Une analyse économique et géopolitique de la zone euro
Où en est-on de la crise de la monnaie unique ?
10/05/2012
Par Juan Chingo
I. La crise de la zone euro et de l’UE est un élément de la plus importante crise capitaliste mondiale depuis les années 1930. Cette dernière avait généré, entre 1929 et 1933, des effets catastrophiques aussi bien au niveau de l’économie que de la finance, et provoqué parallèlement une évolution rapide de la situation politique, avec une succession d’évènements politiques qui rompaient avec la période antérieure.
On songera par exemple à l’arrivée au pouvoir de Hitler en Allemagne ou de Roosevelt aux Etats-Unis en 1933. La crise actuelle cependant se développe autrement et plus lentement que celle des années 1930. La grande différence est ã chercher du côté du niveau d’intervention étatique qui empêche la chute économique brutale et la crise financière de 2008/09 de se transformer en une grande dépression, en ou du moins en une dépression généralisée. En même temps, l’accroissement vertigineux de la dette publique et le développement de la crise de la dette souveraine, qui touche ã différents niveaux tous le pays impérialistes, sont une caractéristique spécifique de la crise qui a éclaté en 2007 et dont les conséquences sont encore devant nous. Ces éléments permettent à la crise actuelle d’être moins aiguë si on la considère dans son ensemble par rapport à la crise des années 1930. Cela ne fait cependant que l’étaler dans le temps, tout en retardant de manière effective son issue.
Parallèlement, au niveau géopolitique, si la crise de 1929 était caractérisée par la double émergence des Etats-Unis d’une part – disputant ouvertement l’hégémonie au Royaume-Uni au niveau mondial – et de l’Allemagne d’autre part – rivalisant à l’échelle européenne avec la France –, la crise actuelle se singularise par le déclin de l’hégémonie nord-américaine, mais en l’absence d’une puissance émergente qui se présenterait clairement comme entité hégémonique de remplacement. Cela ne veut pas dire qu’il ne puisse y avoir de changements géopolitiques majeurs – hypothèse des plus probables –, mais ceux-ci seront plus un résultat de la crise que la cause de celle-ci.
Les bases structurelles de la crise de l’euro et les perspectives
II. L’origine de la crise de l’euro se trouve dans la tendance à la désindustrialisation relative des pays du Sud de l’Europe, y compris de la France, au profit de l’impérialisme allemand. A l’inverse de ce que l’on peut lire dans certaines interprétations superficielles et partisanes sur le sujet, notamment celles dont se fait écho le gouvernement allemand, ce n’est ni la durée du temps de travail [1] ni les coûts salariaux qui expliquent les différences de productivité entre les différentes économies de la zone euro. L’avantage de l’Allemagne se trouve ailleurs.
Tout d’abord, l’Allemagne a été le pays le plus efficace dans l’externalisation de ses coûts de production vers l’Europe de l’Est, profitant de la main d’œuvre qualifiée bon marché des pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO). En tenant compte cette réalité, le véritable coût du salaire unitaire allemand est 20% moins élevé que celui des autres pays impérialistes de la zone euro (France, Italie, Espagne). Plus important encore, à la différence d’autres processus de délocalisation, l’Allemagne a tiré les conséquences de son propre manque de main d’œuvre qualifiée, et a externalisé une grande partie de sa production industrielle sophistiquée dans les PECO, et conservé une bonne partie de la production moins complexe sur son territoire. C’est par exemple le cas de l’industrie automobile. Le géant Volkswagen produit en République Tchèque ou en Slovaquie des modèles haute-gamme, et non les modèles les moins sophistiqués comme c’est le cas de Renault en Roumanie. Tout cela a permis ã Berlin de capter des ressources de production qui lui manquaient (des travailleurs qualifiés avec un niveau de formation équivalent ou supérieur ã celui des travailleurs d’Europe de l’Ouest). En même temps, l’Allemagne a réussi ã créer (au-delà des effets de la crise) plus de postes de travail industriel que ceux perdus dans le cadre de ces délocalisations.
D’autre part, Berlin concentre ses avantages comparatifs dans les produits de haute et/ou moyenne-haute technologie, alors que dans le reste des pays de la zone euro les produits de moyenne et basse technologie ont proportionnellement un poids plus important [2]. Les investissements plus significatifs consacrés à la Recherche et Développement (R&D) ainsi que le niveau d’innovation expliquent cette différence dans l’offre industrielle allemande. Ces produits sont moins susceptibles de souffrir des fluctuations des prix. Ils sont moins exposés également à la concurrence des « pays émergents » qui affecte durement le segment de marché des pays positionné ã un niveau moindre de production technologique.
L’industrie française est un bon exemple de ces difficultés. Celle-ci subit une forte pression concurrentielle dans la mesure où elle se situe sur un segment de marché de produits de technologie moindre que l’Allemagne, bien qu’elle bénéficie tout de même d’un secteur de haute technologie, similaire ã ce qui se fait Outre-Rhin, notamment dans le cadre de l’armement. Mais même dans ce secteur, l’offre allemande est une offre plus qualifiée et plus diversifiée. Elle associe un niveau important de R&D ã tout un réseau de grandes et moyennes entreprises qui lui permet non seulement d’être présente dans les productions de pointe mais également de couvrir l’ensemble des grands secteurs industriels [3]. Si l’on revient maintenant au cas français, les industries du CAC 40 sont certes efficaces et rentables, mais il n’existe pas dans ce pays un niveau d’intégration de l’ensemble du tissu industriel semblable à l’Allemagne et ã son fameux « Mittelstand », hautement innovant et dynamique. Au contraire même, au cours des dernières années nombre d’entreprises sous-traitantes françaises ont fermé ou ont vu leur poids réduit, en raison du recours ã d’autres sous-traitants pratiquant à l’étranger des tarifs plus compétitifs.
III. Cet avantage structurel du capital allemand a été stimulé et accentué par la création de l’euro. A travers son instauration, l’Allemagne a enlevé la possibilité aux impérialismes moins compétitifs de rééquilibrer leur position ã travers des dévaluations successives. En même temps, elle obtenait un droit d’accès sans restrictions à leurs marchés nationaux grâce aux avantages du marché commun (qui permet une baisse des coûts de transaction, améliore l’assignation de capital, et facilite l’externalisation de parties de la capacité productive). Parallèlement ã ces avantages pour le capital industriel, la progression de l’euro en tant que monnaie de réserve au niveau international, devenue capable de rivaliser avec le dollar, a permis d’obtenir des financements sur les marchés financiers internationaux, d’octroyer des prêts en euro au niveau international, et de dégager des bénéfices dans des opérations financières (investissement des banques allemandes et d’autres pays d’Europe dans le marché subprime des USA). Tout cela a permis à l’Allemagne d’émerger comme centre financier international.
Conséquence de ces changements, les pays de la périphérie de la zone euro ont perdu en compétitivité dans les années 2000, en développant un déficit de compte courant vis-à-vis du centre (l’Allemagne et les autres pays du Nord de l’Europe) et en accumulant de grandes dettes auprès des institutions financières de ces pays. Ces déséquilibres structurels en Europe ont été masqués jusqu’au développement de la crise de la dette par les taux d’intérêt très bas dont bénéficiait l’Allemagne. Cela a rendu possible un cycle de crédit facile et des hauts taux de croissance des pays de la périphérie européenne par rapport ã ceux du centre, avec des exceptions comme le Portugal. Avec l’éclatement de la crise mondiale, ces miracles économiques se sont révélés sans fondement solide, et le fardeau de la dette publique et privée a commencé ã peser très lourd. En conclusion, la monnaie unique a approfondi la division entre le centre et la périphérie en posant les bases d’un recul de cette dernière et de la consolidation de la progression de l’impérialisme allemand.
IV. Face au développement de la crise de la dette, l’objectif des principaux pays de la zone euro a été de protéger les intérêts des banques et des titulaires des obligations en évitant un phénomène de défaut de paiement. C’est là l’objectif des politiques d’austérité qui cherchent ã socialiser les coûts de la crise. Cela passe par une attaque en règle contre les acquis qui subsistent du vieux modèle de l’Etat-providence. L’enjeu est de créer un rapport de force défavorable au monde du travail pour permettre d’augmenter le taux d’exploitation. Cela passe par une diminution qualitative du salaire direct et indirect, ainsi qu’à travers une transformation des conditions contractuelles liant capital et travail, afin d’avoir une incidence directe sur les rythmes et l’intensité de la journée de travail, en tirant profit de l’effet paralysant que provoque chez les travailleurs la peur du chômage.
Cette politique mène cependant à la récession, alourdissant plus encore le poids de la dette. C’est ce dont témoigne le cas de la Grèce, et la nécessité d’opérer une première restructuration de sa dette à l’égard de ses créanciers. Athènes ne peut répondre ã ses engagements en raison de l’importance et de la vitesse de la récession que le pays connaît. C’est la raison pour laquelle, après bien des hésitations, la Troïka a accepté, en février, d’éviter le défaut, bien que tout le monde sache désormais que la dette grecque ne pourra être remboursée. Tout ceci montre combien les principaux responsables européens continuent ã craindre l’effet que pourrait avoir un décrochage de la Grèce sur l’ensemble de la zone euro. La crainte d’un risque de contagion n’a pas été dépassée [4]. Le point central, c’est aussi que la Grèce n’est pas un cas ã part. Tous les pays d’Europe ont emprunté des milliards et sont considérés comme instables par les marchés financiers.
A la différence du défaut de paiement désordonné de l’Argentine en 2001, le danger de contagion est réel aujourd’hui. Dans le cas de la dette argentine, le précédent du défaut russe de 1998, qui avait pris les créanciers et les spéculateurs au dépourvu, avait poussé ces derniers ã se préparer. C’est pour cela que la contagion ne s’est presque pas produite. Mais en ce qui concerne la zone euro, les banques se trouvent décapitalisées et courent contre la montre pour reconstituer leur patrimoine. Par ailleurs, la dette grecque est complètement imbriquée dans le système financier européen et nominée dans la même monnaie que ses principaux créanciers, l’euro. En même temps, elle se développe au milieu d’une crise de la dette souveraine mondiale (la phase actuelle de la crise historique du capitalisme) et dont l’UE est l’un des principaux épicentres. Dans ce cadre, le but de la BCE et des dirigeants européens est de désamorcer cette « bombe ã retardement », de sorte que le défaut de la Grèce n’implique pas la désintégration de l’euro. Pour le moment ils n’ont pas réussi, comme le montre leur réticence à laisser tomber la Grèce, ce qui n’avait pas été le cas du FMI par rapport au défaut de l’Argentine.
V. Mais en réalité les « effets bénéfiques » du « sauvetage grec » [5] et de l’action de la BCE n’ont permis qu’une brève pause dont la fin s’approche. Il suffit de considérer la fragilité vde la situation dans laquelle se trouvent l’Italie mais aussi et surtout l’Etat espagnol. Considérant l’augmentation rapide de leurs taux d’intérêt, ces deux pays doivent appliquer des plans d’austérité draconiens, risquant de tomber (dans le cadre du réveil de la lutte de classes, comme le montre le 29M dans l’Etat Espagnol [6], et un déclin de son économie) dans un « piège de la dette ».
Madrid risque de se transformer en prochain maillon faible de la zone euro. En effet, dans le cadre de la faible compétitivité de son économie, il subit une récession profonde. Celui-ci est le résultat d’un problème d’insolvabilité du secteur privé fortement endetté autour du secteur de la construction immobilière dont le prix s’est effondré [7], et qui en outre continuera ã chuter, et l’existence d’un secteur financier qui a créé cette dette et qui se trouve dans un état d’insolvabilité. L’insolvabilité du secteur privé [8] provoque une profonde récession économique, l’effondrement des entrées fiscales, l’augmentation du déficit public et celle de la dette de l’Etat. Plus encore, l’assainissement de son système financier [9] , remis continuellement ã plus tard, peut générer un saut « à l’irlandaise » dans l’endettement public. Dans le cadre de marges de manœuvre étroites pour ses finances publiques, l’Etat Espagnol pourrait se voir obligé de demander de l’aide à l’UE, ce que le gouvernement veut éviter coûte que coûte ã cause de l’humiliation nationale que cela impliquerait.
Avec en toile de fond une situation économique qui se dégrade rapidement, le gouvernement de Mariano Rajoy se trouve pris en tenaille entre d’un côté une UE qui exige de lui d’accélérer le rythme des politiques d’ajustement afin d’éviter une nouvelle vague d’instabilité dans l’ensemble de la zone euro, et de l’autre les conséquences économiques que les mesures d’austérité génèrent et qui affectent déjà sa base sociale et électorale. L’austérité place également sous tension les rapports entre le gouvernement central et les régions autonomes, mettant toujours plus en relief un des problèmes centraux de l’Espagne postfranquiste, ã savoir l’équilibre entre l’Etat central et les Autonomies. En effet, si Madrid espère atteindre ses objectifs en matière d’équilibre budgétaire, il lui faudra modifier la politique d’autonomie budgétaire à l’égard des Communautés autonomes (Catalogne, Euskadi-Pays Basque, etc.), politique qui était une des clefs de la « transition démocratique » orchestrée au cours des années 1980. Enfin, l’économie espagnole est l’économie européenne qui ressemble le plus à la Grèce en termes de potentialités d’exaspération sociale. L’Etat espagnol n’est pas encore arrivé au niveau de la Grèce en termes de potentialité d’explosion sociale et d’insubordination, mais la situation se détériore ã un rythme accéléré et le chômage atteint des records dans la péninsule qu’Athènes ne connaissait pas au début de la crise. L’entrée sur le devant de la scène de la jeunesse, des lycéens et des étudiants, expression du malaise profond des jeunes qui font face ã une situation bouchée sur le marché du travail et face aux coupes budgétaires dans tous les secteurs de l’Education, avant et pendant la grève générale du 29 mars, mais aussi et surtout l’entrée en scène des travailleurs, tout ceci peut coïncider avec un point de basculement dans la situation et un début d’escalade de la conflictualité sociale.
VI. La situation portugaise est quant elle extrêmement problématique. Le Portugal pourrait devenir le second pays victime de la dette publique. Après l’épisode grec, l’incapacité de paiement de la part de Lisbonne pourrait être beaucoup plus rapide que prévu. A la différence cependant du scénario grec, les marchés ne sont pas préparé ã un défaut portugais. Les propriétaires d’obligations grecques ont eu des années pour se préparer à la première restructuration de la dette d’Athènes. La fuite des dépôts, en revanche, affecte fortement le Portugal. Ces derniers se redirigent vers des pays réputés plus surs et les banques allemandes en sont les premières bénéficiaires. C’est là une des conséquences du fait que les dépôts bancaires dans les banques nationales sont garantis par les banques centrales de chaque pays, et non par la BCE, à l’image de ce qu’est la FDIC aux Etats-Unis [10]
Plusieurs éléments peuvent faire connaitre à l’Europe un nouveau pic dans la crise, plus grave encore cette fois-ci. Il suffit de penser à l’hypothèse probable d’un nouveau plan de sauvetage ã échelle européenne, cette fois-ci en direction du Portugal, aux inquiétudes liées à la situation espagnole, aux craintes existantes par rapport à la situation française [11] mais aussi l’instabilité politique en Grèce à la suite des élections du 6 mai. On est passé de la croyance qu’il existait une sorte de cordon de sécurité autour de la dette grecque (« ring fence ») ã mettre sur pied des pare-feux (« firewall ») afin de faire face à la crise de la dette publique. Tout ceci montre combien le problème est systémique.
C’est dans ce cadre que fin mars les ministres des Finances de la zone euro ont approuvé ã Copenhague une augmentation uninominale du fonds européen de sauvetage, le Mécanisme Européen de Stabilité (MES). Il s’agit d’une sorte de Fonds Monétaire ã échelle européenne qui devrait rentrer en vigueur en juillet et qui disposerait de 500 milliards d’euros. En réalité, l’accord est basé sur un échafaudage financier complexe et très peu de fonds nouveaux. Bien que l’Eurogroupe assure que le MES peut compter sur 800 milliards d’euros, il ne dispose en réalité que de 700 milliards d’euros, et une partie de cet argent est déjà assigné en direction de pays comme la Grèce, l’Irlande et le Portugal [12]. De ce point de vue, la zone euro continue ã mettre des pansements sur une jambe de bois.
La question fondamentale, c’est que la capacité de ces mécanismes de sauvetage communautaire ã recapitaliser les banques est limitée par le caractère national des banques européennes. Les banques continuent ã être étroitement liées au cadre des Etats-nations. Dans le cadre d’un système d’alliances d’Etats différents entre eux, il n’est pas aisé de pouvoir lever des fonds de façon coordonnée afin de sauver les banques nationales d’un des Etats membre. Il est difficile de croire que l’Allemagne pourrait sauver les banques françaises ou espagnoles sans contrepartie. C’est cette caractéristique impérialiste des Etats membres de la zone euro qui empêche que soit trouvée une solution effective à la crise de la dette en Europe. C’est la racine même de ce obstacle, qui n’est en rien un problème technique de l’union monétaire.
La crise actuelle a fait apparaître au grand jour une vérité élémentaire pour les marxistes. Les carences fondamentales de la construction européenne sont le résultat de la volonté délibérée de chaque bourgeoisie composant l’UE de maintenir la plus grande marge de manœuvre possible et d’utiliser l’Union avant tout comme un instrument commun de libéralisation et de dérégulation des marchés au service du grand capital. C’est ce qui donne un caractère limité ã tous les outils mis en œuvre pour gérer la crise. C’est ce qui fait, de façon récurrente, courir le risque à la zone euro d’une désintégration, perspective évitée jusqu’à présent par la mise sur pied d’accords ad hoc de dernière minuté face aux craintes qu’une telle perspective génère. C’est en ce sens qu’il faut considérer l’avenir de la zone euro non seulement d’un point de vue économique, mais en partant fondamentalement des rapports et des intérêts existants entre les pays qui la compose, en s’arrêtant plus particulièrement sur le cas de l’Allemagne.
La tentative allemande d’exercer son hégémonie sur l’Europe et ses contradictions
VII. La crise actuelle présente une opportunité unique pour la bourgeoisie allemande d’aller dans le sens d’une politique plus intégrée de l’UE, sous sa houlette, qui correspond ã son ambition stratégique. Incapable, en raison du caractère même de l’UE, d’appliquer une union des transferts comme cela se pratique aux Etats-Unis, Merkel essaie de faire accepter les désidératas de Berlin par les gouvernements hautement endettés d’Europe du Sud. Cela permettrait aux bureaucrates bruxellois un plus grand contrôle sur leurs budgets nationaux. Tout en cherchant ã ce que les pays en question remboursent leurs créances, Berlin essaie d’imposer une vaste restructuration de leurs économies au service du capital allemand et des multinationales les plus puissantes à l’échelle du continent. Avec le contrôle des dépenses, l’Allemagne cherche ã diminuer la part des budgets consacrée à la consommation, au maintien des acquis sociaux et aux secteurs de l’économie non directement productifs, afin d’améliorer les conditions d’investissement. Bien entendu, c’est notamment la bourgeoisie allemande qui pousse ã des solutions de ce type, en raison de son poids économique et de l’accroissement de son rôle politique. Mais ces solutions sont également appuyées par l’ensemble des secteurs de la grande bourgeoisie européenne et du capital transnational ayant des investissements en Europe. A travers la pression et l’ingérence politique ouverte, utilisant ã souhait le poids de la crise financière, le gouvernement allemand essaie d’imposer ses vues aux autres pays. Nombreux sont ceux, cependant, qui se retrouvent pris en tenaille, en raison d’une part de la pression de la rue, mais également du fait des différents secteurs de certaines bourgeoisies nationales, effrayées à l’idée de perdre leurs privilèges ou de se voir affectées dans leurs affaires, parfois liées aux réseaux clientélistes existants avec les classes politiques locales.
VIII. L’offensive allemande est en train de déstabiliser l’entrelacs complexe sur lequel est basé la construction européenne. Elle est en train de créer un fossé peut-être désormais infranchissable entre les pays d’Europe du Sud et du Nord, phénomène aux conséquences imprévisibles. C’est ce que reconnaissent, alarmés, les vieux architectes de la construction européenne en Allemagne, à l’image des anciens chanceliers Helmut Schmidt (social-démocrate) ou Helmut Kohl (démocrate-chrétien).
La politique allemande actuelle ne déstabilise pas seulement les rapports entre le centre et la périphérie de l’UE. Elle met ã mal également le moteur franco-allemand. Depuis l’origine, la politique française au sein de l’UE et de la zone euro a été guidée par un objectif principal : contenir Berlin. Depuis le début de la crise, la France s’est placée, avec l’Allemagne, comme co-leader en Europe. Dans une certaine mesure, la crise de la dette a aidé Paris a renforcer cette image. En appelant, aux côtés de l’Allemagne, à la mise en œuvre de mesures d’austérité, la France a montré que ses intérêts s’alignaient sur ceux de l’Allemagne quand il s’agissait d’affronter la question de la gestion de la crise financière dans la périphérie de la zone euro. La France a, dans ce sens, eu son mot ã dire par rapport à la gestion de la crise par l’Allemagne. Mais les intérêts des soi-disant co-leaders européens ne sont pas si concordants qu’ils ont pu l’être ã un moment donné. C’est ce qu’indique par exemple le refus, de la part de Berlin, de toute renégociation du pacte fiscal adopté en décembre 2011 par les 25 membres de l’UE, renégociation promise par François Hollande ors de sa campagne. Bien qu’un changement brusque des relations franco-allemandes soit peu probable, on ne peut ignorer que les différences entre les deux capitales vont être de plus en plus évidentes. Comme le souligne Perry Anderson, la stratégie allemande d’hégémonie sur l’UE s’élève stratégiquement contre les intérêts hexagonaux. « Pour fonctionner, analyse Anderson, l’UE exige que ce soit les Etats, qui ont une importance différente en termes démographiques et économiques, qui lui donne de la cohérence. L’Europe a besoin de l’hégémonie de l’Allemagne et les allemands doivent cesser d’être en retrait par rapport ã cette question et l’assumer pleinement. La France, avec son arsenal nucléaire et son siège de membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU (qui n’a plus guère d’importance aujourd’hui) doit revoir ses prétentions en conséquence. L’Allemagne doit traiter avec la France comme le faisait Bismarck avec la Bavière à l’époque d’un autre système fédéral, le Kaiserreich, en lui concédant quelques lots de consolation symboliques et quelques contrepoids bureaucratiques, mais le tout sous la houlette prussienne. Il faut voir, maintenant, si la France peut se plier ã devenir la Bavière du Second Reich… Si l’on prend en compte la présidence Sarkozy et l’alignement de Paris sur les priorités de Berlin, il semble qu’on y soit presque. Mais peut-être qu’une analogie plus contemporaine conviendrait mieux [la situation actuelle]. Au cours des dernières années, l’obsession de la classe politique française de ne jamais se détacher des plans allemands mais au contraire d’y être tout le temps associé ressemble de plus en plus ã une autre « relation spéciale », celle de la Grande-Bretagne, désespérément attachée à l’idée de jouer le rôle d’aide-de-camp des Etats-Unis. Il peut être utile de se demander, cependant, combien de temps cette auto-subordination française va encore durer, sans qu’il n’y ait de réaction » [13].
La toute prochaine présidence Hollande va très certainement apporter une réponse ã cette question. La France va-t-elle user de son positionnement stratégique afin de s’aligner avec les pays du Sud de l’Europe, le premier d’entre eux étant l’Italie, afin de faire contrepoids à l’Allemagne ? A l’inverse, le futur président va-t-il suivre le chemin de Mitterrand en 1982, qui finit par s’aligner sur les positions de Kohl et par être un des principaux agents de la libéralisation des marchés à l’intérieur de l’Europe et ã échelle internationale, dans le cadre de ce qui à l’époque s’est appelé « le Consensus de Paris » ? A moins que Hollande finisse par trouver une sorte de compromis qui permette tout juste d’alléger la pression sur les pays du Sud de l’Europe une plus grande flexibilité du calendrier fiscal et quelques mesures de relance, le tout bien entendu accompagné par une bonne dose de réformes structurelles, comme le demandent Mario Draghi, le président de la BCE, ou la chancelière allmemande elle-même ? Ce qui est sûr, c’est que la puissance allemande commence ã montrer ses muscles. Son leadership va être sérieusement mis à l’épreuve. L’Allemagne doit encore se préparer, tant sur le plan intérieur qu’extérieur, si elle veut réellement atteindre ses objectifs, ce qui ne sera pas sans la soumettre ã de fortes crises. En dernière instance, ce qui va déterminer l’importance des virages et autres retournements politiques et géopolitiques au sein de l’UE, c’est la profondeur de la crise économique ainsi que le niveau de lutte de classes auxquels chaque pays aura ã faire face.
IX. La dernière raison pour laquelle une solution rapide et non traumatique de la crise est impossible, c’est que cette même crise a fait émerger ã nouveau, et avec toute sa force, la question de la primauté de l’Etat-nation. Ce carcan fait obstacle, par son existence même, au développement des forces productives qui ont dépassé, depuis longtemps déjà , son cadre et ses frontières et qui on conduit, au cours du XXème siècle, ã deux guerres mondiales. L’Etat-nation était et reste le cadre primordial de l’UE. C’est en ce sens que les marxistes ont toujours souligné le caractère parfaitement utopique de l’unification européenne par la bourgeoisie impérialiste. Cet état de fait est devenu, aujourd’hui plus que jamais, une dure réalité pour la bourgeoisie.
La création de l’UE a essayé de dépasser ã sa façon la contradiction existante entre cette vieille relique du passé que sont les Etats-nation et les forces productives. Alors que les questions de sécurité restaient la chasse-gardée de l’OTAN et des Etats-Unis, l’objectif de la construction européenne était de tirer profit de la prospérité économique et de réguler le marché en créant une bureaucratie centrale qui permette de dépasser le nationalisme sans pour autant supprimer les identités nationales. Ce projet, qui a toujours avancé de façon syncopée et qui a été reconfiguré, avec la création de la BCE et de l’euro suite à l’unification impérialiste de l’Allemagne, se retrouve aujourd’hui face à la nécessité d’avancer sur de nouveaux terrains (politique fiscale et budgétaire, compétitivité, etc.) par rapport auxquels jusqu’à présent personne ne veut céder une once de souveraineté, et qui sont des questions centrales non seulement pour les salariats de chaque pays, mais également pour les bourgeoisies nationales. C’est en ce sens que l’on peut dire qu’avec la fin de la prospérité, une des clefs qui justifiait l’UE a disparu, favorisant la résurgence des conflits. La crise repose la question de comment la prospérité doit se distribuer en Europe. C’est une des bases de la renaissance du cancer nationaliste. Bien qu’on n’en soit encore qu’au début, la période d’accumulation de rancœurs et de ressentiment a bien commencé, pouvant laisser présager des pires moments de l’histoire européenne.
X. Comme nous le soulignions plus haut, les fondements politiques et géopolitiques qui ont sous-tendu le lancement de la monnaie unique ainsi que le développement de l’UE sont en train d’être bouleversés. La réunification impérialiste allemande de 1990 a cédé la place ã une période riche en changements géopolitique sur le terrain européen, sans doute seulement comparable ã ce qu’à l’époque a signifié l’unification allemande sous Bismarck. Cela n’est pas seulement dû au fait que l’Allemagne est devenue la principale puissance démographique et politique de l’UE. C’est également lié au fait que Berlin a commencé ã évoluer sur l’échiquier international de façon de plus en plus autonome. Parallèlement, on assiste en Europe au développement d’autres phénomènes, à l’image de l’affaiblissement de l’OTAN, à la suite de la disparition de l’URSS, qui était à la source de la cohésion de l’alliance militaire atlantique. On a pu le voir dans le désintérêt européen face à l’échec de la stabilisation de l’Afghanistan. On a pu le voir également ã travers les dissensions qui sont apparues sur le dossier libyen, la guerre ayant été largement menée par la France et la Grande-Bretagne. On assiste de même ã une tendance à la régionalisation des systèmes d’alliance, définis notamment autour de la Russie, sous la houlette de la France et de l’Allemagne en dépit des réserves fortes exprimées par des pays comme la Pologne ou les républiques baltes. L’affaiblissement des liens politiques et géopolitiques qui ont mené à la création de l’UE pourrait conduire ã sa dissolution. Aujourd’hui, le fait que pour l’Allemagne il soit plus important de maintenir des rapports avec le centre de l’UE et les PECO qu’avec des pays périphériques comme l’Etat espagnol pourrait l’amener ã opter pour une issue régionale à la crise actuelle [14]. Toutes ces contradictions à long terme se manifestent dans la crise actuelle, notamment ã travers l’indécision de Berlin pour résoudre les déséquilibres entre les pays du Nord et du Sud de l’Europe.
XI. Pour l’Allemagne, l’UE est vitale tant du point de vue économique que politique. A l’image de l’ensemble de sa politique extérieure post-Seconde Guerre mondiale, l’UE oriente la politique allemande vis-à-vis de la France. Il s’agit également d’un instrument pour éviter que la défense de l’intérêt national allemand ne génère de conflits, comme par le passé.
D’un point de vue économique, l’Allemagne est le second exportateur au niveau mondial, et l’Europe est son premier client. Comme nous l’avons souligné, le lancement de la monnaie unique a été largement favorable aux exportations et aux investissements de Berlin. La dérégulation bruxelloise a également avantagé le capital allemand, renforçant sa pénétration en direction des PECO.
L’UE, telle qu’elle existait entre 1991 et 2008, a été un facteur fondamental pour l’Allemagne. C’est ce même fonctionnement qui est aujourd’hui remis en question par la crise. Comme nous le soulignions dans la thèse VIII, la tentative de renforcer plus encore l’hégémonie de Berlin sur l’ensemble de l’UE est un pari risqué. Dans ce cadre, si malgré toutes ses tentatives Berlin ne réussit pas ã forger une eurozone plus ã son image et si le projet de la monnaie unique se désagrège, on ne peut exclure qu’à long terme (la suite de secousses d’ampleur tant économiques que politiques) l’Allemagne ne fasse le choix d’une option différente de l’UE telle qu’on la connaît aujourd’hui. Nous avons vu comment la semi-colonisation des PECO a largement bénéficié à l’impérialisme d’Outre-Rhin. En ce sens, le saut qualitatif qui caractérise actuellement les rapports économiques et politiques entre Berlin et Moscou pourrait offrir à l’impérialisme allemand un terrain d’action renouvelé. Une semi-colonisation de la Russie au profit du capital allemand pourrait donner lieu ã un pôle économique, politique et militaire qui serait une menace pour les Etats-Unis. Alors que l’Allemagne a besoin du gaz et du pétrole russe (tout en cherchant ã diversifier ses sources d’approvisionnement), la Russie a besoin de la technologie allemande. La combinaison de ces deux éléments pourrait donner lieu ã une puissante émergente d’un point de vue global. De plus, bien que la Russie souffre d’un déclin démographique relatif, le pays dispose d’un surplus de travailleurs en activité ou au chômage. Ces derniers pourraient pallier le recul démographique réel de l’Allemagne, qui pourrait en profiter pour ouvrir directement des unités de production sur le territoire russe et y multiplier les investissements. Cette synergie économique a son corrélat du point de vue de la politique extérieure. Les deux pays entendent limiter l’influence nord-américaine. Alors que Berlin subit de fortes pressions étasuniennes sur un certain nombre de dossiers, Moscou voit dans les Etats-Unis une menace pour ses intérêts. Tant l’Allemagne que la Russie d’ailleurs sont en train de reconstruire leurs « zones d’influence » respectives en Europe de l’Est et en Asie Centrale, limitant de fait les ambitions étasuniennes dans ces deux zones géographiques. Sur le plan politico-militaire donc, Berlin et Moscou ont des intérêts en commun.
Par-delà ces considérations, la stratégie actuelle de l’Allemagne continue néanmoins ã se baser sur la survivance de l’UE. Si la crise actuelle de l’Union s’avérait insurmontable, il y a fort ã parier cependant que la bourgeoisie allemande et son Etat seraient forcer de trouver une alternative de remplacement. Les rapports entre la Russie et l’Allemagne existent et s’approfondissent [15]. Ils sont certes soumis ã un cadre géopolitique et aux restrictions imposées à l’impérialisme allemand dans le cadre de l’UE actuelle [16]. Mais si cette dernière venait ã s’affaiblir encore plus, la Russie pourrait devenir la cible de l’offensive du capital et de l’impérialisme de Berlin.
Un troisième scénario est également envisageable, celui d’un déclin à la japonaise pour l’UE en raison des énormes défis et risques en termes de coût politique et de lutte de classes qu’impliquent les deux hypothèses précédentes. En effet, par peur de casser sa forte cohésion intérieure, le Japon traverse depuis un quart de siècle une période de déclin. A l’inverse de ce que plusieurs analystes prévoyaient, Tokyo n’a pas fait le pari d’une politique impérialiste plus agressive ã échelle régionale et en Asie en général, comme alternative pour sortir de la crise. Mais comme l’UE n’est pas un Etat (ni une structure supranationale), un lent déclin à la japonaise pourrait signifier une détérioration accélérée du projet européen et, ã terme, sa désagrégation.
Face aux différents scénarios bourgeois de sortie de crise, notamment celui du repli nationaliste et xénophobe, il est essentiel que les marxistes révolutionnaires défendent plus fermement encore la perspective des Etats-Unis Socialistes d’Europe, la seule issue progressiste face à la crise dans laquelle les bourgeoisies impérialistes européennes nous ont plongé.
07/05/12
[1] La quantité annuelle moyenne d’heures de travail en Allemagne (1390 heures) est plus faible que dans les pays du Sud, y compris la France (1554 heures) : pour l’Etat Espagnol, 1654 heures ; le Portugal, 1719 heures ; l’Italie, 1773 heures et la Grèce, 2119 heures (données de l’OCDE, 2010). En ce qui concerne les coûts salariaux unitaires (salaires+cotisations sociales / productivité, c’est-à-dire le coût d’une unité de production), bien que l’Allemagne ait réussi ã avoir une hausse moins rapide que la France grâce ã une politique de modération salariale entre 2003 et 2010 (+27% pour cette dernière contre 3% pour la première), ceci ne fait que compenser le retard accumulé entre la réunification entre l’Est et l’Ouest et le lancement de l’euro. La différence de 33 euros de l’heure en Allemagne et de 31 euros de l’heure en France ne peut pas expliquer ã elle toute seule les différences de compétitivité et de performance des exportations en faveur du premier pays.
[2] L’OCDE classifie les industries manufacturières en quatre catégories, « haute catégorie » (informatique, technologies de l’information, pharmacie, instruments de précision et d’optique, etc.), « moyenne technologie » (chimie, biens de production, construction mécanique, etc.), technologie de base » (plasturgie, métallurgie, etc.) et « basse technologie » (textile et confection, agroalimentaire, etc.).
[3] Dans le secteur de l’industrie mécanique par exemple, la France bénéficie d’avantages comparatifs quasi exclusivement dans le secteur aéronautique. L’Allemagne, de son côté, dispose d’un offre plus diversifiée en produits de technologie moyenne (machines-outils, moteurs, etc.).
[4] Voir « Report du défaut de paiement par crainte de l’effondrement de l’euro », 01/03/12, . En réalité, ce « sauvetage » de la Grèce n’aurait pas été effectif pour éviter le risque de contagion -qui s’exprimait dans une profonde « crise de liquidités » des principales institutions financières de la zone euro l’automne dernier- sans l’intervention massive de la BCE. L’émission d’un billion d’euros en échange de titres invendables des banques privées ã un taux d’intérêt de moins de 1% par an, a été une mesure sans précédent de la part de cette institution. Cette monétisation indirecte de la dette souveraine a évité une crise financière « façon Lehman Brothers » en offrant aux banques une source d’argent bon marché, qu’elles ont utilisé au cours des premiers mois cette année pour améliorer leurs bilans et par conséquent éviter de devoir se défaire d’actifs. En effet, celles-ci ont utilisé ces fonds extra pour acheter de la dette publique de leurs propres pays pour faire monter la cotisation des titres, comme c’est le cas de la banque Unicredit qui a utilisé l’argent de la BCE pour racheter ses propres bons. Ces mesures sans précédent ont sauvé momentanément le système financier européen et ont calmé les craintes d’une banqueroute imminente de l’euro comme on pouvait l’envisager fin 2011. .
[5] En réalité, ceux qui ont été sauvés sont les créanciers parce que la décote est inférieure à la dévaluation subie par la dette grecque dans les marchés (80%) ; parce que les nouveaux bons sont garantis par l’UE, ce qui n’était pas le cas des antérieurs et parce que les nouveaux taux d’intérêt (proches de 4%) sont considérablement supérieurs ã ceux du marché mondial actuellement. Des 130 milliards d’euros additionnels promis, même pas un centime est destiné à l’activité productive grecque mais sont destinés ã sauver les banques et refinancer la dette. Plus encore, les fonds ne seront pas versés directement à la Grèce mais dans un compte spécial qui sera utilisé pour couvrir les obligations de la dette du pays
[6] Voir M. Barois, « Grève générale du 29 mars dans l’Etat espagnol : Un premier succès contre la cure d’austérité que veut renforcer le gouvernement de droite », 04/04/12
[7] Les prix des logements n’ont baissé que de 10-20% puisque les banques ne peuvent pas se payer le luxe de l’amortissement des hypothèques. Certains calculs plus réalistes parlent d’une baisse de 40-50%, et elle pourrait être plus importante si l’économie ne se récupère pas, ce qui est très probable.
[8] Le vrai problème de l’Etat Espagnol c’est la dette du secteur privé qui équivaut ã 227% du PIB. De ce total, la dette des foyers est de 82% du PIB, alors que celle des entreprises est de 145% du PIB.
[9] Actuellement, seulement quatre banques (Santander, BBVA, CaixaBank et les caisses d’épargne Kutxa dans le Pays Basque) peuvent fonctionner de manière indépendante et couvrir la rareté de capitaux avec leurs propres revenus. Tout le reste transfère constamment la dette privée à la Banque Centrale d’Espagne (ou à la BCE) ã travers des paquets d’aide du gouvernement. A vrai dire, les grandes banques espagnoles, Santander et BBVA, ont survécu à la crise grâce aux bénéfices provenant d’Amérique latine qui ont compensé leurs pauvres performances en Espagne. La moitié des bénéfices de Santander viennent de ses opérations en Amérique latine, pour la BBVA ce chiffre est d’un tiers. Au contraire, les petites caisses d’épargne régionales, connues comme « Cajas », sont dans une situation financière très précaire.
[10] La Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) est l’agence fédérale étasunienne qui a pour tâche de garantir les dépôts bancaires faits aux Etats-Unis.
[11] Beaucoup pensent en effet que la véritable « bombe », c’est l’Hexagone. Cela est lié aux contradictions structurelles que nous avons soulignées et au désir de préserver, pour des motifs géopolitiques, le projet européen ainsi que la nécessité d’éviter une situation d’économie chroniquement récessive. Dans ce cadre on ne peut exclure un coup spéculatif de la part des marchés quelques mois à la suite de l’arrivée au pouvoir de Hollande. Le plus ^probable est que le nouveau président va essayer de gagner du temps (en essayant de négocier avec l’Allemagne notamment, mais aussi en ayant éventuellement recours ã des solutions coercitives comme l’utilisation de l’épargne nationale pour financer la dette publique). Quand l’heure de vérité sonnera cependant, c’est l’ensemble de la classe politique française qui sera durement jugée par la population, générant probablement un séisme politique.
[12] Il faut ajouter les sommes engagées mais pas encore versées destinées à la Grèce, à l’Irlande et au Portugal (200 milliards d’euros) aux 500 milliards dont dispose déjà le Fonds et les 100 milliards déjà versés à la Grèce. Outre le fait que le Fonds dispose de peu d’argent frais, sa structure serait insuffisante s’il fallait voler au secours de l’économie italienne ou espagnole. Rome et Madrid doivent refinancer entre 2012 et 2013 prés de 1.200 milliards d’euros de dette publique.
[13] P. Anderson, The new old world, Verso, Londres-New York, 2009.
[14] Le commerce de l’Allemagne avec la Pologne et la République Tchèque est plus important que celui avec l’Etat espagnol, le Portugal, la Grèce et l’Irlande réunis. Cela est notamment dû à l’intégration des deux pays de l’Est à l’appareil productif allemand.
[15] Sans que les médias n’y accordent beaucoup d’importance et sous le regard impuissant des Etats-Unis, le nouveau gazoduc Nord Stream, sur la côté baltique allemande, a été inauguré le 8 novembre 2011, en présence du président russe Dimitri Medvedev, des chefs de gouvernement allemands, français et hollandais, ainsi que du commissaire européen à l’Energie et du président du géant russe Gazprom. Il s’agit d’un événement géopolitique de première importance. Cette nouvelle structure unit Gazprom (propriétaire ã 51% du complexe) ã deux entreprises allemandes (31%) et deux autres, française et hollandaise. L’enjeu central du nouveau gazoduc est qu’il évite la Pologne, les Etats baltes de même que l’Ukraine et la Biélorussie. Ces pays perdent d’une part les droits de passage du gaz russe sur leur territoire. Ils perdent également toute possibilité de bloquer la circulation du gaz russe en direction de l’Europe de l’Ouest, une arme de négociation avec Moscou utilisée ces dernières années.
[16] Il ne faut pas oublier que la Pologne par exemple a concentré la plupart de ses efforts diplomatiques en direction de l’Ouest, source de prospérité économique du pays, y compris dans le cadre de la crise actuelle. Varsovie a également constamment recherché ã jouer un rôle plus important dans le cadre de l’architecture changeante de l’UE ces dernières années. Fin 2011, le ministre polonais des Affaires étrangères n’a pas hésité ã dire qu’un écroulement de l’UE serait une menace majeure pour l’existence même du pays, souhaitant que l’Allemagne joue un rôle plus important au sein de l’Union.