intérieur, et au meilleur style « Bush » sur le plan extérieur, il est difficile de voir plus noir. Mais si l’on regarde au-delà des éléments superficiels de la situation, la possibilité qu’émerge un mouvement contre la guerre impérialiste et en défense des libertés démocratiques est inscrite dans l’étape qui s’ouvre.
Nous ne sommes pas en janvier
Après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper-Cacher en janvier, le rejet de la population face aux attentats avait renforcé et donné une bouffée d’oxygène à Hollande et au régime républicain. Cette situation avait également mis l’extrême droite sur la défensive car elle était restée en dehors de l’union nationale. À l’époque, le président français avait fait appel aux valeurs culturelles de la gauche d’après-68, ce qui lui avait permis de canaliser la rue lors du 11 janvier et de placer le « peuple de gauche » derrière le « Je suis Charlie ». Par cette même opération politique, Hollande avait réussi à ouvrir une brèche sociale entre les secteurs « humanistes » et progressistes des classes moyennes et la jeunesse de banlieue, tout en marginalisant encore une fois et en stigmatisant politiquement ces citoyens français de seconde zone qui refusaient de glorifier les symboles de la République.
Face aux attentats du 13 novembre, la base sociale de Hollande est la peur qui alimente son discours « bushiste ». Mais le régime est également mis à mal car il ne peut proposer rien d’autre que davantage de guerre, aussi bien sur le plan intérieur qu’extérieur, ainsi qu’une fragilisation des droits démocratiques fondamentaux, une trêve sociale unilatérale qui ne passe pas, ou du moins génère des interrogations dans une partie importante de la population. Est-ce le chemin qui nous mène à une véritable paix et tranquillité ? Allons-nous devoir vivre avec la possibilité d’un attentat chaque jour ?
La réalité, c’est que Hollande et la bourgeoisie française n’ont pas de solution à la hauteur de leurs possibilités réelles pour résoudre les contradictions qui sont en train d’exploser. Au Proche-Orient, l’impérialisme français aura beau accroître ses actions militaires, Paris dépend de la bonne volonté d’autres puissances, notamment de Moscou et de Washington. Par ailleurs, la radicalisation d’une frange de la population, issue notamment des banlieues, est l’expression de la discrimination institutionnelle systématique que subit cette même population et qui s’était déjà exprimée au cours de la révolte de 2005 sans qu’aucune solution n’ait été trouvée depuis.
Au contraire, la fracture s’est approfondie en raison du caractère raciste intrinsèque du régime et de l’État français. Dans ce cadre, Hollande affirme que « nous sommes en guerre ». Néanmoins, il est bien incapable de fixer les objectifs de cette même guerre, ainsi qu’une feuille de route. C’est en ce sens que les vulnérabilités de la France pourraient, tôt ou tard, refaire surface. Cette faiblesse stratégique s’exprime aujourd’hui à travers le fait que l’union nationale réactionnaire par en haut, qui présente de nombreuses contradictions par ailleurs, n’est pas suivie, à la base, par un discours hégémonique. Pour les nombreux lycéens qui se sont mobilisés dans plusieurs villes de France, au-delà des manifestations officielles, en solidarité avec les jeunes morts et face à la barbarie des attentats, il est difficile de se sentir solidaires d’un gouvernement et d’un régime de plus en plus néo-conservateurs et qui utilisent de plus en plus le discours et le programme sécuritaires de la droite et même de l’extrême droite.
La guerre au Moyen-Orient : une source de revers nouveaux et permanents
Afin d’essayer de montrer l’autorité et la force de la France, Hollande continue sa guerre au Proche-Orient avec des moyens et des ressources limités, par-delà son discours militariste. L’accélération de son virage en direction d’une politique de coordination avec la Russie pour mener la guerre en Syrie a d’énormes contradictions. Dans la situation actuelle, il n’est pas non plus sûr que les États-Unis soient prêts à s’engager davantage, ce qui est encore moins le cas des partenaires européens de Paris qui sont stupéfaits face à la déclaration de guerre de Hollande, sans aucun objectif clair. Autrement dit, l’effort guerrier du gouvernement français peut très rapidement l’exposer à ses propres faiblesses, qui pourront ensuite être utilisées contre lui aussi bien sur le théâtre d’opérations au Proche-Orient, que sur le territoire européen et français afin de stopper l’escalade guerrière en France.
La politique et les massacres impérialistes au Proche et Moyen-Orient ont non seulement fait des centaines de milliers de morts depuis que les États-Unis ont envahi l’Afghanistan et l’Irak, mais ils ont également créé les conditions du surgissement de phénomènes aberrants comme l’État Islamique, en plus de s’allier à des régimes complètement réactionnaires comme Israël, l’Arabie Saoudite ou la dictature égyptienne. Ces massacres ont des conséquences en Europe, comme le démontrent d’ores et déjà la crise des réfugiés et les attentats du 13 novembre. Il n’y a pas de rempart contre cette réalité, en particulier lorsqu’une radicalisation s’empare des citoyens français racisés de culture musulmane, marginalisés pendant des années par l’État capitaliste et ses politiciens. Un saut dans l’interventionnisme militaire de la France ne peut qu’aggraver cette situation. Dans ce sens, de nouveaux attentats et d’autres attaques sont malheureusement hautement probables. Mais sommes-nous prêts à céder nos espaces de sociabilité à une machine de la guerre permanente à l’américaine ?
Un mouvement différent des mouvements anti-guerre des années 2000
Si un grand mouvement contre la guerre surgit, même si celui-ci s’exprime au début de façon minoritaire et par le biais d’une avant-garde comme ça a été le cas lors de la guerre d’Algérie, il est clair que celui-ci sera différent des mouvements contre la guerre en Irak dans les années 2000. Et ceci pour plusieurs raisons.
Premièrement, parce que la crise capitaliste qui s’est déclenchée depuis 2007/2008 a aggravé les contradictions au sein de l’Union Européenne. Le capitalisme européen en général et tout particulièrement le capitalisme français se trouvent ainsi dans une impasse. Deuxièmement, parce que cette contestation devra faire face à des Etats et régimes plus bonapartistes, et qui ont opéré un saut dans leur caractère autoritaire ; on a pu le constater même avant les attentats du 13. Troisièmement, et c’est un élément clef, parce que tout mouvement pouvant surgir dans ce contexte devra faire face aussi à l’hostilité et même aux attaques des secteurs identitaires et d’extrême droite. Ceci a déjà commencé à émerger ponctuellement à travers les attaques islamophobes qui se sont multipliées ces derniers jours. Ces secteurs se sont renforcés avec les attentats.
Face à l’accélération de la crise de l’Union Européenne et aux menaces qui viennent de l’extérieur et qui trouvent leur écho à l’intérieur, ils ne proposent qu’une seule voie de sortie utopique et réactionnaire, celle du repli sur soi et du retour à l’État nation. Tous ces éléments ont lieu lorsque la crise actuelle reflète précisément la crise de l’État nation, ainsi que son impuissance à gérer les tendances profondes de l’économie mondiale et sa réfraction dans la politique et la lutte de classes. Ce n’est pas un hasard si cette crise se vit de façon plus « existentielle » et aiguë en France en raison de sa tradition centraliste qui date d’avant la Révolution Française et que celle-ci a permis de prolonger, de la même façon que l’a fait le gaullisme au XXe siècle. Depuis des années, les forces productives, ayant dépassé les frontières nationales, entrent en contradiction avec l’État nation et ses frontières. Cette contradiction ne peut se résoudre que progressivement avec l’avènement de la révolution internationale et une politique de solidarité entre les peuples, c’est-à-dire, une politique internationaliste prolétarienne.
Transformer la colère face aux attentats en lutte contre la politique guerrière impérialiste
Face aux événements tragiques actuels, les organisations qui se revendiquent du trotskisme ont une énorme responsabilité. Il est fondamental de mener une politique courageuse et de défendre un programme correct face au tournant liberticide, xénophobe et militariste du régime français et de Hollande. Un programme qui part de la condamnation sans équivoque des attentats, de la solidarité avec les victimes, qui se positionne contre l’État d’urgence, les guerres impérialistes et le racisme, peut trouver un nouvel écho dans une population qui craint pour quelque chose d’aussi élémentaire que sa propre survie ou celle de ses proches. Un discours et un dialogue simple avec les travailleurs et étudiants sur les lieux de travail et d’études, qui dise : « si tu ne veux plus d’attentats, qu’on ne tue plus tes proches, ta famille ou toi-même, la seule chose qu’on peut faire c’est un grand mouvement pour stopper les interventions de notre gouvernement impérialiste en Afrique et au Proche et Moyen-Orient. Lutter contre le plan qui cherche à rogner nos libertés et qui donne tout le pouvoir aux réactionnaires qui nous gouvernent, etc. Notre propre barbarie (celle de nos gouvernements) est contestée par celle des barbares djihadistes ».
Un discours comme celui-ci peut augmenter l’audience et l’influence de l’extrême gauche dans des secteurs de la population qui sont terrifiés par la possibilité de nouvelles attaques terroristes et en ont assez des sirènes de police, des camions de l’armée qui tournent à l’intérieur de Paris et d’autres villes et des militaires qui montent la garde dans les gares et les lieux publics. À mesure qu’augmentent les coûts et les conséquences collatérales de la politique proposée par Hollande ou l’extrême droite et qui ne feront qu’aggraver le malaise et le déchirement vécus par la classe travailleuse, le discours et le programme des révolutionnaires peut apparaître comme la seule issue réaliste. Ce serait le meilleur hommage pour venger toutes celles et ceux qui sont morts inutilement lors de la nuit tragique du 13 novembre.
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