Entretien
Grève victorieuse au lycée Marcel Cachin ã Saint-Ouen contre le licenciement de trois surveillantes étudiantes étrangères
22/09/2013
Nous avons rencontré deux jeunes précaires que la direction du lycée dans lequel elles travaillent menaçait de licencier. Elles racontent pas ã pas la lutte qui, grâce à la solidarité de toute la communauté éducative du lycée, a permis d’obtenir une victoire et reconduire leurs contrats de travail.
Vous êtes étudiantes, étrangères, et travaillez depuis plusieurs années en contrat précaire au lycée Marcel Cachin ã Saint-Ouen (93) en tant qu’assistantes d’éducation. Pouvez-vous nous expliquer le point de départ de votre lutte ?
Chaque année, nos titres de séjour expirent autour du mois de septembre/octobre. Étant donné que les inscriptions à l’université se font d’habitude plus tard, mais qu’elles sont une étape nécessaire avant de demander le rendez-vous à la préfecture pour le renouvellement, il existe toujours une période (de 2 ã 3 mois) pendant laquelle nous n’avons pas de titre de séjour du tout. Cette situation d’instabilité s’ajoute ã nos conditions déjà précaires d’étude et de travail.”¨On travaille toutes les trois depuis plusieurs années au lycée et depuis trois ans on refusait de nous faire des contrats pour toute l’année. Nous étions donc amenées ã travailler sans contrat (c’est-à-dire sans être payées) pendant cette période où nous n’avions pas encore le nouveau titre de séjour, et une fois le titre renouvelé, le lycée nous faisait un contrat rétroactif. Cependant, cette année ils nous ont carrément dit qu’une fois notre contrat fini et notre carte de séjour expirée, on devait rentrer chez nous... C’est ã dire qu’ils avaient décidé de nous licencier ! Ces licenciements pouvaient avoir des conséquences très graves, comme par exemple des difficultés pour renouveler les titres de séjour puisque pour ce faire, la préfecture nous demande une attestation de revenus (bulletin de salaire et nouveau contrat). Ce changement de politique vise probablement ã rendre de plus en plus difficile l’embauche des étudiant-e-s étranger-e-s dans l’éducation nationale.
On dit souvent que les emplois précaires sont un moyen de museler les salariés. Comment est-ce que vous avez réussi ã dépasser votre isolement et ã affronter le mur de la direction ?
Dès qu’on a appris les plans de la direction, on a commencé ã contacter les enseignants syndiqués (au SNES, à la CGT et ã Sud Educ) et on est allé voir le proviseur ensemble. Le problème pouvait se régler "assez facilement" : il fallait faire pression sur le rectorat et la préfecture pour qu’ils avancent nos rendez-vous ou qu’ils nous délivrent des récépissés (chose qu’ils ne font plus pour les étudiant-e-s étranger-e-s du 93...). Nous avons également rédigé une pétition pour sensibiliser les enseignants et le personnel du lycée (agents, vie scolaire, etc.) sur notre cas. Nous nous sommes adressées en particulier aux enseignants des matières professionnelles (ateliers), qui ne se mobilisent quasiment jamais mais qui, étant pour la plupart d’origine étrangère, ont été assez sensibles ã notre situation. Ceci a été très important car ces enseignants ont beaucoup de poids dans le lycée parce qu’ils gèrent les relations avec les entreprises -où les élèves font les stages- ce qui finance une partie du budget du lycée.
Les élèves étaient de votre côté ?
Leur réaction a été géniale ! Quand ils ont su ce qu’il se passait, ils ont décidé d’écrire leur propre pétition. Très vite, l’ambiance dans le lycée a commencé ã changer, on recevait des commentaires et des mots de soutien tout au long de la journée. Les signatures pour les pétitions tombaient les unes après les autres, jusqu’à atteindre plusieurs centaines. Pendant deux journées entières, on a vu des groupes d’élèves rentrer dans le bureau de la vie scolaire en disant "je veux signer la pétition" et même pour prendre des feuilles ã faire signer dans leurs classes !
Mais vous ne vous êtes pas arrêtées là …
Mardi 17 septembre, on a organisé une heure syndicale pour discuter de l’action ã mener. Plus d’une cinquantaine d’enseignants étaient présents, ce qui est assez exceptionnel ! Il y avait un sentiment général de révolte contre cette injustice et un élan de solidarité envers nous. Cela s’ajoutait ã un mécontentement général par rapport aux conditions de travail qui se dégradent, la direction n’arrangeant pas les choses avec son attitude arrogante et méprisante.
La grève de l’éducation nationale avait lieu le lendemain, ça a été un appui pour faire avancer vos revendications ?
Bien sûr ! A l’heure syndicale, on a proposé de se saisir de cette journée de grève dans le 93, en ayant comme revendication principale de stopper nos licenciements. On a donc décidé de se mettre massivement en grève et d’empêcher la tenue des cours si le proviseur n’apportait pas une solution avant le lendemain soir. Plusieurs enseignants se sont engagés ã être à l’entrée du lycée dès 7h45 pour expliquer aux élèves ce qui se passait et leur proposer de se joindre au mouvement !
De leur côté, les élèves continuaient ã faire tourner l’information et leur pétition et se voyaient déjà comme partie prenante du mouvement. Quelques-uns des élèves les plus difficiles du lycée venaient nous voir pour nous dire que même s’ils arrivent souvent en retard pour les cours, ils seraient à l’heure pour nous soutenir le jour de la grève. Ils commençaient aussi ã ajouter leurs propres revendications, notamment par rapport à leurs emplois du temps (manque de salles, journées trop longues avec 9h de cours, pas assez de temps pour manger, etc.).
Et finalement… le ministère vous a contacté pour vous demander de composer les programmes d’éducation civique de l’année prochaine ? (rires) Plus sérieusement, on a l’impression que tout se fait sans aucune résistance de la part de la direction, elle avait déjà abandonné ?
Pas du tout. En arrivant au lycée le 19 au matin, nous retrouvons le proviseur et la proviseure adjointe aux grilles du lycée, accompagnés d’équipes mobiles de sécurité (des vigiles !) pour empêcher tout blocage et faire tourner le lycée sans les surveillants... Mais, manque de pot : les enseignants et les 300 élèves présents sont avec nous et personne ne passe la porte du lycée ! Des prises de parole se succèdent, les profs, le personnel de la vie scolaire, les CPE... Les élèves scandent : « on veut sauver nos surveillants, on veut changer l’emploi du temps ! » Un des moments les plus forts a été lorsque, sous les yeux du proviseur, les agents du nettoyage sont sortis tous ensemble du lycée en applaudissant pour rejoindre les grévistes.
Vous ne le saviez pas encore, mais ã ce moment là , vous aviez déjà gagné, non ?
Presque… La police est arrivée et, malgré l’installation d’une barrière par les élèves pour bloquer la rue et quelques jets de pierre, on a réussi ã convaincre les élèves de ne pas se disperser et de ne pas tomber dans les provocations, en restant soudés devant le lycée. En assemblée générale, on décide de partir en cortège ã Saint-Michel pour rejoindre la manif de l’éducation nationale du 93. Les élèves ne venant pas à la manifestation rentrent chez eux. Le proviseur est dégoûté, le lycée est fermé, la grève est un succès ! Une demi-heure après qu’on soit partis du lycée, le proviseur appelle pour dire que, finalement, la collègue qui allait être licenciée dès jeudi aurait son rendez-vous à la préfecture dès le lendemain matin pour obtenir un récépissé et que pour les deux autres, cela s’arrangerait dans la journée. A ce moment là , oui, on a gagné ! Nous étions près de 50 à la manif sous la banderole de Marcel Cachin, la plus grande délégation et la seule ã avoir des lycéens, qui cette fois-ci chantaient : « on a sauvé nos surveillants, il reste encore l’emploi du temps » !
On a le sentiment que votre mouvement a largement dépassé les revendications qui l’ont initié. Les élèves et leur pétition, les agents du nettoyage qui se joignent ã vous, la convergence avec la journée de mobilisation de l’éducation nationale...c’est ça la formule gagnante ?
Ce qui est intéressant dans cette bagarre c’est le fait qu’à partir d’une problématique concrète on a pu faire le lien avec la situation plus générale et notamment converger, comme tu dis, avec la grève dans le 93 contre la dégradation des conditions de travail dans l’éducation nationale. Cette victoire a redonné le moral aux enseignants les plus militant-e-s et a eu aussi le mérite de faire bouger ceux qui ne sont pas mobilisés d’habitude ! Pour la plupart des élèves cela a été la première expérience de mobilisation et dès le lendemain on les entendait dire qu’il fallait organiser d’autres manifestations pour changer les choses qui ne vont pas dans le lycée. C’est quelque chose ã suivre de près car cela peut déclencher un processus de politisation plus large dans ce lycée ã faible tradition de lutte, où étudient pourtant 1200 élèves issus des couches les plus exploitées de tout le 93.
De plus, le fait que ça soit une lutte essentiellement pour défendre trois collègues précaires et étrangères, pour une question de licenciement et de papiers, dans un contexte où les idées d’extrême-droite et xénophobes commencent ã avoir une influence dans les milieux populaires, où la politique du gouvernement conduit les travailleurs et les jeunes ã avoir de moins en moins d’espoir dans l’avenir, ce n’est pas rien ! C’est une toute petite bagarre mais, ã notre avis, elle a le mérite d’avoir donné confiance aux élèves, aux enseignants et au personnel du lycée pour dire que ça vaut le coup de se bagarrer et de faire grève ! A nous d’essayer de faire en sorte que cette lutte pose les bases pour créer les conditions d’une lutte plus globale !
22/09/13