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Amérique Latine

Bolivie : La bureaucratie de la COB, obstacle pour la construction d’un véritable Parti des Travailleurs

25/03/2013

Par Marc Barois

Les 7 et 8 mars derniers, dans la ville minière de Huanuni en Bolivie, en présence de 1300 délégués représentants 100 organisations différentes, était fondé le Parti des Travailleurs (PT). Son programme de gouvernement inclut des mesures aussi avancées que la nationalisation sans indemnisation des hydrocarbures, des mines et de l’ensemble des ressources naturelles, l’expropriation des grandes propriétés terriennes, la nationalisation des banques, l’ouverture des livres de comptes pour que les travailleur-se-s puissent en prendre connaissance et le contrôle ouvrier sur la production. Cette initiative exceptionnelle a été impulsée par la très combative Fédération Syndicale des Travailleurs des Mines de Bolivie (FSTM), et soutenue par les principaux dirigeants de la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB).

La puissante centrale syndicale bolivienne, fondée au cours de la révolution de 1952, rompt ainsi avec son ancienne position de soutien ã Evo Morales. Ce nouveau parti, décrit comme « l’Instrument Politique des Travailleurs » (IPT), se donne pour but de rendre possible la construction d’une opposition de classe au gouvernement d’Evo Morales. Sa fondation, portée par un important mouvement de réflexion au sein du mouvement ouvrier bolivien, montre que des leçons ont été tirées ã grande échelle au sujet de ce régime qui se revendique « socialiste » mais qui s’est révélé profondément anti-populaire et anti-ouvrier depuis son arrivée au pouvoir en 2006. Evo Morales aura été le meilleur allié, au final, des patrons, des propriétaires terriens et des entreprises transnationales.

Ce dernier appartient en effet à la génération des gouvernements prétendument « progressistes » qui ont fleuri au début des années 2000 en Amérique Latine. Leur rôle objectif a été de recomposer des régimes politiques alors en crise après une décennie d’application brutale de plans d’ajustement structurel imposés par l’impérialisme. Au Venezuela [1], en Équateur ou encore en Bolivie, ils ont été les instrument de la reconstruction d’une certaine « paix sociale » respectueuse de l’ordre capitaliste, grâce à l’utilisation d’une situation économique favorable (notamment grâce à la rente pétrolière) pour faire des concessions aux masses populaires. En parallèle, ces régimes faisaient en sorte de satisfaire les demandes des entreprises multinationales et de la bourgeoisie locale, tout en cherchant ã se présenter comme des acteurs responsables aux yeux de l’opinion publique internationale, en se dissociant de tout « radicalisme ».

Il faut donc mesurer l’importance du processus lancé par la COB, qui se propose de construire un parti des travailleurs en lien avec les syndicats, sous un gouvernement qui ne cesse de se dire « progressiste », « nationaliste » et « indigéniste », et qui avait suscité un grand nombre d’illusions en son temps. Cela démontre la conscience du fait qu’après une décennie de gouvernements « de gauche » dans la région, ni Evo Morales en Bolivie, ni Hugo Chavez au Venezuela, ni Rafel Correa en Équateur, ni les Kirchner en Argentine n’ont su en finir avec la misère ouvrière et paysanne, ni résoudre structurellement le problème de l’oppression des peuples indigènes. Cela est particulièrement vrai en Bolivie, où 40% de la masse salariale ne touche même pas le salaire minimum qui se situe autour de 110 euros, où la terre continue ã être concentrée entre les mains d’une oligarchie et où le droit à l’auto-détermination des peuples indigènes est resté un vœu pieu malgré la nouvelle Constitution.

L’arrivée au pouvoir du MAS en 2006 avait conduit dans un premier temps à la cooptation des directions des principales luttes des années précédentes. Mais, depuis la « rebelión fabril » de 2010, soulèvement des ouvriers des industries et des manufactures qui a réussi ã faire abroger la réforme du code du travail et l’augmentation du prix de l’essence, Morales ne cesse de perdre peu ã peu sa base sociale : secteurs ouvriers, travailleurs de la santé, enseignants, mais aussi indigènes de la région du TIPNIS se placent de plus en plus en opposition ã un régime en constante érosion politique. Le secteur le plus avancé en termes d’expérience politique avec et contre le MAS est celui des mineurs de Huanuni. En 2003, lors du soulèvement contre le gouvernement néolibéral de Sanchez de Losada, les mineurs s’étaient battus dans les rues de La Paz à la dynamite contre l’armée. Puis, en 2006, des affrontements qui font plus d’une dizaine de morts ont opposé le nouveau gouvernement ã plus de 4000 mineurs, qui ont obtenu gain de cause et qui ont été incorporés comme salariés de la mine nationalisée. C’est cette importante expérience politique des mineurs de Huanuni avec le MAS qui les place aujourd’hui, ã travers la FSTMB, à la tête du processus de fondation du Parti des Travailleurs.

Mais d’autres secteurs ont aussi pris part ã ces discussions profondes sur la nécessité d’une expression politique propre aux travailleurs, indépendante du MAS et de la bourgeoisie nationale. Cela s’est vu tout d’abord dans les syndicats, où les dirigeants liés au gouvernement ont souvent été évincés des postes de pouvoir. En témoigne la défaite subie en 2010 par Pedro Montes, allié du gouvernement et secrétaire général de la COB, qui perdit son poste lors du XVe congrès de la grande centrale syndicale. Cette dernière actait ainsi sa rupture avec Evo Morales. Il faut en outre rappeler que l’initiative de l’IPT date d’il y a plusieurs années, et que c’est la direction de Pedro Montes qui avait freiné le processus des quatre fers en raison de ses compromissions et de sa soumission au gouvernement.

Rien n’est gagné d’avance néanmoins, et la construction du PT reste un grand défi pour notre classe en Bolivie, puisqu’il reste jusqu’aujourd’hui dans la COB des éléments liés au MAS qui cherchent ã étouffer cette dynamique. Une partie de la direction de la centrale veut « un parti comme le PT de Lula », c’est-à-dire un parti électoraliste qui leur permette de mieux négocier des miettes avec le gouvernement, de continuer ã faire des accords avec le MAS et de marginaliser les tendances d’extrême gauche. Mais la présence de dirigeants conciliateurs ou opportunistes à la direction du PT ne doit pas empêcher les révolutionnaires d’intervenir dans ce phénomène qui peut signifier un grand changement politique pour le mouvement ouvrier bolivien.

Ainsi, des luttes politiques importantes se sont jouées au sein des syndicats et entre les organisations participantes aussi bien en amont que pendant la conférence de fondation, contre la bureaucratie soumise au MAS qui cherchait ã entraver chaque étape du processus. Ceci a culminé au sein de la conférence, quand le MAS a voulu empêcher que des dirigeants syndicaux occupent des postes de direction dans le PT, au motif d’une prétendue et soudaine « indépendance syndicale ».

En outre, pour lutter contre les tendances réformistes et électoralistes au sein du PT bolivien, il ne suffira pas d’invoquer les principes abstraits du syndicalisme révolutionnaire. La clé consiste en ce que l’avant-garde issue des nombreuses luttes de la dernière période s’approprie véritablement l’initiative de l’IPT, qu’elle avance dans l’organisation consciente de son indépendance politique vis-à-vis du MAS, de l’État bourgeois bolivien et des institutions répressives, et qu’elle défende une pleine démocratie au sein du nouveau PT.

Le récent refus du gouvernement d’augmenter le salaire minimum à la hauteur des vrais besoins de la population devrait permettre de mettre à l’épreuve cette nouvelle direction et le nouveau parti, en faisant le lien entre revendications économiques et perspectives politiques. Le processus qui vient de permettre la création du nouveau parti, qui suscite légitimement de grands espoirs, doit ainsi se parachever dans le feu de la lutte de classes !

19/03/13

  • NOTAS
    ADICIONALES
  • [1Pour un retour sur le rôle joué par le régime bâti par Hugo Chavez au Venezuela, voir, dans ce numéro, la déclaration des camarades de la Ligue des Travailleurs pour le Socialisme à la suite de la mort du l’ex-leader.

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