Bientôt deux semaines d’occupation
Personnels, usager-ère-s, étudiant-e-s, tou-te-s ensemble contre la fermeture de l’Hôtel-Dieu !
13/09/2013
Jeudi 12 septembre ã 17H, le jardin intérieur de l’Hôtel-Dieu n’était plus le lieu où les infirmier-ère-s vont faire une pause avant de retourner au travail. On y tenait un meeting de soutien à l’occupation de l’hôpital qui dure depuis douze jours. En face de quelques 200 personnes se sont exprimé élus, personnalités (entre lesquelles se trouvait Olivier Besancenot, Martine Billard ou Eva Joly), candidats à la mairie de Paris et représentants syndicaux.
La fermeture de l’Hôtel-Dieu, une agression sociale préparée de longue date
Cette occupation a démarré face à la menace de la direction de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris de fermer le service d’urgence. Une fermeture qui se prépare et avance méthodiquement depuis 2 ans, notamment par la suppression progressive de nombreux services, que ce soient les lits d’hospitalisation (réanimation, psychiatrie, médecine interne, etc.) ou les blocs opératoires (chirurgie, ophtalmologie). Pour se justifier, la direction explique que la sécurité des soins ne serait plus assurée, alors que l’hôpital vient d’être rénové (plus de 4 millions dépensés pour les seules Urgences !). La Haute Autorité de Santé (HAS) a d’ailleurs renouvelé la Certification de l’établissement en juillet 2013 ! Pour en arriver ã ses fins, la direction n’a pas hésité ã recourir ã des méthodes mafieuses. Elle ne cesse de faire pression sur le personnel pour qu’ils signent leur fiche de mutation, et ã même tenté un déménagement secret de matériel et de lits pendant l’été, que le comité de lutte a pu empêcher. L’occupation a été lancée quand le comité a découvert que la direction avait demandé aux Pompiers de Paris et au SAMU de ne plus envoyer de patients ã partir du 3 septembre, dans le but de fermer dans les faits le service d’urgences.
Une misère sociale et sanitaire construite par dix ans de contre-réforme hospitalière
Aujourd’hui, cette lutte se développe contre l’étape finale avant la restructuration définitive de l’Hôtel-Dieu et la disparition de ses derniers services. Celle-ci a été rendue possible grâce aux contre-réformes dans le secteur de la santé, notamment grâce à la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) de 2009 et à la Tarification à l’activité (T2A), mise en place en 2004. La T2A impose aux établissements que leurs recettes proviennent des rémunérations de leurs activités, ce qui les contraint ã augmenter ces activités, pour réduire leurs coûts de revient via des économies d’échelles, en triant les pathologies « rentables » ou non. Désormais, les hôpitaux se voient donc attribuer un budget global qui repose sur l’activité et sa tarification acte par acte. La conséquence a été immédiate : pendant que fleurissaient les cliniques privées, qui, contrairement aux hôpitaux publics, ont la droit de se spécialiser dans les actes qu’elles souhaitent (et donc dans les plus rentables), les hôpitaux conservaient les opérations les moins bien remboursées et commençaient ã creuser leur déficit. Sans parler des actes qui, trop peu rentables, étaient tout simplement de moins en moins pratiqués, ou saturés, au détriment de notre santé.
La loi HPST a constitué alors une deuxième étape. Il s’agit en quelques sortes d’une version adaptée aux hôpitaux publics de la loi de réforme des universités, reprenant le principe de « l’autonomie financière » qui signifie en fait la coupe des financements publics, les établissements devant s’auto-financer. Pour l’hôpital comme pour l’université, le projet consistait en fait à les mettre en faillite pour mieux les démanteler quelques années plus tard. Et c’est dans cette nouvelle étape que nous sommes entrés, l’Hôtel-Dieu de Paris n’étant que le plus symbolique des établissements menacés. Avec l’HPST, en outre, les hôpitaux publics sont remplacés par des « établissements de santé » pour faciliter les fusions (pour le plus grand bien du patronat du BTP) et les rapprocher juridiquement des cliniques commerciales. Était aussi créée une instance supérieure, l’ARS, une sorte de super patron (dont le Directeur Général est nommé par le Conseil des ministres) qui a pouvoir de vie ou de mort sur les établissements, imposant ses choix en matière de « rationalisation de l’offre de soins » (qui se fait toujours au rabais), et surtout de réduction des coûts. L’HPST avait connu à l’époque une forte opposition du personnel hospitalier, sans que le rapport de force soit suffisant pour faire reculer le gouvernement.
Un pavé dans la mare au milieu d’une campagne électorale cruciale pour le PS et l’UMP
La lutte à l’Hôtel-Dieu commence dans le contexte d’application de ces réformes sous Sarkozy et se poursuit aujourd’hui sous un gouvernement socialiste. L’occupation qui est en cours pourrait devenir un véritable catalyseur des problèmes occasionnés par les restructurations dans la santé en termes de fermetures d’hôpitaux et de recul dans l’accès aux soins pour les classes populaires sur Paris et en région parisienne.
Dans le contexte des élections municipales, cette lutte prend immédiatement une tournure politique et met l’ensemble des candidats de la classe dominante an face de leurs contradictions. Tou-te-s cherchent ã se positionner, mais tou-te-s s’inscrivent dans la continuité des contre-réformes et en définitive de la fermeture de l’Hôtel-Dieu. L’UMP notamment brille par son hypocrisie. NKM, candidate à la mairie de Paris, se dit « contre l’arrêt des urgences », en ajoutant qu’il faut quand même « trouver un projet alternatif », alors que c’est le gouvernement Sarkozy qui a voté la Loi HPST en 2009 et qui a mis en place l’actuelle directrice générale l’AP-HP Paris Mireille Faugère. La plus embêtée est bien Anne Hidalgo, candidate « socialiste » et grande absente de la soirée, qui a préféré envoyer une lettre au Comité de soutien, sûrement pour ne pas se faire huer publiquement comme l’ont été ses camarades du PS qui se sont présentés comme tels. Elle répète dans cette lettre ce qu’elle affirmait déjà le matin dans une interview dans le journal Métro : « La fermeture des urgences n’est pas possible en l’état actuel des choses ». C’est ã dire ? Faut-il simplement attendre que les municipales soient passées, comme ã cherché à le faire la Ministre M. Touraine ? Les consignes de cette dernière, vraisemblablement formulées pour la galerie, n’ont pas été suivies par l’AP-HP, et les politiciens de toutes les tendances de la bourgeoisie vont devoir gérer ce pavé dans la mare de leur élection.
Mais cette affaire est plus qu’un caillou dans la chaussure de Anne Hidalgo, car c’est le rôle joué par tout le gouvernement qui est en jeu, à l’heure où se dernier cherche ã faire passer une sixième réforme des retraites, et où les accords de « compétitivité » se multiplient dans les boîtes, conséquence de l’ANI voté en janvier dernier. Car pendant que la plupart des élus et candidats cherchent ã se positionner en se disant opposés au projet, l’homme du dossier est véritablement Jean-Marie Le Guen, député PS de la ville de Paris, adjoint à la santé de Bertrand Delanoë et également président du conseil de surveillance de l’AP-HP, qui affirmait récemment qu’il se battrait « jusqu’au bout » pour le projet de la direction...
L’occupation de l’Hôtel-Dieu ouvre la possibilité d’une grande lutte populaire !
Cette lutte est également un enjeu social crucial pour les classes populaires en région parisienne. L’Hôtel-Dieu est le seul hôpital public des 9 arrondissements centraux de Paris, couvrant une population de 400 000 habitants. Sa fermeture est ã mettre en lien avec le recul progressif de l’offre de soins en région parisienne et symbolise le recul de l’accès aux soins, dramatique pour les classes populaires qui ne peuvent évidemment pas s’offrir les services de la médecine privée.
En deux décennies ont disparut Boucicaut, Broussais, Laenec et Rothschild pour les urgences adultes et Herold et Saint-Vincent-de-Paul pour les urgences pédiatriques, en même temps que des rumeurs voudraient que après l’Hôtel-Dieu ce serait le tour de Bichat et de Beaujon ! De même, avec la fermeture du service d’urgence de l’Hôtel-Dieu, les huit autres services seront encore plus saturés, provoquant des délais d’attente de 4 heures en moyenne et de 8 heures en cas de forte affluence. Ceci n’a pas seulement des conséquences dramatiques pour les patients (différentes études ont clairement montré que la saturation des services d’urgences augmente la mortalité de l’ordre de 10%.), mais aussi pour le personnel des Services d’Accueil et d’Urgence, qui sont mutés dans d’autres services lorsque ceux-ci ferment et se trouvent dans des conditions de travail intolérables. Il s’agit donc d’un véritable massacre social et sanitaire, réalisé au nom du profit. Qu’on pense ainsi aux milliards qui seront retirés de l’exploitation immobilière de l’Hôtel Dieu, avec ses dizaines de milliers de mètres carrés au cœur de Paris, si ce dernier est transformé en hôtel ou en boutiques de luxe comme ça a été le cas avec l’Hôtel-Dieu de Lyon ou de Marseille.
Alors que le comité de soutien avait annoncé que l’occupation cesserait le 12 septembre après la soirée-meeting, la force du soutien extérieur et la popularité croissante de cette lutte a permis de la maintenir jusqu’à présent. C’est un signe encourageant qui doit maintenant permettre d’approfondir le rapport de force, en faisant de la question de la défense de l’Hôtel Dieu un enjeu politique d’ensemble pour notre classe, des 70 000 travailleur-se-s des hôpitaux de Paris aux usager-ère-s en passant par les élèves infirmier-ère-s et aides soignant-e-s ainsi que les étudiants en médecine. A la réunion du Comité de soutien de jeudi 6 septembre, qui avait réuni une soixantaine de personnes et notamment des militant-e-s politiques et syndicaux, les salarié-e-s de l’Hôtel-Dieu avaient reçu la visite de deux secteurs venus apporter leur soutien et raconter leurs luttes : les Archives Nationales, et les salarié-e-s et étudiant-e-s de l’École Normale Supérieure. Il faut amplifier et multiplier ce genre de démarche. C’est de cette manière que l’on pourra dépasser les limites fixées par la direction actuelle de la bagarre, qui souhaiterait passer ã « d’autres formes de luttes », façon de limiter le développement et la radicalisation d’une lutte qui a commencé ã prendre de l’ampleur et pose problème à l’establishment politique de la ville de Paris. Alors que toutes les conditions sont réunies pour que la lutte contre la fermeture de l’Hôtel-Dieu devienne une grande bataille populaire, la direction de la CGT AP-HP a avancé ce jeudi dans la présentation d’un « projet alternatif » qui est de fait une façon d’entériner la suppression des urgences en demandant quelques concessions à la marge (mise en place d’une unité de chirurgie ambulatoire, etc.). Nous ne voulons pas de cet « Hôtel-Dieu ã moindre coût », alors que des centaines de milliers de personnes en région parisienne renoncent au soins du fait de l’éloignement des hôpitaux et des délais d’attente qui frôlent l’absurde, surtout dans les établissements qui accueillent les habitants des quartiers populaires.
Pour commencer ã inverser la vapeur, et si l’on veut construire la mobilisation nécessaire à la victoire, il va falloir en outre sortir d’une logique de pression sur les autorités, qui est une véritable impasse, quand ces dernières ont été à la tête de toutes les contre-réformes de la dernière période. L’enjeu aujourd’hui est de réussir ã donner confiance aux personnels de l’Hôtel-Dieu, de leur permettre de relever la tête pour qu’ils et elles se placent au cœur de la lutte, dont le comité est aujourd’hui surtout réuni autour de personnalités et de responsables syndicaux. Pour cela, l’appui extérieur est un enjeu crucial. A commencer par les autres hôpitaux, auxquels le comité de lutte devrait s’adresser offensivement, en appelant leurs travailleurs à la rescousse par le biais d’un appel et d’un tract, et en formulant des revendications unifiantes contre la dégradation des conditions de travail, le manque de poste et d’équipement, les bas salaires, etc. Les cortèges de services hospitaliers étaient assez présents à la manif du 10 contre la réforme des retraites : c’est la voie ã suivre, car le développement d’un rapport de force général contre la gouvernement sera pour les personnels hospitaliers le meilleur point d’appui imaginable. Mais il faut aussi chercher ã s’appuyer sur les millions d’usager-ère-s qui souffrent au quotidien de a dégradation du système hospitalier, qui reste la porte principale par laquelle les classes populaires ont accès aux soins.
Dans les jours qui ont précédé la soirée du 12, les militants du courant communiste révolutionnaire du NPA ont œuvré ã relancer le collectif qu’ils et elles avaient participé ã fonder il y a un an en soutien aux grévistes d’Aulnay. Un tract a été rédigé, et distribué devant plusieurs facs de médecine et de formations médicales, en plus de quelques hôpitaux où travaillent des étudiant-e-s stagiaires. L’accueil était très positif, beaucoup de jeunes comprenant la situation, certains disant même qu’ils allaient passer à l’Hôtel-Dieu pour soutenir les occupants. Ils et elles font en effet le lien avec leurs futures conditions de travail. Dans les jours et les semaines qui viennent, il faut donc œuvrer à la construction d’une expression organisée de soutien venant de ces secteurs de la jeunesse étudiante, qui peuvent être un allié de choix pour l’occupation, et permettre à la lutte de passer dans une nouvelle étape. Et, dans toutes les facs parisiennes où se tiendront des AGs contre la réforme des retraites, ces dernières devraient exprimer leur solidarité envers l’occupation et les personnels de l’Hôtel-Dieu.
13/09/2013