De Ferguson ã Sivens
L’assassinat d’un manifestant : une banalité
29/11/2014
Jean Tamalet, l’avocat du gendarme qui a tué Rémi Fraisse, s’est exprimé publiquement pour la première fois. Dans un entretien glacial, parfaitement détaché des faits, tel un simple rapport administratif, celui-ci a ainsi décrit la posture de son client et l’assassinat :"Il est dans le même état d’esprit qu’un conducteur qui s’est parfaitement conformé au Code de la route, mais dont le véhicule a heurté mortellement un autre usager qui n’aurait pas respecté une interdiction.Ce qui s’est passé est un accident.Il n’est ni coupable ni responsable, mais il était présent, et c’est sa grenade qui a tué Rémi Fraisse".
Il a ensuite esquivé la question de savoir si l’on pouvait considérer que son client s’était trouvé en état de légitime défense, puisque cela l’aurait amené ã révéler que Rémi ne disposaitd’aucune armela nuit du 25 au 26 octobre : ni arme ã feu, ni arme blanche, ni projectile qui aurait pu mettre en danger le gendarme. L’avocata préféré affirmer qu’"il s’agit de savoir si, face aux assauts continus du groupe dans lequel se trouvait Rémi Fraisse, mon client a eu une réponse graduée et proportionnée, comme le veut la procédure. C’est le cas.Nous sommes convaincus que Rémi Fraisse était pacifiste, mais il se trouvait ã cet instant-là au milieu de casseurs armés. Ce n’est pas faire injure ã sa mémoire que de le préciser".
Ce récit, qui appelle le lecteur ã compatir avec le gendarme et avec la“pression émotionnelle importante”dont celui-ci serait victime, pourrait être caractérisé comme la banalisation de l’assassinat d’un manifestant, si l’on se réfère à la phrase célèbre de la philosophe libéraleHannah Arendt, dans Eichmann ã Jerusal.
Dans cet ouvrage sur le procès du lieutenant-colonel de la SS nazie, qui s’est tenu en Israël en 1961, la théoricienne allemandeaffirme qu’Adolf Eichmann n’avait pas une trajectoire ou des caractéristiques antisémites, et qu’il ne présentait pas non plus les traits de caractère d’une personne détraquée ou malade mentale. Ses agissements auraient eu pour seul objectif son ascension professionnelle, et n’auraient fait que répondre ã des ordres de sa hiérarchie. Il n’était donc qu’un simple bureaucrate qui répondait ã des ordres, sans réfléchir à leurs conséquences.Eichmann agissait selon lui avec zèle et efficacité, et il n’en ressentait ni "bien" ni "mal", la question n’étant pas là ."Comme si, en ces dernières minutes, ilrésumait la leçon que nous a apprise cette longue étude sur la méchanceté humaine – la leçon de la terrible, de l’indicible, de l’impensablebanalité du mal", décriraHannah Arendt.
Revenant à l’assassin de Rémi Fraisse, afin d’en exploiter un maximum le caractère humain, tout en essayant de délégitimer les mobilisations en cours contre le tournant autoritaire de Hollande, son avocat a déclaré qu’"il a été meurtri de se voir accusé d’avoir délibérément visé Rémi Fraisse.Il ne comprend pas que ce drame soit exploité pour manipuler des lycéens ou des étudiants. Si son statut le permettait, il proposerait aux proches de Rémi de lancer conjointement un appel au calme".
Face ã une telle banalisation de la mort d’un manifestant,nous devons lutterplus que jamaiscontre l’appareil répressif de la démocratie impérialiste française, et contre ce système capitaliste décadent, qui engendre des assassins "normaux", qui commettent des accidents lamentables mais "normaux", tels que ceux qui ont tué Rémi Fraisse en France, ou Michael Brown aux Etats-Unis. Quant ã ce derniers cas, le flic assassinDarren Wilson a déclaré dans un entretien télévisé :"J’ai la conscience tranquille (...) j’ai fait mon travail dans les règles".