Le président américain Barack Obama a prononcé mercredi 12 janvier son huitième et dernier discours sur l’état de l’Union. Déterminé à ne pas apparaître aux yeux des électeurs comme un ‘lame duck’ (« canard boiteux »), le président sortant a dressé le bilan de ses sept ans et demi à la Maison Blanche dans une ambiance solennelle. Évoquant les « valeurs américaines » et les succès de ses deux mandats, Obama a surtout profité de l’occasion pour transformer l’échéance en un meeting de lancement de la campagne démocrate en vue de la prochaine élection présidentielle.}
La mise en scène d’un président triomphant
Pour une dernière fois, Obama s’est adonné mercredi 12 janvier à l’exercice de ce rite de la démocratie états-unienne. Dans un nouvel étalage de ses talents d’orateur devant les deux chambres du Congrès réunies, Obama a cherché à se montrer audacieux et à mettre en scène un bilan triomphant, loin de l’image du « canard boiteux » attribué à tant d’autres présidents en fin de mandat. Manifestement, il n’a pas hésité à s’en prendre durement à ses adversaires républicains.
Comme de coutume, le président a accordé une place importante à la défense des « valeurs américaines » individualistes et du système capitaliste. Mais cherchant à réactiver et à enthousiasmer l’aile progressiste du Parti démocrate, il y a ajouté une bonne dose de démagogie à l’égard des personnes noires et de la population immigrée. « Les bénéficiaires de coupons alimentaires n’ont pas causé la crise financière. L’imprudence de Wall Street l’a fait » a-t-il déclaré devant les parlementaires. Une douce musique aux oreilles de nombreux progressistes à travers le pays, qui n’est pas loin de rappeler celle jouée par François Hollande au Bourget, en 2011, lorsqu’il a déclaré que « [son] véritable ennemi, c’est le monde de la finance. »
Un bilan aux brillantes couleurs anti-populaires...
Il a consacré l’essentiel de son discours aux succès qu’il a remporté pendant son séjour de huit ans à la Maison Blanche. Parmi ceux-ci, il a mis l’accent sur la reprise économique, la création d’emplois, fortement encouragée par sa politique d’assouplissement quantitatif (« quantitative easing »), ainsi que le sauvetage très généraux des banques. Bien entendu, Obama s’est gardé d’expliquer que les emplois créés depuis restent principalement précaires et à bas salaires - notamment dans la restauration rapide et la grande distribution - alors que la crise a surtout supprimé des emplois à hauts et moyens salaires. Il n’a par ailleurs pas manqué de noter le retournement de l’industrie automobile, retournement dans lequel plus de 100 000 emplois ont été créés, au prix fort des lois du « droit au travail » qui prolifèrent dans le pays et surtout dans les états du sud, où les usines automobiles se sont réinstallées dans les dernières années. Précisons que cette perspective interdisait de fait le droit de se syndiquer.
Il a également défendu le Patient Protection et Affordable Care Act, texte qui a constitué le principal volet de la réforme du système de protection sociale d’Obama, au cours de son premier mandat. Alors que cette réforme a été vendue comme une étape vers un système de santé universel et public, 12 % de la population, soit 35 millions de personnes, continue à ne pas bénéficier d’une assurance-maladie. Malgré une relative amélioration entre 2010 et 2015, cette réforme a en réalité consacré le rôle des grandes compagnies d’assurance de santé privées, érigées en véritable clef de voûte du système de santé états-unien. En rendant obligatoire l’achat d’une assurance maladie auprès de ces organismes, chaque personne risque d’encourir une forte pénalité, et ce sont les travailleurs et jeunes précaires qui en sont les principales victimes.
Il n’a pas non plus oublié de chanter les louanges du No Child Left Behind Act (NCLB). « La réforme bipartite du NCLB était un début important, et ensemble, nous avons augmenté l’accès à l’enseignement de la petite enfance, le taux d’obtention du diplôme dans les écoles secondaires et encouragé le développement des domaines comme l’ingénierie » s’est-il vanté. Pourtant, cette loi votée sous la présidence de George W. Bush au début des années 2000 est responsable de la fermeture de nombreuses écoles publiques ou de leur transformation en écoles privées, de la prolifération des examens normalisés comme seul critère de notation et d’un désinvestissement important concernant l’éducation des minorités, c’est à dire les non-anglophones et les élèves en situation de handicap ou issus des classes populaires.
… et guerrières
En ce qui concerne la politique extérieure, Obama s’est montré plus pragmatique. Il a fortement critiqué les tactiques alarmistes de ses adversaires républicains, qui brandissent sans cesse l’épouvantail de Daech et des migrants syriens. Sans le nommer directement, Obama a fustigé Donald Trump pour sa rhétorique anti-migrant et réactionnaire, affirmant que l’idée selon laquelle « nos ennemis se renforcent » n’est que de « l’air chaud ». « Nous consacrons plus d’argent aux dépenses militaires que les prochains huit pays combinés (…) le système international que nous avons construit à la suite de la Deuxième Guerre mondiale peine actuellement à s’adapter à cette nouvelle réalité. C’est à nous d’aider à refaçonner ce système-là » a-t-il expliqué.
Malgré le fait qu’il se présente depuis son élection comme un pacifiste, s’étant même vu attribuer le Prix Nobel de la Paixpour avoir « mis fin » aux guerres en Irak et en Afghanistan, il n’a pas hésité à faire appel au Congrès pour autoriser l’usage de la force militaire contre Daech au Moyen-Orient, dans la directe lignée des interventions en Libye et en Syrie. Dans une tentative de tempérer sa rhétorique guerrière, qui risque de déplaire à certains secteurs de la base du Parti démocrate, il a affirmé que « nous ne pouvons pas essayer de prendre le contrôle de et reconstruire chaque pays qui tombe en crise (…) c’est la leçon du Viêt-nam, d’Irak. »
Un programme gauchisé pour redonner de la couleur au Parti démocrate
Pour finir, Obama a signalé plusieurs défis auxquels le gouvernement devrait faire face dans les mois et les années à venir : réformer de fond en comble le système d’immigration, protéger les enfants de la violence armée, instaurer l’égalité de salaire entre les hommes et les femmes et les congés payés, augmenter le salaire minimum. Le besoin pour toutes ces réformes se ressent fortement parmi les travailleurs et les jeunes du pays. Des millions de Latinos et de travailleurs immigrés qui vivent et travaillent aux États-Unis souffrent quotidiennement du cynisme d’un système d’immigration cassé. Par ailleurs, les États-Unis est le seul pays industrialisé où les congés payés ne sont pas garantis en cas de maladie ou de grossesses. Cependant, Obama s’est déjà engagé à résoudre ces problèmes lors de son discours sur l’état de l’Union en janvier 2015, sans que rien ne change depuis.
Dans le même ordre d’idée, il s’est engagé il y a un an à augmenter le salaire minimum fédéral, mais n’a toujours pris aucune mesure concrète. Les conseils municipaux et les assemblées législatives de certains États se sont vu obligés d’augmenter le salaire minimum, du moins localement, sous la pression des mouvements populaires et des vagues de grèves. Mettant l’accent sur la nécessité d’instaurer le contrôle des armes, Obama a envoyé un signal de soutien clair à Hillary Clinton qui combat bec et ongles Bernie Sanders dans le cadre de la primaire démocrate, ce dernier s’étant montré plus qu’hésitant à soutenir une telle initiative.
En conclusion, le président a fait un geste d’ouverture aux Républicains, en les invitant à travailler main dans la main avec les Démocrates. Une posture tactique visant à faire passer des réformes à même de relégitimer les institutions discréditées de la démocratie états-unienne, à commencer par le Congrès, qui s’est retrouvé à plusieurs reprises bloqué par les luttes profondes entre les deux partis. Enfin, il a critiqué de manière timorée les attaques contre les mosquées et a défendu « le manifestant, déterminé à prouver que la justice est importante, et le jeune policier qui fait tranquillement son boulot, traitant tout le monde avec respect et nous protégeant. » Pas un mot sur les policiers qui assassinent les Noirs et les Latinos ou les enfants qui jouent avec un pistolet factice.
Un bilan, en dernière instance, peu reluisant, et pour le président sortant, et pour les travailleurs, les jeunes, les minorités et les femmes à travers le pays.
|