CRISE DE SUCCESSION EN PERSPECTIVE ?
Bolivie. Evo Morales désavoué par son électorat
24/02/2016
Le président de gauche Evo Morales soumettait à référendum une réforme devant lui permettre de briguer un quatrième mandat. Après plusieurs jours d’attente, le gouvernement a dû se rendre à l’évidence. C’est le « non » qui a gagné. C’est ce sur quoi revient, dans cette interview, Javo Ferreira, membre de la direction de la Ligue Ouvrière Révolutionnaire de Bolivie
Quelle a été la réaction du gouvernement et celle de l’opposition face aux résultats ?
Evo Morales et l’ensemble du gouvernement refusaient de reconnaitre les résultats qui indiquaient que le « non » l’emportait. Ils affirmaient qu’il s’agissait d’un match-nul, car le décompte des voix des communautés éloignées, et celles des Boliviens habitant à l’étranger, notamment en Argentine, au Brésil et en Espagne (où en général les résultats sont favorables au MAS, le parti de Morales), non seulement l’écart allait se rétrécir mais le gouvernement pouvait même gagner.
Ces déclarations avaient provoqué les premières réactions de la part de l’opposition, et la « crainte » d’une fraude électorale qui impose la victoire du « oui » au référendum. Cependant, les instituts de sondage avaient affirmé que même dans le cas où Evo Morales gagnerait toutes les voix de l’étranger, et avec une marge d’erreur de 2% en sa faveur, le résultat du « oui » ne dépasserait pas le « non ».
Quel scénario s’ouvre avec la victoire du « non » ?
Avec la victoire du « non » s’ouvre immédiatement une discussion au sein du parti du gouvernement axée sur deux éléments : d’une part, préparer la succession d’Evo, tâche difficile pour ce cartel d’organisations et de bureaucrates qu’est le MAS ; d’autre part, partir à la reconquête de l’électorat qui a manifesté son rejet face aux scandales de corruption, et à la gestion de la politique à travers des bureaucrates. Ce qui est mal vu non seulement par des secteurs des classes moyennes, mais aussi par les travailleurs. Ce processus constituera un chemin relativement long et tortueux que le gouvernement devra parcourir, étant donné que les élections n’auront lieu qu’en 2019.
Dans ce contexte, il y a au moins trois hypothèses immédiates. La première qui commence à se développer est celle de promouvoir l’actuelle présidente de la Chambre de Députés, Gabriela Montaño, comme l’une des figures centrales du parti au pouvoir, et David Choquehuanca, l’une des rares personnalités issues des peuples originaires qui restent dans le gouvernement.
La deuxième hypothèse, moins probable, mais qui ne peut pas être écartée, ce serait d’inverser le ticket présidentiel. C’est-à-dire que l’actuel vice-président, Álvaro García Linera, se porterait candidat à la présidence, et Evo Morales serait son vice-président. Cette option cependant ne serait pas bien vue, ni par le mouvement paysan ni par les secteurs indigénistes liés au MAS, qui sont très méfiants vis-à-vis d’une figure plus liée aux classes moyennes comme García Linera.
Enfin la troisième hypothèse c’est que l’on cherche de nouvelles figures, et que l’on les mette en avant peu à peu d’ici aux prochaines élections, dans trois ans. Cependant, l’opposition de droite profite de cette situation pour mieux se positionner vis-à-vis des élections. Ainsi, Filemón Escobar, un ancien membre du MAS passé à l’opposition, vient d’annoncer la création d’un nouveau parti « Défense de la vie ». D’autre part, Rubén Costas, dirigeant d’un autre secteur de l’opposition, a d’ores et déjà annoncé sa candidature.
Existe-t-il un espace pour la création d’une alternative indépendante des travailleurs ?
C’est difficile de l’affirmer encore. Cependant, il est clair que le résultat du référendum signifie non seulement un changement de rapport de force entre le MAS et l’opposition (étant donné que la plupart des forces d’opposition a appelé à voter « non »), mais il y a aussi un changement dans le rapport de forces entre ceux qui, comme l’organisation que je représente, ont appelé à voter blanc, et les organisations ouvrières et socialistes qui se sont alignées derrière la position du patronat et de l’opposition de droite.
En général nous considérons qu’il pourrait s’ouvrir un espace pour la construction d’un parti de travailleurs, avec la possibilité de la défense d’un programme et d’une politique d’indépendance de classe. Un tel parti devrait impulser la participation des syndicats et des travailleurs dans les usines, pour affronter la bureaucratie syndicale, complice des attaques du patronat en cours, en ce moment, dans différentes villes du pays.