La paix en temps de guerre ; la guerre par d’autres moyens. Genève. Ville des « négociations de paix » par excellence. Mais aussi ville des mascarades et de l’hypocrisie. Les puissances mondiales, spécialement les États-Unis, voulaient ce processus de discussions pour trouver une issue face à la guerre civile syrienne. L’ONU, comme d’habitude, prête main forte. Même la Russie a poussé son protégé syrien, Bachar Al-Assad, à y participer. Cette fois, le coup de théâtre est venu de la part des alliés des Occidentaux : le Haut-Conseil pour les Négociations (HCN), formé à Riyad en décembre et représentant la principale force d’opposition au régime, n’a pas envoyé des représentants pour l’ouverture des négociations.
La rencontre avait été préparée par l’ONU, dans la personne de son émissaire spécial Staffan de Mistura, pour que tout se passe bien. Pour éviter les face-à-face, on avait même préparé deux salles où les différentes parties seraient installées, l’émissaire de l’ONU ferait la navette entre les deux pour faire avancer les négociations. Selon le plan, les négociations se prolongeront durant six mois et dans 18 mois il y aurait des élections surveillées par l’ONU.
Les puissances impérialistes attendent beaucoup de ces pourparlers, notamment celles de l’UE qui espèrent pouvoir mettre un frein au flux de migrants qui arrivent quotidiennement à leurs côtes.
Cependant, le HCN qui est chapeauté par l’Arabie Saoudite et soutenu par des puissances comme les États-Unis ou la France (qui a dépêché à Ryad des « experts » en négociations ces dernières semaines), refuse (pour le moment) d’y prendre part. Ses représentants expliquent qu’ils ne participeront que lorsqu’ils auront la garantie de la part du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, que le régime arrêtera les bombardements, mettra fin au siège sous lequel se trouvent plusieurs villes rebelles et laissera passer l’aide humanitaire.
Toutes les pressions de l’ONU et de ses alliés n’ont pas réussi à les convaincre. « Ils font pression sur l’opposition pour qu’elle vienne (…) Pourquoi il ne font pas la pression sur ceux qui sont en train de tuer le peuple syrien », déclarait un représentant du HCN.
En effet, la situation est délicate pour les forces rebelles sur le terrain. Militairement, ils sont en train de reculer face aux forces du régime. Celle-ci est la raison de fond de leur refus de participer des discussions de Genève. Le rapport de forces est trop désavantageux en ce moment pour eux. Ils sont sous le feu d’une intensification des combats, ce qui était prévisible : plus la date des pourparlers approchait, plus les camps en dispute allaient essayer de peser sur la table des négociations à travers leurs positions militaires.
Selon le New York Times, les rebelles sont dans un dilemme : « ils sont sous une forte pression pour participer à toute discussion politique au moment où leurs forces sont en train de subir une intensification des attaques de la part des troupes du gouvernement syrien et de leurs soutiens russes. Les leaders de l’opposition risquent de perdre toute crédibilité vis-à-vis de leurs combattants et de la population civile vivant dans leurs territoires s’ils participent à des négociations sans aucune garantie que les bombardements et les sièges vont finir ». Comme il lui est impossible aujourd’hui d’imposer ces conditions sur le terrain de bataille, l’opposition essaye de le faire au travers d’une pression sur ses alliés qui, à leur tour, doivent exercer une pression sur la Russie et le régime syrien.
Comme on le voit, ce coup de théâtre n’a rien à voir avec des valeurs humanistes, mais bien avec des calculs cyniques faits sur les souffrances et horreurs que vivent les populations sur les territoires en guerre. D’ailleurs, le début des discussions était prévu lundi dernier mais a dû être repoussé car une dispute persistait encore pour savoir qui représenterait l’opposition. Le HCN voulait en effet avoir le monopole de cette représentation ; la Russie et Assad voulaient inviter des groupes « dissidents » plus proches de leurs visions.
Un autre absent important, cette fois parce qu’il n’a pas été invité, était le Parti de l’Union Démocratique (PYD), une des principales formations kurdes de Syrie. La Russie voulait qu’il participe mais la Turquie s’y oppose aujourd’hui farouchement, car cette dernière craint que le renforcement de cette formation, liée au PKK, affecte ses intérêts dans la région.
A Genève, on parle de « paix » et de « sauver des vies ». Ce n’est qu’une farce. La réalité de ce qui se joue dans ces pourparlers, ce sont des positions économiques, politiques, géopolitiques et militaires, à conserver ou à conquérir.
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