ECONOMIE
Fraude chez Volkswagen, révélateur du capitalisme contemporain
25/09/2015
Volkswagen, c’est la multinationale allemande par excellence : premier constructeur mondial avec 5 millions de véhicules vendus au premier semestre et 20 milliards d’euros de bénéfices, alors que le secteur auto est plutôt morose. C’est en ce sens que la fraude, dont s’est rendue coupable l’entreprise, en dit long sur les caractéristiques du capitalisme contemporain.
L’impératif stratégique d’élargir le marché du diesel au-delà de l’Europe
L’Europe a toujours fait du diesel une priorité, au point où dans plusieurs pays, acheter un véhicule diesel a longtemps été subventionné. En termes d’émission de particules fines et de NOx - oxydes d’hydrogène qui contribuent grandement au smog, à l’accroissement des maladies respiratoires et à l’augmentation du taux de mortalité lié aux maladies cardiaques et respiratoires -, les moteurs diesel sont beaucoup plus « sales » que les moteurs essences. C’est une des raisons pour laquelle l’utilisation du diesel est quasiment confinée en Europe.
La fraude pratiquée par Volkswagen (VW) semble ainsi motivée par un impératif stratégique consistant à proposer un moteur diesel « ultra-performant ». C’est en Europe que s’écoule les trois-quarts des véhicules diesel produits, une situation qui « pousse » les constructeurs d’élargir à tout prix le marché, démarche épaulée en ce sens par les politiques.
Gagner sur Toyota au détriment de la qualité. Une obsession
Les problèmes de Volkswagen sont en partie liés à la nécessité de réaliser des économies d’échelle, et ce dans l’optique de détrôner Toyota en tant que plus gros constructeur au niveau mondial en termes de véhicules vendus. Il s’agit là d’un défi qui ne peut être affronté en se centrant, de façon obsessive, sur la technologie et le développement des produits qui avaient pourtant fait la marque de fabrique et la réputation des entreprises allemandes.
Dès lors que le fait de dépasser Toyota s’est transformé en objectif prioritaire, Volkswagen a fait de nécessité vertu, notamment pour tout ce qui est la simplification et la réduction non seulement des coûts, mais également des temps et de la préparation de chaque modèle. Cet objectif de simplification et de réduction est devenu inévitable, au détriment de la qualité.
Une structure entrepreneuriale excessivement centralisée
Martin Winkerkorn, le président démissionnaire de Volkswagen, avait fait le choix d’une chaîne de commandement extrêmement resserrée pour faire, au cours des huit années passées à la tête du groupe, un acteur décisif de la construction automobile. C’est également la raison pour laquelle, en avril 2015, Winkerkorn pouvait inscrire une autre victoire à son actif : avoir gagné son duel à mort avec Ferdinand Piëch, le petit-fils de Ferdinand Porsche et président du conseil de surveillance de Volkswagen. Le tandem Winkerkorn-Piëch est notamment à l’origine de la relance de la multinationale allemande à travers le Plan Mach 1018, une relance basée sur la mutualisation, entre les différentes marques du groupe, de certaines pièces, et à travers l’acquisition de nouvelles marques comme Porsche, MAN ou Scania, venant diversifier l’offre de Volkswagen.
Cependant, cette centralisation hautement bureaucratisée et concurrentielle entre les différents dirigeants au sein de l’entreprise avait également ses revers : un investissement mis par chacun dans la défense de petites baronnies au sein de la multinationale, des cadres complaisants avec leurs dirigeants, leur faisant entendre ce que ces derniers voulaient entendre, et perdant tout contact, par conséquent, avec la marche réelle de la multinationale. En d’autres mots, une telle organisation dans un groupe de cette taille peut le rendre très vulnérable, au point que la négligence peut s’avérer avoir de graves conséquences, à l’instar de l’insertion de ces quelques lignes de code à l’origine du scandale.
La concurrence féroce et exacerbée, une caractéristique inhérente au mode de production capitaliste
A l’apogée du néolibéralisme, la centralisation et la concentration du capital a permis aux plus grands groupes d’accaparer un pourcentage supérieur de bénéfices à échelle globale. Aujourd’hui, nous sommes entrés dans une nouvelle époque dans la mesure où les marges se réduisent pour les grandes multinationales et où les bénéfices deviennent plus volatils. Une récente étude publiée par McKinsey Global Institute prévoit que les bénéfices de grandes multinationales pourraient chuter avec des pertes de l’ordre de 8 à 10% au cours de la prochaine décennie.
C’est cette pression concurrentielle extrêmement forte qui fait que se multiplient les erreurs inhérentes au mode de production capitaliste en tant que système basé sur la socialisation de la production et l’appropriation privée et dans lequel domine le despotisme d’usine le plus féroce au sein de chaque entreprise. La fraude, dont s’est rendu coupable Volkswagen, est l’exemple paradigmatique de la perte de confiance des clients dans le secteur auto après le rappel de certains véhicules par plusieurs constructeurs.
On se souviendra du cas de General Motors, qui a dû retirer de la circulation et du marché plus d’un million de véhicules dont le système de contact pouvait être défectueux et hautement dangereux pour les conducteurs et les passagers. On se rappellera également les problèmes sur certains modèles Toyota ou le scandale Takata, la firme japonaise ayant été accusée de produire des airbags dangereux, voire même explosifs, ce qui a mené à la révision de plusieurs millions de véhicules et au dépôt d’innombrables plaintes aux Etats-Unis. Takata est le second producteur mondial d’airbags, contrôlant prés de 22% du marché. Un cabinet d’avocats basé à Seattle, Hagens Berman, à l’origine d’une class action aux Etats-Unis contre Honda, le principal acheteur de Takata, a ainsi publié une enquête démontrant que les coussins de sécurité « au lieu de se déployer [en cas d’accident] explosent comme des grenades, projetant dans l’habitacle des morceaux de métal et de plastique ». Takata comme Honda sont accusés d’avoir « privilégié les bénéfices au détriment de la sécurité ». Des sources concordantes pointent y compris le fait que les deux entreprises auraient été alertées des problèmes, mais qu’au lieu de « les résoudre de façon à éviter des accidents, elles se sont livrées à des manœuvres dilatoires pendant dix ans en ne lançant une grande campagne de révision que récemment ».
Comme le souligne un analyste du Financial Times, le journal de la City londonienne, « la clef pour réussir à forcer les règles, c’est de le faire de façon subtile et discrète. L’abus peut être une pratique commune, mais ne doit pas être trop visible, ou alors cela alertera les autorités de contrôle qui tolèrent certaines zones grises. L’industrie automobile est un bon exemple de ces pratiques. Tous les experts savaient qu’il y avait une différence entre les données officielles sur les économies de carburant et le rendement des moteurs diesel mais Volkswagen a bêtement poussé la tromperie trop loin. Se moquer des contrôles et des tests européens sur les combustibles est devenu une pratique des plus habituelles (…) de façon à occulter le fait que les véhicules diesel sont moins efficaces en termes de consommation de combustibles et bien moins respectueux de l’environnement qu’on ne voulait bien le faire croire. Aux Etats-Unis, Ford [avait déjà été condamné] en 1997 pour [des tromperies] sur ses pick-ups de même que Hyundai et Kia, l’an passé ».
L’analyste poursuit en soulignant que l’industrie automobile est loin d’être une exception, puisque d’autres secteurs ont recourt à ces pratiques, dans le secteur bancaire comme pharmaceutique. « Certaines entreprises choisissent de contourner en douceur les réglementations et d’autres les suivent. Tout le monde sait que tout ceci est immoral, mais cela en devient normal et les autorités de contrôle font semblant de ne rien voir. C’est ainsi que, parfois, les choses vont trop loin et que le scandale éclate ».
C’est ce qu’il vient de se passer avec Volkswagen, alors que tout le monde, aujourd’hui, crie au scandale. Pour paraphraser l’expression passée à l’histoire de James Carville, conseiller de Bill Clinton au cours de la campagne démocrate de 1992 : le problème, ce n’est ni Volkswagen ni toutes ces multinationales qui ne respectent pas les règles, « c’est le capitalisme, ‘stupid’ ! »