FT-CI

Grèce

Le gouvernement grec ferme la radio-télévision publique et déclenche la mobilisation populaire

16/06/2013

Par Philippe Alcoy

Mardi 11 juin Antonis Samaras de Nouvelle Démocratie (ND), principale composante de la coalition au pouvoir en Grèce, décrétait la fermeture subite de l’agence de l’audiovisuel public, l’ERT (Elliniki Radiofonia Tileorasi). Bien qu’il y ait eu les jours précédents des rumeurs ã ce sujet, cette décision a pris tout le monde par surprise, ã commencer par les presque 2700 salariés de l’ERT. Cependant, la réaction populaire a elle aussi été subite : des milliers de manifestants se sont rassemblés le soir même devant le siège de l’ERT dans la banlieue Nord d’Athènes. Les travailleurs de leur côté ont décidé d’occuper les lieux et de continuer ã émettre en direct par Internet et via la fréquence prêtée par la chaine télévisée du Parti Communiste (KKE).

Le mécontentement populaire a également poussé les centrales syndicales du public et du privé (ADEDY et GSEE respectivement) ã appeler ã une grève générale de 24h pour le lendemain, jeudi 12 juin. Celle-ci a provoqué une forte perturbation dans les transports, y compris dans les aéroports ; plus de 10.000 personnes se sont rassemblées devant le siège de l’ERTet les syndicats de journalistes ont appelé ã faire grève dans les médias privés en solidarité avec leurs collègues du public. Cette grève s’est même prolongée jusqu’à lundi 17 juin.

Le gouvernement a justifié cette mesure radicale en mettant en avant la mauvaise gestion de l’ERT, les coûts très élevés, la corruption et les « privilèges injustifiés ». Son idée c’est de fonder un nouveau groupe audiovisuel public, plus « moderne », avec beaucoup moins d’effectifs (autour de 1000-1200 salariés). Mais la radicalité et la violence de la mesure est telle que même les partenaires mineurs de la coalition au pouvoir ont pris leurs distances vis-à-vis de Samaras et ND. Par contre le parti néofasciste Chryssi Avghi (Aube Dorée) a exprimé son soutien à la mesure.

Bien plus qu’une lutte contre la fermeture de l’ERT

Il serait faux cependant de penser que la réaction populaire provoquée par l’annonce de fermeture de l’ERT exprimerait simplement « l’attachement à l’audiovisuel public ». En réalité, cette décision arrogante et brutale de Samaras et son équipe s’inscrit dans une très longue liste d’attaques contre les travailleurs, leurs conditions de vie et de travail depuis au moins trois ans. La fermeture de l’ERT n’est pas ressentie seulement comme une attaque contre ses presque 2700 salariés, mais contre l’ensemble des salariés du pays. Comme témoignait une institutrice devant le siège de l’ERT : « on est là parce que l’on pourrait être les prochains ã perdre notre travail ã cause d’une décision arbitraire du gouvernement » [1].

La lutte contre la fermeture de l’ERT est devenue soudainement un symbole de la lutte contre l’austérité et les diktats de la Troïka : « Samaras a (…) réussi, par cette action irraisonnée, ã faire d’ERT un pôle de combat anti-mémorandum, même pour ceux qui ne portaient pas ERT dans leur cœur », déclarait un universitaire d’Athènes [2]. En effet, dans le cadre des différentes exigences de la Troïka vis-à-vis du gouvernement grec pour le versement des tranches du plan « d’aide » financière, 15.000 postes de fonctionnaires devraient être éliminés d’ici 2014, dont 4.000 avant la fin de cette année. Avec la fermeture de l’ERT, le gouvernement croyait ainsi s’enlever une belle épine du pied, en balayant une bonne partie des postes de fonctionnaires amenés ã disparaitre en 2013.

Mais c’était sans compter sur la colère populaire, que la fermeture de l’ERT semble avoir ã nouveau réveillé. En effet, depuis plusieurs mois le mouvement populaire était complètement dispersé, réprimé par l’Etat et la police [3] et trahi par les bureaucraties syndicales. Sans le vouloir, Samaras a offert un élément unificateur pour la lutte des couches populaires de la société. Ainsi, on a vu se rassembler autour de l’ERT les militants des grandes centrales syndicales et des partis politiques allant de Syriza à l’extrême-gauche, y compris le KKE-PAME. Pourtant, ce dernier a plutôt l’habitude d’appeler ã ses propres rassemblements et de manifester en suivant un parcours indépendant, conséquent avec son orientation auto-proclamatrice et divisionniste. Le coup de force de ND ouvre ainsi une situation très dangereuse pour la bourgeoisie et pour l’UE, alors que le « front grec » s’était un peu calmé depuis quelques mois (c’est dans cet état d’esprit que Le Figaro titrait en Une le jeudi 13 juin « La Grèce replonge dans la tourmente »).

Un pari risqué de Samaras et de Nouvelle Démocratie

« Tout en insistant sur le fait qu’ils [les dirigeants européens] ne sont pas à l’origine de la décision, ils observent avec intérêt et inquiétude l’évolution du pari de Samaras. Si ça passe, le premier ministre aura montré sa capacité ã endosser les habits de réformateur. Si ça casse, il risque d’entraîner le pays dans une nouvelle période d’instabilité électorale, ce que les Européens veulent éviter » [4]. En effet, la fermeture de l’ERT n’a pas seulement provoqué une forte réaction populaire, elle a aussi révélé des divisions au sein de la coalition gouvernementale. Depuis quelques semaines déjà , des frictions étaient apparues entre ND, le PASOK et DIMAR (Gauche Démocratique) ã propos d’une loi « antiraciste », qui visait notamment Aube Dorée, à laquelle ND s’était opposée dans un premier temps contre l’avis de ses deux partenaires au gouvernement.

Aussi bien le PASOK que DIMAR déclarent qu’il faut restructurer l’audiovisuel public, connu pour sa corruption et son clientélisme, mais s’opposent ã sa fermeture. Pour eux la restructuration doit se faire sans fermer l’ERT. C’est pour cela qu’ils n’ont pas signé le décret de Samaras et ont fait des déclarations accusatrices contre ND dans la presse. « Samaras porte la responsabilité d’être en train d’amener le pays vers de nouvelles élections », déclarait un responsable de DIMAR ; Evangelos Venizelos du PASOK de son côté, tout en affirmant ne pas vouloir des élections anticipées, déclarait que son parti « ne les craignait cependant pas » [5] s’ils étaient obligés d’en arriver là .

En réalité, le vrai objectif de DIMAR et PASOK est de ne pas disparaitre politiquement et électoralement, ce que leur participation au gouvernement est en train de précipiter. C’est pour cela qu’ils essayent de prendre leurs distances sur certains aspects par rapport ã ND, même s’ils soutiennent l’essentiel de sa politique. Pour s’en convaincre, il suffit de se souvenir que la fermeture de l’ERT de la part de Samaras « reprend des éléments du projet du gouvernement socialiste de Georges Papandréou [PASOK], qui avait suscité l’opposition des syndicats de ERT et... de Nouvelle démocratie » [6] !

Malgré leurs avertissements et leurs menaces, ni DIMAR ni PASOK ne souhaitent d’élections anticipées pour le moment, car au vu du peu d’enthousiasme qu’ils suscitent dans les sondages (on leur attribue 3 ã 6% d’intentions de vote), celles-ci pourraient s’avérer contreproductives pour eux. Aujourd’hui, si des élections anticipées devaient avoir lieu, elles bénéficieraient plutôt ã Syriza et aux néofascistes d’Aube Dorée ; et cela même si ND arrivait en tête !

Dans ce contexte dangereux et de possible approfondissement de l’instabilité politique dans le pays, certains secteurs de la bourgeoisie nationale et européenne conseillent ã Samaras de ne pas aller trop loin dans l’humiliation politique de ses partenaires, au risque de faire éclater la coalition, car pour l’instant ce sont les seules forces politiques sur lesquelles ils peuvent s’appuyer. Mais en même temps, Samaras ne peut pas reculer d’une façon trop désordonnée sur la fermeture de l’ERT car il sortirait trop affaibli. En ce sens, ce lundi 17 juin se tiendra une réunion entre les trois partis de la coalition, où ils essayeront d’arriver ã un accord [7].

Non à la fermeture d’ERTet aux attaques contre les travailleurs !

Depuis quelques mois, le gouvernement grec multiplie les méthodes bonapartistes pour appliquer des attaques contre les conditions de vie des travailleurs et les couches populaires mais aussi contre leurs résistances. De plus en plus souvent, comme cela a été démontré lors des grèves du métro et des trains d’Athènes, celle du transport marin ou encore la grève des enseignants [8], le gouvernement envoie directement la police pour aller briser les grèves, ou menace les grévistes de sanctions judiciaires. Et toutes ces attaques s’appuient sur des législations datant… de la dictature militaire des années 1960-1970.

C’est dans ce contexte que Samaras a décidé de la fermeture brutale de l’ERT. En ce sens, empêcher cette mesure de passer c’est commencer ã mettre un frein à l’évolution de plus en plus bonapartiste du gouvernement, voire l’affaiblir, ce qui permettrait d’améliorer le rapport de forces en faveur des travailleurs et des couches populaires.

Aussi, le mouvement de solidarité qui s’est développé très rapidement autour de l’ERT, et l’occupation des locaux par les salariés, qui continuent ã transmettre malgré la décision du gouvernement, sont des éléments très importants. Cela pourrait commencer ã faire avancer dans la conscience de certains travailleurs et travailleuses l’idée qu’ils sont capables de s’opposer aux licenciements et au gouvernement, et de prendre leurs outils de travail entre leurs propres mains.

14/6/2013

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