Nouvelles d’Orient
Hong Kong « in the mood for Occupy » : les parapluies à l’offensive !
03/10/2014
Ce que la presse et les manifestants ont commencé ã appeler la « Révolution des parapluies » commence ã changer la physionomie de Hongkong. Certains quartiers de cette enclave ã statut spécial, rétrocédée par la Grande-Bretagne à la Chine en 1997, ressemblent ã des zones de guerre après les affrontements qui ont opposé policiers et manifestants les 28 et 29 septembre. Le mouvement Occupy Central, ã prédominance étudiante, a reçu le soutien de la centrale ouvrière hongkongaise, la HKCTU. Deux revendications sont sur toutes les bouches : les protestataires réclament de Pékin des élections libres et la démission de Leung Chun-yin, le chef de l’Exécutif de l’île.
En 1997, la Chine a repris le contrôle de cette ancienne colonie britannique de 7 millions d’habitants à laquelle est appliqué le modèle appelé « un pays, deux systèmes ». Issu d’un accord passé entre la bureaucratie centrale chinoise et Hongkong, avec la bénédiction des impérialismes britannique et étasunien, ce modèle de gouvernance prévoyait que l’île s’intègre à la Chine tout en restant régie non par les règles du « socialisme de marché » chinois, mais par ceux du libre-échange capitaliste classique, et surtout en conservant un degré considérable d’autonomie politique. Pékin, de son côté, s’engageait ã organiser des élections au suffrage universel en 2017. La promesse vient d’être reniée. En dernière instance seuls les candidats ayant reçu un blanc-seing du Parti Communiste Chinois auraient le droit de se présenter. D’où l’explosion.
Les mobilisations ont continué le 1er octobre, jour férié en Chine car coïncidant avec l’anniversaire de la Révolution de 1949. A l’heure actuelle, aucun des acteurs de la crise ne semble disposé ã reculer et l’issue du conflit reste tout ã fait incertaine. Quoique Pékin écarte l’idée, pour l’instant, de faire intervenir l’armée, comme ã Tienanmen en juin 1989, on ne peut exclure complètement cette possibilité si la situation venait ã se tendre plus encore.
Le gouvernement chinois accuse les manifestations d’être orchestrées par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne à l’instar des « révolutions de couleur » qui ont mené ã des changements de gouvernements dans l’ancien glacis soviétique (Géorgie en 2003, Ukraine en 2004, Kirghizstan en 2005). Certes, Obama a fait savoir qu’il soutenait les manifestants. Mais quoique certains secteurs pro-occidentaux de l’establishment économique et politique hongkongais puissent attiser les manifestations, il semble qu’une pareille crise ne soit pas dans l’intérêt immédiat des puissances impérialistes occidentales, ni même de Pékin bien entendu.
Une évolution ultérieure de la mobilisation pourrait avoir de multiples conséquences
D’un point de vue économique, elle pourrait faire décliner considérablement les niveaux d’échanges entre la Chine continentale et Hongkong, en plus d’affecter le marché des valeurs de l’île où sont cotées la plupart des grandes entreprises chinoises. L’économie mondiale s’en trouverait, bien entendu, fortement impactée.
D’un point de vue politique, on sait que le président chinois Xi Jinping défend le modèle « un pays, deux système » de façon ã « réunifier la Chine », c’est-à-dire, d’une part, ã conjurer les tensions séparatistes notamment dans l’Ouest du pays, et de l’autre, ã renforcer l’Etat pour qu’il soit en capacité d’aborder en position favorable les principaux défis géopolitiques de la période ã venir, à l’instar du dossier sur le contrôle de la mer de Chine méridionale. Dernièrement, Xi Jinping a défendu l’idée d’une extension de ce modèle pour avancer dans l’intégration de l’île de Taïwan, qui ne fait pas partie de la République Populaire de Chine. De son côté, ã Taipeh, la capitale de Taïwan, le président Ma Ying-jeou a dû affronter en mars dernier une forte vague de contestation, « le mouvement des tournesols » avec lequel le mouvement hongkongais partage un certain nombre de caractéristiques.
Vient enfin la question sociale. Les média comparent les mobilisations actuelles ã celles de la révolte anticoloniale de 1967, dont on voit certaines images dans In the mood for love de Wong Kar-wai. A l’époque, des dizaines de milliers de travailleurs et d’étudiants, s’inspirant de la Révolution culturelle chinoise, avaient défié le pouvoir britannique. Bien que les scènes de violence de ces derniers jours puissent rappeler celles du printemps 1967, les mobilisations n’ont pas encore atteint le même degré de radicalité. Au jour d’aujourd’hui, elles sont caractérisées par une physionomie très polyclassiste et se cantonnent au terrain des revendications démocratiques. Leur principale limite tient au fait de ne pas avancer, pour l’heure, les revendications des exploités du territoire hongkongais, même si l’intervention de la HKCTU pourrait changer la donne.
Après trois décennies de restauration capitaliste, la classe ouvrière chinoise constitue le prolétariat le plus concentré et le plus fort numériquement. Au cours des dernières années, on l’a vue entrer dans une phase de conflictualité et d’effervescence inédite jusqu’à aujourd’hui. Si la lutte hongkongaise venait ã alimenter les bagarres ouvrières sur le continent, et si les deux tendances venaient ã confluer, alors ce serait un scénario véritablement cauchemardesque qui s’ouvrirait pour la bureaucratie du Parti Communiste Chinois et pour le monde capitaliste en général. Bonnes nouvelles d’Orient, en somme !
01/10/14.